Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

29 mai 2006

DES FILS



A Julie
une chanson bien ancienne, mon fils était tout juste né et certains gaillards de mes classes me paraissaient directement descendus de l'Olympe

Ils sont grands, ils sont beaux
et ils n'ont pas vingt ans
ce sont de grands navires
qui se balancent au vent
attendant des départs
attendant des aurores
attendant des demains
qui puissent chanter encore

Leurs jeunes dents de loups
font peur à leur mère
leur sagesse précoce
et leurs doutes amers
mais quand elles voit flotter
leur crinière dans le vent
elles sont fières de dire
"ceux-là sont nos enfants"

S'il en est quelques-uns
déjà gris avant l'âge
déjà lassés de tout
dégoûtés du voyage
demandez-vous pourquoi
dans l'amphore brisée
nous avons mis du fiel
à la place du lait

Ne leur reprochez pas
ce que vous n'avez su faire
ne dites pas trop vite
leur tour aussi viendra
nous les verrons un jour
meurtris et solitaires
bons pour la croix de guerre
ou pour la croix de bois

Poing dressé, rose au dents
ils disent Non à la guerre
qu'importe la façon
qu'importe la manière
qu'ils le disent si fort
que leurs voix résolues
balaient notre sottise
et nos espoirs perdus

Ils sont grands, ils sont beaux .... attendant des demains qui puissent chanter encore

NE PENSER A RIEN



A Mariel (Cure : dernière séance d’inhalations froides)

Ne penser à rien
A chaque seconde
Comme goutte d’eau
Sur le bord du toit
Ne penser à rien
Car la terre est ronde
Et roule sa bosse
Et roule ma joie

Ne penser à rien
Un Rien majuscule
Un Rien éphémère
Et d’éternité
Ne penser à rien
Pas par habitude
Ni même vœu pieux
Et sans y penser

Je ne pense à rien
Comme la rivière
Qui lisse ses plumes
Au dos du canard
Je ne pense à rien
Eau dedans ton verre
Qui se fait liqueur
Qui se fait champagne

Je ne pense à rien
La vie est si brève
La vie est si pleine
De soirs et matins
Qu’atteindre en riant
Le bout de mon rêve
Par le bout du nez
Sera mon destin

Et penser à nous
Comme deux colombes
Toutes deux posées
Au rebord du toit
Penser dans le cercle
Penser dans la ronde
Comme gouttes d’eau
Le ciel en dessus
Le rebord du toit
chute irriguante
et vol à la fois …

28 mai 2006

DES MERES

Celle-ci n’a que deux enfants : le garçon, la fille
alors que sa mère à elle en avait bien plus
A recueilli cependant deux petites nièces
pour faire bonne mesure
**

Celle-là écrit son histoire
Cherche un champ tranquille
Y pose sa table et la chaise.

Au bout de la page
le souvenir de son fils
peut-être apaisé

Il reste sa petite fille
Elle aussi sera soignante
C’est un beau métier
**

Celle-ci a donné un père
militaire à ses enfants
Même les deux filles
ont embrassé la carrière

Elles sautent en parachute

Lui, il n’a jamais souri en quarante-sept ans de mariage
**
Elle n’est que ravissement
Tout lui fait envie
Elle a reçu des enfants
un chèque pour s’offrir
des petits plaisirs
pendant toute la cure

Elle habite en HLM
Elle tient à le préciser
**
N’allez pas croire à sa mine
que tout fut tout rose
Elle aussi pleure dans sa chambre
le fils qui s’est éloigné

Une histoire de femme
**
Mères Courage Mères Patience
le jour de leur fête
feront semblant d’oublier
le lait qui fait mal
et les seins flétris

27 mai 2006

CHUT !



Quand chante le couchant

C7 CONTIGO



J'aimerais faire avec toi
ce que le printemps fait avec les cerisiers
Pablo Neruda

C6 ALORS



Bras ouverts
alors ta joie emprunte les voies complices de la prière

( d'après Eglise d'Allevard tableau )

C5 LA GLYCINE

CARNET IV Ouvrant les volets

23 mai 2006

Une CARTE POSTALE VII et FIN


VII- JE M’APPELLE

- Je m’appelle Verveine.
- C’est un joli nom. Il vous va si bien ! Je m’appelle Bernard
- Merci ! Vous en êtes où de la cure ?
- C’est ma deuxième semaine
- A moi aussi.

Le reste ne nous regarde pas. Il la raccompagne à la pension de famille. Elle lui offre d’entrer prendre un verre. Il veut bien. Dans la cour, au milieu des fleurs, ils boivent lentement. Elle a mis une bande Velpeau autour sa cheville. Elle en avait une dans sa valise. Elle dit qu’elle a l’habitude. C’est une faiblesse cette cheville qui claque de temps en temps, depuis qu’elle est gosse, elle connaît ça. Chaque fois que tout marche bien, qu’elle est heureuse, clac ! elle se pète la cheville ! Ce soir elle prendra un bain de pieds avec du sel.

Personne ne pense plus à une vulgaire carte postale. Ils ont bien autre chose à faire. Ils se regardent. Ils se parlent.

Imaginons :

Que la bêtise casse son nez de fouine sur le portail de la pension Notre-Dame

Qu’entre une cheville fragilisée qui se luxe facilement, une bouche amère et meurtrie d’impétigo qui s’infecte à tout bout de champ, il y ait de mystérieux canaux d’évacuation de la souffrance

Que deux organismes, certes vieillissants l’un et l’autre, conditionnés par une cure thermale de régénération dans un décor montagnard superbe début Juin, florissant de tous ses jardins et talus, se ragaillardissent mutuellement

Que cette bigote de Verveine suffisamment intelligente pour ne pas en rajouter dans le genre compassionnel éprouve un penchant certain pour un corps affaissé sur lui-même mais plutôt svelte et beau d’origine

Que cet introverti à 90 o/o de Bernard se souvienne qu’à vingt ans il a été amoureux d’une petite boulotte aux mollets fermes et à la parole vive dont Maman n’avait pas voulue mais dont il vient de trouver l’exacte réplique

Que la carte postale perdue dans le parc des Thermes à Allevard les Bains (Isère) le 28 mai ne soit pas tombée sous leurs yeux par hasard. Que son contenu, bêtement pornographique, ait été le révélateur érotique qui remit en branle des désirs ensevelis sous plusieurs couches mais encore vivants

Que les prières, quel que soit le dieu qui les inspire, ne tombent pas forcément dans l’oreille d’un sourd

Et nous aurons une fin tout-à-fait banale mais plausible.

Une petite maison dans le Nord, dotée désormais d’un jardinier.

Des aquarelles qui osent s’exposer sur les murs.

Un Ginko Biloba dit encore « arbre aux quarante écus » planté de frais qui donnera bientôt un peu d’ombre

La vie, quoi ! Pas la télé, ni la consigne de la gare.

UNE CARTE POSTALE VI


VI- DIEU ET LES FLEURS

Verveine a une soixantaine florissante. Elle aime toutes les fleurs, en pots, en jardinière, en bouquets, dans les prés et sur les talus. Même séchées. Elle aime les fleurs tout court. Elle les adore.
Des fleurs, elle en a plein avec elle, tout le temps : en cartes postales, en projets, dans des sachets de graines. Depuis peu en aquarelle. Parfaitement ! Elle peint les fleurs. Elle ose.

Ici, à Allevard, elle est gâtée pour les fleurs. Quand d’autres font la sieste elle s’installe dans sa chambre devant le bouquet du jour - oh ! un petit bouquet dans le verre à dents qu’elle a grapillé par ci par là-et elle attrape les fleurs par leurs couleurs. Elle les pose à plat sur la table, ses yeux naviguent du vertical à l’horizontal en s’efforçant de garder la chaleur que les couleurs lui renvoient. La forme importe moins que la couleur. La forme n’est pas très difficile à saisir : un ovale un pétale, un trait une étamine, un rond un cœur.

Les bouquets, elle les collectionne ainsi dans son album quand ils sont fanés. Elle n’a pas encore osé les montrer. Elle se demande parfois si ce n’est pas pêcher d’accorder tant d’importance à de simples fleurs des champs. Les fleurs ne demandent rien, n’ont besoin de rien. Même pas d’elle. La découverte merveilleuse cette année est de se sentir si bien dans ce tête-à-tête silencieux avec les fleurs.
Elle se dit, qu’après tout, c’est aussi prier le Bon Dieu que d’accepter des fleurs cette pitchenaude de couleur, là entre les deux yeux. Ça la soulage. Comme le baume du tigre quand elle a mal à la tête. De temps en temps, le matin surtout. A cause des sinus.

Elle ne se dit pas expressément tout cela. Verveine n’a pas de longs questionnements de conscience. Un fonctionnement bien rôdé, ponctuel qui lui assure tous les jours que Dieu fait un pas rapide (mais non pressé), une parole rapide (mais non volubile), un appétit immédiat devant l’assiette garnie ( mais non une goinfrerie déplacée)

Verveine est placée, bien placée pour le savoir : la vie est une chance. Elle honore cette chance chaque jour en ne gaspillant rien à tort et à travers. Chaque rencontre, même fugitive, chaque trouvaille même cochonne …
Elle parle aux morts, à ses parents, à son petit frère qu’elle n’a pas connu, à Paul son mari français qui ne lui a jamais reproché son accent espagnol. Au contraire, il en était fier. Paul lui a laissé, en Picardie, une petite maison avec un petit balcon, un petit jardin facile d’entretien. S’ils avaient eu des enfants la maison aurait été trop petite mais Dieu ne l’a pas voulu …


Elle dit seulement Merci au Seigneur chaque matin et plusieurs fois dans la journée. Elle n’a rien à lui demander. Tout ce qu’il lui donne est pain bénit. Chaque rencontre, même fugitive, chaque trouvaille même un peu … spéciale. Elle ne sollicite sa protection que pour les autres. La vieille dame si jeune d’esprit qui sait très bien tenir la pipette maintenant sans s’étouffer. L’encore jeune homme déjà vieux et déchiré aux coins des lèvres. Les deux pauvres ballots de la carte qui pourraient tout de même la mettre sous enveloppe et l’envoyer eux-mêmes !
Elle ne demande rien pour Emilienne. Emilienne a quatre-vingt six ans. Dieu fasse que j’arrive à cet âge en aussi bonne forme qu’Emilienne ! Elle se passionne pour gagner au scabble et Dame ! quand je suis un peu distraite, ce que je veux bien être pour lui faire plaisir, elle se réjouit si fort de mes incompétences en français. Elle se précipite pour m’en donner la preuve sur son dictionnaire électronique qu’elle manipule, malgré ses doigts enflés, avec une surprenante dextérité.
Son accent que quarante-deux ans cette année de séjour en France lui a laissé, Verveine l’aime aussi ; elle ne sait pas si elle le garde par une coquetterie muy maravillosa, par défaut congénital des cordes vocales, ou par cadeau de Dieu comme tout le reste. Grâce à lui, grâce à ces roucoulades de fond de gorge, Paul est allé jusqu’à l’épouser. Et pourtant ce n’était pas facile avec la maman qu’il avait ! Son nom fleuri et odorant de Verveine il le lui a laissé en partant comme talisman.
A la pension Notre-Dame tout le monde la connaît sous ce prénom et la salue aimablement. Le prononcer c’est comme si on recevait un rayon de soleil. Personne ne s’en prive.
On l’aime bien. Elle le sait. Elle le sent. Demain elle ira marcher avec le groupe de 15 heures. Au dessus d’Allevard. Il n’y a pas besoin de s’inscrire. Devant l’office de tourisme à 15 heures. Avec des chaussures de marche. Elle en a apporté bien sûr. Entendu ! Elle y sera. Elle a envie d’une compagnie un peu différente de celle de la pension Notre-dame. Une compagnie plus masculine peut-être. Il n’y a que des femmes à la pension. Pourquoi ? Elle a envie de pas dirigés, commentés. En plus c’est gratuit !
Elle n’est pas de ces vieilles bigotes qui arrivent à Jésus quand elles n’ont plus aucune chance de rencontrer Pierre, Jean, Etienne, Marcel ou ? ( au fait quel est son prénom ? Je ne l’ai jamais entendu, personne ne l’appelle …)

CARTE POSTALE V


V- S’ADAPTER

En ville, la clientèle de curistes se partage entre des hôtels sans étoiles, avec une (L’hôtel du Dauphiné par exemple), 2, 3 (un seul a trois étoiles), des résidences avec studios, des meublés, des chambres d’hôtes, quelques appartements privés sous-loués et des pensions de famille qui gardent ce nom désuet pour rassurer les personnes généralement âgées, seules et catholiques. Le foyer Notre-Dame qu’a choisi Verveine est une de ces pensions de famille dont on dit « C’est comme à la maison ! ».
Rien que de très banal.
Un peu en dehors de la ville : les campings, les caravanings. Pour les jeunes, les familles. Maintenant la Sécurité Sociale n’interdit plus le campement à condition que ce soit en bungalow. Mais c’est cher quand même !

Cependant, comme dans toute ville de cure bien organisée, des lambeaux de vie se croisent au hasard, se perturbent, s’ignorent, se montent sur les pieds sans que la presse locale en fasse état. Le guide touristique affirme cependant que « le coeur bat à Allevard les bains » qu’on y est « surpris par la pétulance de cette petite ville de montagne »
Comment virer de la pornographie (car il avait osé prononcer distinctement le mot à l’intérieur de son malaise) à la pétulance ? Comment sortir de la solitude gangrenée au partage de risques amoureux ? C’est une question, et même plusieurs, que Bernard ne s’était pas encore posée.

J+4

Il est gris, terne, éteint, vide. Il le sait. Il le sent.
Mais ça va changer. Il veut que ça change. Il ne sait pas comment.
Il veut.
Plus de direction au hasard. Plus de plante verte pour se cacher.
Demain, aujourd’hui même. Et d’abord se rendre à la grande Pharmacie Centrale, là où il a acheté les verres doseurs et la pipette. Il demandera conseil pour ce mal qui lui cuit le coin des lèvres et qui empêche les mots de passer.

UNE CARTE POSTALE IV



IV- SE RENDRE COMPTE

Nous en sommes à J+3

Alors il n’a pas regardé la télé après le repas de midi. Il n’aurait su dire pourquoi. D’un seul coup il a eu envie de marcher en ville. De toutes façons pour ce qu’il y a à la télé. Et puis, dès le café servi, la femme au tricot s’installe dans le salon et c’est elle qui monopolise la 6 avec sa foutue émission médicale. Elle a un tel air de « je suis sérieuse moi ! » qu’on n’ose pas la déranger. Elle ferait mieux d’aller faire la sieste comme tout le monde !
Il a traversé le salon d’un pas ferme, il n’a même pas tourné la tête. Arrivé sur le trottoir, il a hésité. A droite vers les Thermes comme tous les matins, ou à gauche vers le Casino et le petit lac. La rue est en chantier. On a dû changer les égouts ou quelque chose comme ça, on refait les bordures, on laisse l’emplacement pour planter, des arbres sûrement : un rond d’un mètre cimenté tout autour. On voit que la taxe de séjour rapporte gros à Allevard. Ils sont toute une équipe d’émigrés à ratisser le goudron, à lisser. Ils n’ont pas l’air malheureux. Des costauds. De sacrés costauds. Pas un qui parle français à part le chef. Ils s’entendent bien. Ils se cachent pour manger je sais pas où à midi. On ne les voit plus. Seule la maîtrise vient avec nous au restaurant de l’hôtel. C’est normal. Ils sont corrects. Ils se changent avant d’entrer. Peut-être ! Je ne sais pas !
Les chefs se salissent moins que les ouvriers.
Je vois tout dans la salle. J’entends pas trop bien. A cause de mes oreilles et de la plante verte.
Faut pas que je me plaigne : c’est moi qui ait voulu m’installer derrière la grosse plante !

On mange bien à l’hôtel du Dauphiné. Les patrons ont changé cette année mais la cuisine est toujours aussi bonne. C’est le même cuisinier qui est resté. Cuisine familiale : des gratins, des viandes en sauce, du lapin … C’est pour ça qu’on revenait toujours ici avec maman. Et la patronne et le serveur repassent à la fin de chaque service pour offrir une ration supplémentaire à ceux qui veulent.
Bon ! C’est pas le tout ! Où je vais ?

Il s’est dirigé vers le centre-ville. Oh le centre ville n’exagérons rien ! Une rue piétonne de même pas trois cents mètres. De chaque côté, le boucher et traiteur - des bonnes rissoles - le boulanger-pâtissier - un peu cher mais pas mauvais - un magasin de bonbons, un de fringues, l’inévitable « Produits du terroir » et la boutique aux Souvenirs. Toujours les mêmes : des assiettes, des plats, des poupées et des cartes postales évidemment. Correctes.
En face du boucher, le bureau de tabac avec ses présentoirs sur le trottoir. C’est là que ses pas l’ont porté. A cette heure-ci le bureau est fermé. Tous les magasins sont fermés jusqu’à trois heures. Les curistes font la sieste. Il fait chaud. La rue est déserte.
Alors il les a vues, les cartes. Au bureau de tabac. Toute une rangée dans un présentoir tournant. Il s’est mis entre la vitrine et le présentoir et il les a regardées. Rien d’intéressant. Le même genre que la carte par terre : De gros seins, des fesses rebondies. En ballons de baskets énormes avec des cochonneries écrites dessus. Elle y était celle de l’autre jour, la carte. A se demander qui peut bien acheter ça !
Il en a touché une. Il l’a même prise dans ses mains, l’a retournée comme si elle pouvait être écrite à l’envers et c’est en voulant la replacer qu’il a vu l’autre, en dessous. Bien pire ! Elle lui a sauté aux yeux et il n’a pu supporter. Il est parti.
Et pourtant il est revenu pour la regarder. La carte se moquait de lui. Ouvertement. Là, dans cette rue, la carte se fichait de sa figure, se fichait de sa gueule. Pauvre type ! T’as pas de femme, t’as plus rien. T’as beau triturer cette pauvre chose, c’te limace, c’te « feignante » qu’elle dit, tu peux plus rien en sortir.
Il a eu envie de l’arracher du présentoir, de la déchirer là dans la rue, de la flanquer dans le caniveau, au Bréda, n’importe où pourvu qu’il ne la voit plus. La joue lui cuisait. Comme la fois où sa mère l’avait giflé.
Machinalement il s’est frotté la joue !

18 mai 2006

UNE CARTE POSTALE III



III- DEUXIEME JOUR : LES DOUCHES PHARYNGEES

Elle est repassée par le parc à peu près à la même heure. Moins quart, moins dix … Il n’y avait personne sur le banc. Pourquoi n’était-il pas là comme tous les jours ?
Elle est entrée immédiatement, sans perte son temps comme hier, et s’est assise à attendre le docteur Mariton dans la file avec les autres. Elle aime bien le docteur. Toujours de bonne humeur, toujours à plaisanter et avec elle particulièrement. Avec les filles du service aussi ! Quelquefois un peu trop, à son avis, il est trop familier, trop … mais … il est jeune … il faut que jeunesse se passe …
Elle a commencé une conversation avec la vieille dame qu’elle avait aidée lundi et qui tendait toujours vers elle son plus beau sourire reconnaissant dès qu’elle la voyait. Elle avait le numéro 29, celui qui a été perdu en carton bleu glacé et remplacé par une vulgaire fiche de papier troué. Elle aime bien tomber sur le 29, avec son air de pauvre diable à réconforter. Quelqu’un a dit « chut ! » parce qu’elles parlaient trop fort toutes les deux. Alors elle s’est tû. C’est normal on ne doit pas parler sinon le couloir d’attente aux douches pharyngées ressemblerait à une volière. Déjà qu’avec le toit vitré ! Mais il fallait bien qu’elle réponde à cette pauvre vieille qui est sourde. Et le docteur Mariton, lui, ne se gêne pas pour faire du bruit ! Il rentre et sort de sa cabine à la moindre occasion, pour un café ou pour dire des bêtises … il boit beaucoup trop de café.

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Il est allé directement aux douches pharyngées sans s’asseoir sur le banc. Il n’aurait pu dire ce qui l’avait poussé à retarder son heure. Il n’aurait pas aimé qu’une autre carte le signale aux passantes. Exceptionnellement le docteur Raymond était absent. Il n’a rien dit, à quoi sert de protester. Ils font comme ils peuvent. Le docteur avait été retenu par un empêchement professionnel, c’était écrit sur la pancarte. Alors il est ressorti aussitôt dans le couloir central. Et machinalement il a tourné la tête de l’autre côté du couloir pour voir, à gauche, s’il y avait d’autres médecins absents. Mais c’est elle qu’il a vue. La femme. Il l’a vue, même furtivement, il l’a vue, c’était bien elle. Elle était en grande conversation avec une vieille dame. On aurait dit Maman dans les dernières années de sa vie, la vieille dame. Chapeautée, élégante mais très vieille. A se demander si les cures, à cet âge ?
Quelqu’un a dit « Chut ! » et il s’est éloigné.
Tiens ! Elle avait changé de robe. Aussi jolie d’ailleurs ! Toujours aussi jolie !

UNE CARTE POSTALE II



II- RENDRE SERVICE

Verveine aimait faire la cure à Allevard. Chaque année. Au moins, pendant la cure, elle pouvait changer de jupe et de veste chaque jour, assortir les unes aux autres, profiter de l’occasion. Chez elle à quoi tous ses vêtements pouvaient-ils servir ? Elle ne se changeait que le dimanche. Elle n’aurait même pas osé mettre sa jupe courte brillante au village avec les mauvaises langues.

Elle aimait la cure aussi pour tous les services qu’elle pouvait y rendre : Aux personnes âgées, aux enfants, aux hommes, aux femmes indifféremment. Elle donnait de précieuses indications sur la position de la pipette, la pose du bavoir. Elle faisait remarquer la marche à descendre ou monter pour ne pas tomber, le sol humide aux pulvérisations et tous renseignements en ville sur les directions à prendre pour le Casino, la Poste, l’Eglise. Plus souvent la poste que l’église hélas !
Elle aimait mieux l’ancien pavillon de la source que le nouveau. On avait plus l’occasion d’y rendre service.
Quelquefois elle se taisait quand elle croyait remarquer une légère impatience chez les dames préposées aux soins. Elle ne voulait pas leur prendre leur travail, oh non ! mais elles étaient souvent trop occupées, un brin distraites, et ne voyaient pas comme elle, les besoins. Cette année spécialement elle avait pris une initiative qui la satisfaisait beaucoup. Directement chez le directeur. Oui ! Elle avait demandé à parler directement à la directrice - c’était une directrice cette année - et pourtant cette directrice avait répercuté aux dames de services les compliments qu’elle lui avait fait : gentillesse, propreté … tout ! Elle avait tout complimenté. Elle était très contente de tout cette année. Elle ne voyait pas ce qu’elle aurait pu faire de plus pour qu’on s’en rende compte. Et justement ce matin cette carte tombée par terre dans le parc, juste en face du batiment ORL … Cette carte … bizarre …


Elle avait souvent remarqué le grand monsieur timide assis sous le ginko biloba, toujours à la même place sur le même banc à la même heure. Toujours en avance.
Plus d’une fois elle avait eu envie de lui adresser la parole. Il paraissait si seul, si triste. Même pas triste, désoeuvré, vacant.
Elle qui ne s’ennuyait jamais. Comment peut-on rester assis sans lire, sans tricoter, sans parler à quelqu’un, sans écrire ? Le visage était couturé de rides profondes, un tic remontait vers l’œil gauche le coin de sa bouche, laquelle bouche, aux commissures des lèvres, était fendue d’un trait rouge d’infection. Il devrait soigner avec du mercurochrome ce bobo disgracieux. Pour le reste, il était encore pas mal. Grand, assez mince : une bonne hygiène de vie sans aucun doute mais vieux garçon, c’est sûr. Personne pour prendre soin de lui. Ou veuf peut-être ?
Se pouvait-il que ce soit lui, l’auteur de la carte ? Oh non ! Quelle idée peu charitable ! Il n’aurait pas été si embarrassé. Quoique … Il n’aurait pas perdu une pareille carte par inadvertance tout de même ? Et qu’avait-il pensé d’elle qui allait, de ce pas, la mettre à la poste. Bien sûr qu’elle avait été choquée, comme lui. Elle n’avait pas pris le temps de lui expliquer son intention.
Je désapprouve de pareilles monstruosités mais Dieu seul est juge, la carte affranchie. Je me dois de la poster et je prierai ce soir à la messe de six heures à la fois pour l’envoyeur et le destinataire. Deux pauvres hommes, deux gamins … Je prierai aussi pour lui, ce pauvre monsieur sous le Ginko Biloba, sa solitude, son bobo aux lèvres.

Demain je repasserai près du banc et je lui dirai comment …

C3LA CLEMATITE

Commande photographique : la clématite. Une sœur l’a plantée. Elle veut savoir ce qu’elle devient. Est-elle toujours rose ? La soeur s’est éloignée vers le Nord mais aimerait venir mourir près de la clématite dans cette ex-maison religieuse. La sœur a plus de 90 ans, la clématite ? Je ne sais pas …

ne compte plus ses pétales
Sœur Marie-Mildred l’a plantée
Elle s’étire, s’étonne, s’étale
Jusqu’à rejoindre le jardinier …

EN CURE UNE CARTE POSTALE

Préambule !
En cure on peut avoir ou Gargarisme ET pipette, ou gargarisme seul ou pipette seule. Ici aussi.
Seul : le carnet d'image et texte court sous la rubrique CARNET.
Amplement les douches racontées d'après le scénario élaboré l'an dernier à la même époque à partir d'un fait divers authentique. Sans aucune retenue d'eau !
Le long et le court et le long cours (hum !)
On peut toujours décider de ne pas obtempérer à l'ordonnance médicale bien sûr mais attention ! Ne sera pas remboursé par la Sécu


EN CURE. UNE CARTE POSTALE

I- CARTE PERDUE … CARTE TROUVEE

Il l’avait remarquée sur le sol, sec ce matin exceptionnellement.
Seul, ce matin, sur son banc comme d’habitude, à 7h -1/4, dans le parc des Thermes.
Il l’avait vue tout de suite en époussetant le banc pour s’asseoir. Il était allé la ramasser. Avait jeté un bref regard aux alentours. Vides comme d’habitude. Elle était tombée sur l’envers. Elle était affranchie d’un beau timbre à fleur : Orchidée, Mabel Sanders. Il connaît. Il collectionne les timbres.
Bigre ! s’était-il dit ( il aimait bien se dire Bigre quand il se passait quelque chose d’intéressant dans la journée). L’adresse était libellée, quelque part en France, 69 en y regardant de plus près, le département de destination était le 69, son département : le Rhône. C’est pour ça qu’il l’avait retournée. Il aurait pu l’écrire lui-même. Il n’écrivait jamais de cartes postales depuis que maman … mais, s’il avait voulu il aurait pu envoyer une carte postale à quelqu’un dans le Rhône, pourquoi pas ?
Oh quelle horreur ! Il douta un instant. Ses sens ne lui avaient-ils pas joué un tour ? Mais non ! Il regarda mieux. Aucun doute ! C’était une horreur ! adressée à … ? Un homme ! Un homme de peu, un certain Jean quelque chose … quelque part dans le département du Rhône, qui aurait pu être lui mais heureusement qui ne l’était pas. Vraiment il n’aurait pas aimé recevoir une carte de ce … genre. Tant pis ! Il l’avait retournée, c’était fait. Il n’avait pas eu de chance de tomber sur pareille … cochonnerie ! Pour une fois qu’il trouvait quelque chose avant tout le monde ! Encore un coup du diable. Il regarda à nouveau furtivement tout autour, remit la carte dans la même position et retourna s’asseoir. Les premiers curistes commençaient juste par arriver.

Il se plongea dans la reconnaissance des couples et des personnes seules, confrontant leur ordre d’arrivée d’aujourd’hui avec celui d’hier.
Tiens le boiteux va être en retard ! il aura le numéro 8 aux douches pharyngées. Bien fait pour lui ! Il n’avait qu’à ne pas traîner ce matin.
La Grande Dépendue est bien pressée. C’est le jour du marché, bien sûr elle va encore s’acheter un tas de robes rouges qui lui vont comme un tablier à une vache. (il continuait intérieurement à parler comme maman)
Les yeux fixés sur la porte d’entrée ORL, il poursuivait son comptage. La carte sur le sol, dans son dos, à l’arrière du banc, était oubliée. Presque.

- C’est à vous Monsieur ? Vous avez fait tomber votre carte.
Saisi il se retourna d’un bloc, ne pût répondre, fit de la tête un signe vigoureux de dénégation.
La dame gentiment insistait.
- Heureusement que ça a séché cette nuit ! Nous aurons une belle journée. Vous avez perdu une carte postale.
Il avala sa salive, déglutit plusieurs fois avant de pouvoir articuler
- NOOON !
- Ah bon ! Elle est toute timbrée. Je vais la mettre à la poste.
Il se retourna vers les Thermes pour trouver une solution satisfaisante, se leva du banc, se rassit, heu ! soupira et revint tout de même à cette interlocutrice inopinée.

Elle était bien, très bien. Elle était aussi élégante que Maman au début des cures en 1974, un peu plus élégante, un « je ne sais quoi », maman aurait dit. Elle avait une jupe assez courte, au-dessus du genou mais très correcte quand même avec des fils brillants dans les tons de bleu roi. Une veste aussi brillante que la jupe. Plus jaune que bleue. L’ensemble était très fin, très convenable. Très pimpant, tout lui allait bien, la veste, la jupe.
Malheureusement la dame venait de retourner la carte, elle eut un oh ! réprobateur
- Ce n’est pas à moi, pas à moi ! réussit-t-il à articuler, mais il s’arrêta. Elle allait croire qu’il avait déjà vue, retournée et touchée la carte ? Remise en place au lieu de la jeter.
- Bien sûr ! Excusez-moi !
Puis, d’un petit air volontaire, elle dit en souriant :
- Ça ne fait rien ! Je vais tout de même la mettre à la poste ! Puisqu’elle est toute prête !
Elle s’éloigna. Il la regarda s’éloigner vers la sortie du parc côté Rue. Quelle idée ! La poste ! Et puis quoi encore ! Ça ne la regardait pas, une carte perdue. Surtout une carte heu une carte … Elle allait rater l’heure des soins.
Mon Dieu ! Qu’est-ce qu’elle avait bien pu penser de lui ?

C2 DESSOUS MON CHAPEAU

Le temps s’améliore, encore instable … La rumeur du Breda est toujours présente malgré le marteau-piqueur qui démolit le mur du coin. Les enfants des écoles dans la cour. Un employé municipal leur faire traverser la rue. Ça me fait penser que …

u
Dessous mon chapeau
Je ne crains plus rien
Je ne crains plus ni
Le soleil ni la lune
Dessous mon chapeau
Je ne crains plus rien
J’ai le crâne au chaud
Dessous mon chapeau

15 mai 2006

CARNET 1

En avant pour une nouvelle semaine de cure. Mais, à priori, je ne raconterai rien des gargarismes et des pipettes ...

Seulement fixer par quelques MOTS et COULEURS la merveille d'un instant-haiku ! fugitif, ramassé sur lui et éclatant dans l'azur. Ou le gris du ciel. Un de ces instants où "le rêve c'est la réalité" "la réalité c'est le rêve" comme le proclame une fresque murale à Allevard, chaque matin, pour moi, quand je pars, sac en bandoulière, vers le parc des thermes ...



Est ressuscitée la pervenche
un peu d'eau dedans la tige
et hop ! La voilà guillerette

En prendre de la graine !

11 mai 2006

MOITIE DE COQ IV ET FIN

Bon ! On a laissé les choses se mettre en place. Quand on a vu que les Bruxellois étaient à peu près réveillés j’ai demandé à la première personne qui venait vers nous et qui avait l’air normale où on pouvait trouver la commission ? C’était une jeune femme avec des talons plats.
- Quelle commission Mamie ? qu’elle me demande.
Déjà je n’étais pas bien contente de me faire traiter de mamie mais bon ! Je n’avais jamais quitté La Loue. Je n’étais jamais allée à l’étranger il fallait bien que j’apprenne et la petite avait l’air gentille
- la commission de Bruxelles
- Mais il y en a tellement grand-mère !
- Ah bon ! Je sais pas : une commission avec une femme qui a des talons hauts et qui se tord les pieds dans nos chemins …
et ainsi de suite …on a taillé une bavette et on a fini toutes les deux par comprendre que cette commission-là se trouvait au parlement (de Bruxelles bien entendu) dans le bureau 4356 et nous nous y sommes rendues toutes les deux, avec mon coq bien sûr et sa compagnie …

Mais là ça n’a pas été du pareil au même. Quand on a eu trouvé la bonne commission elle venait d’être supprimée. Je commençais par m’énerver. Et mon trésor ? Et mes liards ? Qu’est-ce qu’ils étaient devenus ? Mon Coco qui s’était tenu tranquille jusque là s’est mis à voler dans tous les sens en s’égosillant et quand il a commencé à piquer du bec dans les dossiers ils se sont dit qu’il fallait faire quelque chose pour eux ( les dossiers)

Voilà qu’on nous emmène parce que la grosse nuit était arrivée jusqu’à un hôtel avec plein d’étoiles. Oh Pour être beau c’était beau ! Mais une fois arrivés à ma chambre ( je vous expliquerai comment à Bruxelles on ouvre sa porte avec un morceau de carton etc … et qu’on peut boire du champagne dans la chambre directement etc … et qu’il y a aussi la télévision etc …) ils avaient kidnappé mon coq.
J’étais tellement fatiguée que je me suis couchée et que je me suis endormie comme une masse.

Trois jours j’ai dormi, trois jours et trois nuits. A croire qu’ils m’avaient mis de la drogue dans le champagne. Pendant ce temps, mais ça je l’ai appris bien plus tard, mon coq se battait contre tous les malfaisants qui voulaient le faire disparaître …

Mon Dieu ! Si c’est pas Dieu possible ! Il aurait pu y laisser son demi-bec, sa demi-queue et sa demi-crête s’il n’avait pas été si intelligent et surtout s’il n’avait pas logé avant de partir dans sa moitié de derrière, le gouet, le renard et le kiak …

La première nuit ils l’ont logé dans une batterie de poulets industriels, en bout de chaîne. Coco regardait, ahuri, l’espèce de chose bizarre que les gallinacées aux normes européennes avalaient sans comprendre 24 heures sur 24. Par derrière une autre chaîne enlevait leur crotte et la faisait passer dans une machine qui la redistribuait par devant. Les pauvres bêtes avaient la tête enfoncée dans un trou juste au-dessus de la mangeoire et ne pouvaient ni tourner la tête à droite, ni à gauche, ni bien entendu crier quoi que ce soit pour se faire entendre. Quand il a vu cette horreur mon coq a dit « Renard sors de mon cul et délivre ces pauvres malheureux ! C’est une vie qui n’est pas une vie que de manger sa fiente »
et le renard a saigné en une nuit toute la batterie de poulets décérébrés.

La deuxième nuit ils l’ont mis avec des bœufs. Pas des grands bœufs dans une étable, des grands bœufs blancs marqués de roux, non ! des sortes de monstres, blancs comme des cachets d’aspirine, attachés et engorgolés comme des oies avec des tuyaux. Des bœufs qui ne meuglaient plus, entravés par les pieds mais qui n’essayaient même pas de piater ce volatile qui leur tournait autour. Alors mon coq de guerre lasse a renoncé à les délivrer et il a dit :
- Gouet sors de mon cul et fais ton travail ! Ce n’est même plus des bœufs fous, ce n’est que de la viande industrielle européenne qui ne sert à rien !
Et le gouet s’est mis au travail et le lendemain matin quand ils sont venus voir si mon coq avait bien dormi ils ont trouvé un vrai tas de viande sans goût ni grâce à la place.

Ils ont appelé les militaires. Ils commençaient à comprendre qu’un coq du Bas-Dauphiné, quand il s’y met, on ne peut ni lui faire entendre raison ni l’arrêter de comprendre. Alors toute l’armée de L’Europe au grand complet, l’Otan et tout le saint frusquin ont conduit mon coq sur une plage de la mer du Nord. Ils se croyaient qu’ils allaient le perdre, que cette fois-ci ils en seraient débarrassés. Ils l’ont lâché en pleine nuit sur une côte toute noire. Complètement à borgnons mon coq voyait clair dans leur jeu et dès qu’il a aventuré sa patte sur le sable noir « Oh la la ! s’est dit mon coq, ça sent le mazout ! »
Je sais pas comment il avait reconnu le mazout vu qu’on ne se chauffe qu’au bois à La Loue mais c’est là, juste à temps, qu’il a battu de son aile et qu’il s’est envolé en piaillant :
- Kiak sors vite de mon cul et nettoie-moi cette plage. Débrouille-toi tout seul je m’en vais délivrer la Pélagie ! Mon coq avait tout saisi du complot.
-
Et notre petit Kiak de rien du tout, notre petit kiak de Chez-nous, a nettoyé d’un coup de langue toute la marée noire. Comme quoi vous voyez ! Si les petits ruisseaux font les grandes rivières, un petit ruisseau tout seul peut nettoyer la mer !
Moi je dis qu’on en apprend tous les jours ! C’est bien pour ça que je suis pas pressée de mourir !

Comment je suis revenue en train jusqu’à La Loue depuis Bruxelles dans un wagon spécial avec l’armée de L’Europe qui me rendait dans chaque gare mes honneurs, mais pas mes sous, je vous raconterai pas cette fois.
J’ai mon grain à donner aux poules et double-ration à mon Coco ! Il l’a bien mérité !

- Petit ! Petit ! petit !

MOITIE DE COQ III

III LE VOYAGE A BRUXELLES

Cet objet ! Vous vous rendez compte de la vourientise ! un « objet » mes sous ! ma dot ! mon héritage ! c’est pas que j’en ai besoin ! mais ils sont aussi bien chez moi que chez lui ! Nom mais des fois ! Je les aurais mis sur le buffet et on aurait pu les regarder tous les jours du Bon Dieu avec les gones de l’école qui viennent me voir pour que je leur apprenne le patois !
J’étais tellement estomaquée qu’ils sont tous partis comme des dératés sans que je leur paye le café ! Le maire a juste ajouté en coin
- Vous en faites pas la Pélagie ! Je vais voir ce que je peux faire !

Et puis le temps a passé. J’ai continué de kiaper mon bois avec mon gouet sur mon billot sous le hangar mais je voyais mon coq bien en camate !
Un jour, très exactement un an et un jour après, je vois mon coq qui redresse sa moitié de crête et sort de la cour. Vous savez que ma cour n’est pas fermée et qu’on entre et qu’on sort à La Loue comme dans un moulin. Donc il s’embarque par le chemin des Quatre Vies, avec un air de coq bien décidé à faire ce qu’il avait envie et là j’entends mon gouet qui lui dit :
- on té que te vo Dimia-Polaille ?
- De voua à Breuxelles ki no liards !
- O ben de voua avo té
- Si te vou ! Monta diin mon cul ! Te portarae !
Et les voilà partis tous les deux ! Je pouvais pas les laisser s’en aller sans moi, sans … passeport, sans carte, sans le moindre sou vaillant. Que sais-je ? Jamais mon coq et moi nous n’avions quitté notre Loue mais je suis au courant des usages.
Bon ! Je les suis.
En passant près du gros chêne au bout du chemin des Golates, je vois le renard qui sort ( un vieux renard presque aussi vieux que moi et tout-à-fait inoffensif) et qui demande comme ça :

- On té que te vo Dimia-Polaille … etc …
- ( Où vas-tu Moitié de Coq ?
Je vais à Bruxelles chercher nos liards
Je vais avec toi
Si tu veux Monte dans mon cul ! Je te porterai)

Vous savez que pour gagner la grand-route il nous faut passer par le Pont Rouge, le pont des romains. Quand il nous voit passer sur pont le kiak se penche et s’y met : lui aussi voulait être de la partie !
-On té que te vo Dimia-polaille ? …
/…/
(Prenez la peine de relire la suite car c’est très important pour comprendre. De toute façon si vous n’avez pas le temps c’était pas la peine d’embarquer. Vous pouvez descendre …)

Le Kiak c’est notre ruisseau qui se jette dans notre rivière. Laquelle rejoint notre Rhône bien entendu ! Je me dis « oh ben il va prendre bien de la place le kiak dans le cul du coq ! » mais non ! Tout est rentré et on est arrivé à la grand route.
Là je résume un peu pour les trop-pressés qui ont de l’ouvrage sérieux à faire ! Moi de même : j’ai mes chèvres à traire, l’herbe à donner aux lapins et cuire la périé du cochon … Alors abrégeons !

A la grand-route on a rencontré la Juliette qui travaille à Lyon comme coiffeuse et qui se fait le trajet tous les jours la pauvre. Elle était bien contente de nous avancer et on a blagué un peu pour faire passer le temps. J’avais mis mon coq et tout son attirail dans mon devantier sur mes genoux mais on a mis quand même la ceinture pour pas que la yeyette ait une amende à payer …

La Juliette connaissait un C’EST- ERE- ESSE, (elle lui coupait les cheveux de temps en temps !) un homme bien gentil qui ne parlait pas dans son casque mais comme la nuit était arrivée ça n’avait pas d’importance, il nous a installés sur le tansad et vogue la galère jusqu’à la capitale … On a dormi un peu ! On était bien attachés !

De là un routier nous a pris à bord. Un cinq tonnes ! Oh c’est impressionnant mais, comme pour le C’EST ERE ESSE,( ça veut dire à ce qu’il paraît « c’est raté pour passer sans papier » ) on est passé les premiers partout.

Et au petit matin on est arrivé à Bruxelles !

MOITIE DE COQ II

II- UNE TROUVAILLE PAS ORDINAIRE

Il faut vous dire que mon coq n’est pas ordinaire. De père en fils ce ne sont que des moitiés de coq, une seule aile, un demi-croupion, etc … sauf pour les poules où c’est entier vu qu’elles n’ont pas l’air de s’en plaindre. Pour le reste on n’en voit que la moitié. Dimia-Polaille on les appelle chez nous ces coqs, on a des Cous-Nus et des Dimia-Polaille. C’est comme qui dirait une spécialité génétique !
Alors forcément quand mon coq a crié d’un seul coup, par trois fois COCO ! CoCO ! Coco ! personne n’a fait attention dans la commission de Bruxelles mais moi, j’ai tout de suite su qu’il se passait quelque chose de pas ordinaire comme mon coq !
Mon coq n’a pas l’habitude de cocoricoder pour rien, même à moitié.

Donc, je vais voir ce qui se passe sur le tas de fumier dans ma cour où mon coq était en train de piocher pour trouver des vers ; le maire me suit qui savait que j’étais pas une malhonnête à abandonner des visiteurs pour un rien ; la commission de Bruxelles au grand complet suit le maire … Et je vois sous les pattes de Dimia-Polaille sortir quelque chose de pas ordinaire non plus. Au moins dans un tas de fumier.
C’était un jour à évènements !

On tire la chose au clair, on la nettoie. Une belle boîte (une fois nettoyée ) d’avant la guerre, on trouve dans la grange un pas-fer, on force le coffret à s’ouvrir et là ! ah mes amis ! ça valait le coup d’œil ! tout neufs, tout brillants, tout étincelants et rangés comme des biscuits des … JAUNETS, des louis d’or, Parfaitement ! Jésus Marie je n’en avais jamais vu autant à la fois de ma vie qui est pourtant longue ! Je n’en avais même jamais vu plus de cinq à la fois très exactement depuis 1906, l’année de mes sept ans quand mon grand-père les avait confiés à mes parents pour qu’ils fassent des petits mais mes pauvres parents s’étaient fait roulés avec des emprunts russes qui ne sont jamais revenus et c’est pour ça que j’ai dû me marier avec le Pétrus qui a bien voulu me prendre sans dot.
Remarquez que je me suis pas plainte, c’est comme les poules avec mon coq …

Bref ! Qu’est-ce que je disais ! Ah oui !
Je me pense « D’où peuvent bien arriver ces beaux liards ? Pas rien de chez-nous : on n’était pas riche. Et puis je me rappelle que mon grand-père, à ce qu’on disait, avait un peu fricoté avec la boulangère. Vous savez celle qui avait des écus qui ne lui coûtaient guère. Ça serait pas elle qui aurait caché son magot sous le tas ? L’histoire n’était pas impossible …
Mais avant même que je puisse en faire part au maire et lui faire remarquer que j’étais l’unique légitime héritière puisque la boulangère était morte sans descendance … et que les écus se trouvaient sous mon tas de fumier, voilà mais pas que le chef de cette fameuse commission s’empare de la boîte et avant que je puise dise quoquoren ! déclare :
- Nous allons emporter cet objet à Bruxelles pour le faire exeprès-tiser !

MOITIE DE COQ I

MOITIE DE COQ

I- LA COMMISSION DE BRUXELLES A LA LOUE

Et ben j’étais ce jour-là sous mon hangar à La Loue à kiaper mon bois quand voilà mais pas que j’entends parler au chemin. Ah ! je me dis comme ça, « y a du monde ! »
Il faut dire qu’à La Loue il passe pas grand monde. Enfin il passait … Parce que depuis ce jour-là ça a bien changé ! Que je vous raconte.

Je m’avance à l’entrue de la cour et je vois arriver toute une nia avec le maire en tête ! Ils étaient bien une bonne dizaine, j’ai pas eu le temps de compter. Le maire me voit, me montre à toute la troupe et dit en me serrant la main ( l’ancien maire me faisait la bise mais le nouveau n’ose pas, il n’est pas de Chez-Nous … Je l’ai pas connu tout petit çui-là)
- Je vous présente, Pélagie qui est notre doyenne ! ( On voyait qu’il s’appliquait, il faisait la bouche en cul de poule, sinon il aurait dit La Pélagie comme tout un chacun)
- Pélagie je vous présente la commission de Bruxelles

Oh une commission ? Je sais pas ce que c’est. Les commissions si ! Il m’arrive d’en faire quand j’ai besoin … et Bruxelles, je connais c’est comme pour les choux ! Mais que venait donc faire à La Loue tout ce beau monde, il y avait même dans le lot une femme ! C’est vous dire ! Avec des talons hauts ! A La Loue ! Par nos chemins ! Elle allait se tordre les pieds la malheureuse !
J’allais pas tarder à le savoir. Le chef, - ça se voyait à l’allure et à l’accent pointu ! - explique :
- Madame Pélagie nous sommes venus enquêter dans les campagnes françaises sur l’application des normes européennes …
??? Oh mon Dieu ! qu’est-ce que je devais répondre ? (Je me pense :
Mefiate ! po tan de madame, monchu ! )
C’est juste à ce moment-là que mon coq est intervenu ! ça m’a dispensé de répondre …

CHASSEURS ALPINS



J’veux m’engager dans les Chasseurs Alpins
Au moins, Eux, ils ont des chaussettes
De laine blanche coincées dans les brodequins
Et ils n’chassent pas les alouettes

J’aime l’alouette dans le petit matin (bis)

Sur ma poitrine avantageusement
S’étaleront tous mes mérites
Toutes mes campagnes et mes villes, pourtant
Le samedi j’prendrai la cuite

Sans qu’au rapport on l’dise à l’adjudant (bis)

Quitte à monter en grade je monterai
Qui sait Seigneur jusqu’à la lune
Et je serais sûre quand je descendrai
De r’mettre mes pieds dans mes chaussures

Vu, qu’par contrat, elles me sont allouées (bis)

A Allevard à tous les défilés
Sur la place de la Résistance
Face aux touristes qui viendront nous zieuter
Au garde-à-vous servant la France

Le regard fixe je pourrai observer (bis)

J’veux m’engager dans les Chasseurs Alpins
Puisqu’ils en ont déjà soixante
Fières Nanas avec la tarte en coin
Plutôt qu’la soupe dans la soupente

Plutôt qu’curiste à Allevard-les-Bains (bis

Qui ont les pieds g’lés dans leurs souliers !

CERISIER


Spécial Julie mais les photos ne veulent pas passer. Google a des techniciens qui ne connaissent pas Allevard
Voici le texte japonais qui accompagnait les fleurs de cerisier

Le monde
est devenu
un cerisier en fleurs
Ryokan

Sous les fleurs du cerisier
grouille et fourmille
l’humanité
Kobayashi Issa

A l’ombre des fleurs de cerisier
il n’est plus
d’étrangers
Kobayashi Issa

8 MAI CURISTE


Tout est en place pour commencer / La pipette, les gobelets, les prescriptions … et le temps à la pluie. Au moins si la cure ne me réussit pas on pourra dire que c’est la faute du temps. D’ailleurs avec ce gouvernement ce n’est pas étonnant ! Tout se détraque !
« Tous à Cayenne ! » Voilà ce qu’il faudrait pour que ça tourne bien ! Ce n’est pas moi qui l’ai dit, c’est un compagnon de petit déjeuner ! Eh oui on ne choisit pas ses compagnons de table à la pension ! Cela concernait les nouvelles (mort et enlèvement d’enfant ) qu’heureusement une autre curiste peut capter sur son transistor à six heures du matin et abondamment répandre sur les tartines …

J’aurais aimé lui raconter qu’à six heures du matin je me racontais l’histoire de MOITIE DE COQ et que j’ai passé un bon moment. Mais le temps est à la pluie et les curistes à la désespérance. Ma Moitié de Coq serait tombée comme le cheveu d’un chauve sur le café d’un sourd et je me suis abstenue. Réflexion faite je crois que c’est à vous, compagnes et compagnons de blog, que je vais la servir. Certes elle n’est pas encore écrite mais ce sera un exercice contre l’ennui, et mieux vaut aujourd’hui rester en chambre que quêter les averses … Promis ! Je file aux Thermes puis aux Commencements de l’histoire dans ces colonnes. Merci de patienter !

C’est fou comme un 8 Mai à Allevard peut être riche en renseignements ! Ce matin après la cure j’ai interviewé les militaires du Treizième BCA après leur défilé et remise de décorations ( impressionnant les barrettes sur les poitrines !)
Cette après-midi, après la sieste, j’ai suivi la promenade historique dans les rues d’Allevard depuis l’office du tourisme. Intéressant le guide ! Disert et documenté !
J’ai pris photos des uns et des autres et clic et clac !
Enfin je brûle de vous citer amplement Martin Winckler sur toutes sortes de sujets qui me touchent de près, par exemple celui de mon père à moi qui est un sujet hors-père et que j’aurais peut-être à son exemple le courage de reprendre. Je me suis souvenu d’une écriture hâtive et émotive que j’avais jetée sur le papier il y a plusieurs années ( combien ?) mais que je devrais retrouver et poursuivre d’une autre façon maintenant que j’ai un ordinateur et des émotions plus apaisées.

6 MAI CENT CHANSONS


6 MAI

Fête de retrouvailles pour des amoureux qui ont tenu à en faire part aux amis. Ce n’est pas si habituel !

Il y a là avec sa fille et son gendre une autre vieille dame (94 ans) qui chante. Une centaine de chansons sont engrangées dans sa mémoire ma foi fort alerte et la voix également ne tremble pas, s’élance avec hardiesse …
Nous avons eu droit aux chansons classiques, aux chansons coquines ( le métropolitain) et surtout à une chanson inconnue qui parle d’un Maître Pierre maçon. Lequel construit des maisons pour ceux qui n’en ont pas et ne peuvent se le payer. La dame nous apprend que celle-ci est de son père. « Un grand musicien » dit-elle. Un grand maçon aussi vraisemblablement.
Un père qui lui a pourtant refusé les études musicales auxquelles sa voix pouvait prétendre mais, vous savez ce que c’est : une fille, l’aînée de neuf enfants. Il fallait aider à élever les frères et sœurs.
Aujourd’hui les deux garçons sont morts, les sept filles sont en vie.

Je retournerai entendre et enregistrer la dame aux cent chansons.
Son gendre est son meilleur agent ! C’est lui qui suggère des titres et encourage chaque fois qu’elle fait mine de vouloir s’arrêter.
Elle connaît bien entendu « la marion sous on pomi » la Marion sous un pommier qui se « guinganave » c’est la version que j’en avais récolté il y a une trentaine d’années chez nous. La vieille dame dit « dindinave » ce qui revient au même. Mais pourquoi la Marion continue-t-elle, malgré l’âge à se balancer ? Il faudra que je le demande à la jeune fille qui chante si bien.

PS : Tandis que je passais par un charret d’herbe pour couper au plus court, j’aperçois un lièvre qui caracole devant la voiture, toutes oreilles dressées. Arrivé au chemin goudronné il bifurque sur la gauche dans la terre mouillée où les maïs commencent à sortir. Il s’immobilise, plaque les oreilles sur l’arrière, descend d’un cran le dos, puis d’un autre (comme un fauteuil équipé d’un mécanisme électrique pour retraité) et se confond avec la terre. C’était saisissant. Encore quelque chose que je n’avais jamais vu de près : les métamorphoses du lièvre véloce en motte banale.

7 MAI POINTE COURTE


Avant que les orages montagnards et le froid revenu ne transforment les récentes images sétoises en icebergs j’aimerais revenir un peu à La Pointe Courte.
La Pointe Courte, depuis Agnès Varda et son film ( je me souviens de l’avoir étudié comme exercice de ciné-club en stage de la Ligue de l’Enseignement dans les années 60) est bien connue. C’est un quartier de Sète sur l’étang de Thau, un tout petit espace entre mer et étang, filets et parcs à huîtres où vivaient alors une authentique population de la terre et de l’eau. Nous nous sommes repassé le film le soir de la balade … pour vérifier les reflets du blanc et noir dans nos souvenirs.
J’avais oublié l’intrigue amoureuse entre Sylvia Montfort et Philippe Noiret mais pas certaines images de filets séchant sur les piquets. Elles n’ont guère changé, en couleurs cette fois-ci si l’histoire et les dialogues, les voix théâtrales des acteurs m’ont paru … plutôt décalées d’avec le paysage simple et chantant.

« - Tu m’as toujours dit qu’il n’y avait rien à voir …
- Ici il y a du plaisir à vivre
- Ah tu trouves ! Moi pas ! »

La réplique sur le plaisir à vivre ici nous pourrions la garder. Pierre la prononcerait, lui qui frémit comme voile dans le labetch dès que nous apercevons en arrivant l’eau brillant au soleil par les vitres de la voiture. Mais au contraire de la parisienne je répondrais
« Oui je trouve aussi … Il y a du plaisir à vivre ici ! »
depuis que de fréquents séjours agrémentés de la cuisine de la mer et/ou de l’étang m’ont transformée en inconditionnelle de ce pays.

On voit beaucoup de gamins dans la rue étroite, à l’avant ou à l’arrière des maisons basses de pêcheurs dans ce film. Nous avions loué des vélos et c’est presque inconsciemment qu’ils ont pris l’autre jour la direction de La Pointe Courte. Mais mon appareil n’a saisi que deux gosses : un garçon pêchant sur l’étang et une fillette devant sa maison. Pas de voix sonores quêtant l’écho et guettant le contrôleur. Le silence des rues, le soleil, notre visite presque inaperçue et sur le chemin du retour des coquelicots.

5 MAI II JARDINIERE


Il va pleuvoir. C’est annoncé. Les oiseaux n’en ont cure.
La cure pour moi commence demain. Aujourd’hui il convient, il conviendrait que je jardinasse. D’ailleurs la porte à peine ouverte et les cui-cui alentour entendus, le coucou fidèle au poste là-bas derrière les peupliers, le jardin a germé dans ma cervelle pourtant mal labourée de la nuit.
L’appel du coucou c’est l’appel de ma mère, c’est l’appel du jardin. La pelle et le piochon, le râteau, la brouette … C’est l’appel de mai et de cette terre depuis si longtemps la mienne.
Tout au long de mon jardinage je n’ai cessé de bavarder avec vous, avec ma mère. Aussi lointaine et paradoxalement aussi proche que vous dans le matin à frous-frous et dentelles de jardin.
N’est-ce pas que je sais Y faire ? N’est-ce pas que je sais comment ? N’est-ce pas évident de planter à cet âge où les graines ont été prévues dans leur sachet pour en être tiré ? Où les muscles obéissent encore, où la mémoire commande, où le temps s’y prête à nouveau ?
Et donc :
- les courgettes ( mes plants un peu jeunes mais ils n’attendraient pas la fin de la cure) sur un coussin de fumier récupéré dans le champ voisin et ramené avec ma brouette couinante. Ce n’est pas du vol, tout juste de l’emprunt, et de toute façon l’énorme tas ne descend pas sous mon trident.
- -Les haricots, les « beurre » et les « royal », les jaunes et les verts … Ce sera si bon les haricots frais cueillis ! Rien à voir avec des conserves ou du surgelé !
- les betteraves rouges, les carottes, le persil, les oignons blancs avec un peu de terreau par dessus. La terre argileuse d’ici est lourde, et sèche en ce moment. Malgré la préparation fine d’il y a trois semaines elle ressemble à nouveau plus à un chemin empierré qu’à un semis.
- Piquetées aux deux bouts les rangées me font autant plaisir à contempler qu’une lessive à l’étendage.
- et surtout les poti-marron. J’avais semé en godets de terreau les graines achetées le jour même de la dégustation chez Marthe du gâteau au poti-marron. Les plants sont drus, ceux-là je les avais laissés dans la serre au lieu de les placer sous surveillance rapprochée à St Nizier et ils se sont très bien débrouillés tout seuls. Mais je n’avais pas fait attention sur le sachet que c’étaient des courges coureuses. Où trouver la place pour les placer sans qu’elle boulottent le reste ?
Merveille ! (Et compassion de la nature pour mon manque de prévision.) A la terre ( « la terre » c’est le terrain à 300 m de la maison que je cultivais jusqu’à l’an dernier mais que j’abandonne) une bande de plastique noir quelque part du côté des fraisiers a protégé le sol des mauvaises herbes. Il suffit que je la retire, découvre un labour très fin fait par les fourmis, un coup de pioche et voilà mes plants repiqués. Qu’ils s’arrangent maintenant pour grandir et étouffer les mauvaises herbes !

C’est tout. C’est le jardin de mots d’une jardinière d’occasion qui ne sait ni renoncer ni cultiver vraiment. Une bricoleuse (de génie d’accord), une sacrée veinarde ( sa mère lui a greffé des doigts qui aiment gratter les racines, câliner les souches … et taper les blogs avec la « dame » de bois des anciens temps !)

Dire qu’il y en a qui mangent leur première cerise aujourd’hui ! Moi, c’est la première rose qui m’a fait saliver de bonheur !

05 mai 2006

VERCORS COTE DROME


D’abord route forestière en direction des hauts-plateaux.
Le gel a fait éclater les calcaires, ils parsèment la piste en cailloux, en rochers …
La voiture passe pourtant …
Stop ! Cette fois-ci c’est la neige. On fait demi-tour pour le véhicule mais nous allons continuer à pied.
Pas question ! Bien que la neige soit gelée nos pas s’enfoncent par endroits jusqu’aux genoux.
Choix d’un sentier à flanc de côte. A gauche la vallée de la Vernaison. Nous sommes à 1300 mètres. Chemin qui aurait été celui des charbonniers. Mais est-ce eux qui ont construit de pareils murs de soutènement ? Peu probable étant donné la taille des blocs de pierre.

Quelques violettes seulettes …

Devant nous les Grands Goulets …
En bas les villages, St Agnan, Chabotte d’où nous sommes partis …
Pendant que Jean-Claude retourne chercher la voiture nous dégringolons sur Chabotte. La pente est rude. Les genoux geignent et les muscles se tétanisent …

Enfin le hameau ! A Lucienne qui nous reconnaît et propose l’apéritif nous demandons qu’elle nous ramène jusqu’à la maison. Le temps qu’elle aille chercher ses clés et notre guide arrive à notre hauteur. Ouf ! La jonction est faite. Plus de pente ou presque, plus qu’à récupérer sur la vieille carcasse des morceaux d’os à rassembler.

04 mai 2006

GABIAN


Si je suis gabian
C’est pour mieux étendre
Ailes grises immenses
Sur le bleu du ciel
Goéland cendré
Je suis en recherche
Dans le dictionnaire
De quelques élégances
Françaises à souhait
mieux que carnassières
Afin de vous plaire …

Tout blanc de plastron,
chemise empesée
nuque immaculée
Dégradé savant
Recomposition
De la queue de pie
A mode d’ici
Pour costard planant

Braillards, bramants
Comme des gamins
Qui pleurent leur mère
Ou adolescents
Sur les décibels
Qui ne veulent mais
Décrocher ni faire

En ville celui-là
A l’aile en berne
Traverse dans les clous
Sur le toit d’en face
Celui-ci dévore
(Tiens ! Est carnivore !)
Un pigeon blessé.

J’ai cru que cet autre
derrière l’hôpital
était une voix
qui m’interpellait

Le bout du bec rouge
Pour un premier mai
C’est très ordinaire !

03 mai 2006

ESPECES ET VARIETES


« Il est, chacun peut l’observer, des personnes, au physique botanique. Il en est qui évoquent des feuillages, des arbres ou des fleurs : tournesol, jonc, baobab. Delahaye, quant à lui, toujours mal habillé, rappelle ces végétaux anonymes et grisâtres qui poussent en ville, entre les pavés déchaussés d’une cour d’entrepôt désaffecté, au creux d’une lézarde corrompant une façade en ruine. Etiques, atones,discrets mais tenaces ils ont, ils savent qu’ils n’ont qu’un petit rôle dans la vie, mais ils savent le tenir.
Jean Echenoz « Je m’en vais » p 24



De quelle espèce végétale ?
Pierre Bayle( 1647-1706)
« L’athéisme ne conduit pas nécessairement à la corruption des mœurs »

De quelle espèce humaine ?
Cette fleur de rue à Sète (1er Mai)
« Je ne me soucie pas des ressemblances et analogies : je fleuris ! »

FIN DE VIE


La vieille dame

Je marche avec sa fille. La vieille dame s’appelle A. comme moi en second prénom.
J’ai proposé à N., un peu de promenade autour de l’hôpital, sans l’appeler par ce prénom entendu quand elle chuchote des tendresses à sa mère et se nomme, espérant se faire reconnaître. Je ne lui ai pas donné mon prénom, peu de renseignements sur moi si ce n’est que moi aussi j’ai attendu devant un lit où était ma mère ce que je savais être le dernier parcours.
N. me raconte sa famille. Seule, (elle n’est pas mariée) elle a toujours vécu avec sa mère, dans la maison que ses parents avaient achetée. Et pêle-mêle les malheurs : la chute de maman, la cécité du père puis son décès, le suicide du frère entraînant dans la mort sa femme et sa petite fille.
La vieille dame est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Sa sœur aînée vient de mourir à 98 ans mais N. lui a caché cette mort. Depuis Novembre A. ne va pas bien. Elle arrache les fleurs au jardin sous prétexte de désherber, toute l’allée des jacinthes. On ne peut plus la laisser seule et N. se culpabilise de l’avoir amenée en vacances ici sur les conseils du médecin. Deux jours de répit puis une chute et l’opération qui laisse sa mère affaiblie malgré les transfusions de sang.
Avec précaution je suggère : Peut-être qu’inconsciemment Andrée sait que sa sœur est morte et ne va pas bien depuis …
Nicole me raconte alors :
Le jour anniversaire de la mort de son plus jeune frère, sa mère de plus de 90 ans la réveille dans la nuit. Elle est radieuse. Elle lui demande de l’aider à accoucher de son fils. Elle écartait ses jambes pour que l’enfant naisse. C’est un garçon ! Elle voulait tant avoir un garçon ! Est-il beau ? N’est-ce pas qu’il est beau ! Sa fille le lui confirme. Le lendemain A. a tout oublié.

Le vieux monsieur de la chambre à côté qui appelait samedi sa femme décédée, puis dimanche « Papa » puis lundi « Maman » s’est tû.
Il était seul au moment de mourir.

BIEN SUR ...


Bien sûr ! Il y a vieilles grands-mères
Qui refusent de continuer
Manger, ouvrir, refermer
A quoi bon puisque c’est encore
Reculer l’heure de Male mort

Papa,Maman ! où êtes-vous ?
Dans des grottes sombres j’appelle
Personne ne répond que celle
Qui de force veut m’alimenter

Bien sûr ! Ces filles s’impatientent
Menacent, câlinent et pourtant
L’une d’elles fut cette enfant
Que je grondais … qui me harcèle

Bien sûr ! je suis dans une chambre
Dont je ne détiens pas la clé
Bien sûr je pourrais me sauver
S’ils n’avaient retiré mes ailes

Elles sont cachées dans le placard
Elles sont tombées dessous le lit
Bien sûr Demain est bien fini
Et Hier m’attend à la gare

J’ai beau les battre avec mes poings
J’ai beau marmonner des paroles
Injurieuses, plus rien ne frôle
Le creux du réel ni mes mains

Laissez-moi ! Rien qu’une prière
Pour me permettre d’accoster
Là-haut sur la pointe des pieds
Sur l’autre bord de la rivière

Pouvoir enfin m’y reposer