Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

30 septembre 2012

d'été à automne


Du 23 juillet

Dans la serre il y a le matin à trois branches
Il s’élève soudain. Il est fier, accordé
C’est un matin nouveau venu pour rassembler
Et ce jour qui s’annonce a du pain sur la planche

Sur ma planche il y a bien sûr quelques misères
Souvenirs sournois, regrets mal digérés
Peurs de manquer le train  ou de l’avoir manqué
Mais ce thé du matin dessille mes paupières

Un bourdon sur les flancs de la fleur bourdonne
Pénètre jusqu’au cœur, ne craint ni ne mesure
Se nourrit et féconde, excite et rassure
Travaille pour très peu et pour en faire des tonnes

Au bourdon du matin j’emprunte ma romance
Je cueille dans mes mains la première tomate
Juste un brin de persil pour forcer l’aromate
Celui qui le reçoit connaît-il bien ses chances ?

Qu’importe ! il n’a pas de compte à me rendre
Puisqu’il passait par là je veux bien faire avec
Avec lui et le jour, des deux yeux et du bec
Sans compter que la serre a de l’or à renvendre

28 septembre 2012

le terrassier de l'aube


Le terrassier de l’aube


Il se sentait toujours la tête coincée entre deux lignes. La maison s’effondrait sur lui. Les poutres lui retenaient le bras qui tentait de propulser la main vers un mot supplémentaire, un seul, celui-là, comme le bouquet final que les maçons hissent en chantant sur le faîte. Mais tous ses efforts ne servaient à rien. L’inauguration se refusait à lui. Si proche d’être habitée la maison se lassait du vide et renonçait.
Ecrire c’est avancer seul sur un chemin, repérer l’emplacement de la halte, croire. Bâtir à l’encontre des lois mortelles. S’élever avec l’édifice et défier l’équilibre en construisant l’échafaudage.
Il compensait dans cette position inconfortable pourquoi il avait toujours été tant ému par le moindre petit appel du plus petit des charpentiers. C’était - il le savait à ses dépens – chaque fois la première et la dernière tentative pour donner un sens à la route, fixer l’espace, amarrer le temps. Croire. Le crier sur les toits.
Sa respiration s’essoufflait. Il tenta de dormir. Mais sa tête dans cette immobilité forcée, grouillait de fantôme de mots. Ils le narguaient, sautillant de plus en plus près pour mieux s’échapper. Il s’exhorta à l’effort de mémoire. Il déroula une page immatérielle devant lui pour y loger les mots de passage. Les lier d’un ciment prompt. Il se rappelait toutes ses émotions diverses quand il visitait les chantiers de ses semblables. Admirant étourdiment toute construction, de la timide à la plus effrontée, de la voluptueuse à la plus froide ou cynique. Celle qui hoquette dans tous les sens et celle qui coule de source dans le chuchotement paisible des gouttes. Mais son effort resta vain. Sa mémoire, comme le bras, s’alourdissait, fourmillait encore par endroits jusqu’à ce qu’une léthargie totale l’emportât avec les doigts gourds, avec la feuille évanouie, avec l’équation inachevée. S’efforçaient même les deux lignes fatales sous ses yeux clos. 
Fatigue fatigue fatigue.
Il s’endormit. La poitrine dégagée arrêta de geindre à petits coups. L’humidité de l’aube le réveilla sur l’herbe. Les étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.
L’imbécile ramassa ses outils et se mit à creuser, en dehors des décombres, un terrier pour les lapins de l’aube.

25 septembre 2012

le bon sens ...


« Cathédrale … large, long, royal
D’une majesté magnifique avec, en sa dernière syllabe, ce grave et vaste retentissement de voûte profonde

Crépuscule … où s’allongent, dans une ombre bleue, de doux U lointains et graves comme le rêve d’un chant de flûte »

Marie Noël

La cathédrale est comme moi du matin. Elle s’élance, elle reflète. Elle en doute pas.
Au crépuscule il suffirait que je l’invoque
Que j’inverse le courant
Que je trouve le vitrail illuminé

Patience ! A force de crépuscule transfiguré ta cathédrale percera la brume.

24 septembre 2012

la parole écrite


"Que dire de la parole écrite ?"
Georges Bernanos Les grands cimetières sous la lune

Elle reste cette parole contrairement à l’autre qui s’envole, c’est bien connu, le proverbe le dit.
Elle reste, elle est déposée. Tandis que la voix sonore tombe comme la pluie et s’évapore, la parole muette est la terre fécondée.
On peut la cueillir, longtemps après son émission, de saison en saison, de siècle en siècle. Qualité de la graine robuste qui reproduit la graine. Hasard de la fécondation qui peut s’interrompre aussi bien ;
Pourquoi ai-je eu cette fascination pour la parole écrite dès mon plus jeune âge ?
La lecture m’absorbait totalement, me rendait audacieuse, dissimulatrice. Pour m’adonner à mon vice ( selon ma mère responsable de ma myopie et de mes faibles mollets) je me serai faite voleuse, brigande des grands chemins.
C’est par l’écriture que j’ai laissé les hommes s’approcher de moi. D’où un erreur d’appréciation quand leur voix réelle frappait mes oreilles j’espérais une autre musique. Je leur refusais le bénéfice du doute : leurs lettres devaient témoigner de l’immortalité de leur âme ! les condamnaient à ne devenir que les médiocres accompagnateurs de la banalité de mes jours. Et je continuais de reporter sur les Hugo, Musset and Co mon attention béate et mon admiration nocturne.
Déçue toujours évidemment … cherchant toujours l’admirable assemblage d’un corps qui bande et d’une main qui trace, équilibre, sonde, fonde et multiplie. L’amoureux écrivain quoi ! l’écrivain amoureux ! l’impossible et le solide ! bref !
Mais à défaut, à force de tourner vers ma seule écriture toutes mes forces et tout mon temps, il m’arrive de voir apparaître dans le miroir de la page écrite un visage qui s’amuse à me dévisager.
Et je ris !

22 septembre 2012

Il y a de la vie après 70 ans: Poissons hors d'eau

Il y a de la vie après 70 ans: Poissons hors d'eau

Bobo !


«  les soldats chargent leurs fusils »
                                    SHAN SA «  la joueuse de Go »

Instinctivement je lève les bras en l’air
Puis les abaisse aussitôt et, en un geste vif, dicté par la nécessité et la déesse, je relève ma jupe, ouvre les cuisses, projette le bassin en avant et met en évidence ma zone sensible et dénudée.
Un éclat de rire s’élève haut dans le ciel, cascade sur les nuages, rebondit, dévale les pentes, annexe l’endroit et l’envers du décor.
Pliés en deux ! pliés en deux le fusil désarmé, les soldats … Même la petite crapule d’adjudant de mes fesses est hilare.
Cependant leur regard unanime quitte la zone sensible, remonte jusqu’à mon sourire, redescend, oscille …
Merci Bobo ! Quelle bonne idée, quelle juste et utile inspiration tu m’as donné ce matin de ne pas mettre de culotte !
Un peu de plus j’y passais ! C’est qu’ils auraient tiré les cons ! c’est que j’y aurais laissé ma peau dans cette guerre des sexes …
Je profite de leur inaction, de l’incertitude de l’adjudant pour détaler comme un lapin.
Et sans me retourner.
Dans mon dos j’entends le gros rire se rapetisser, les fusils décharger dans le vide.
«  Merde un coup pour rien ! » pense le comptable du régiment qui se demande comment il va équilibrer les contes.
Qu’il se débrouille !
Qu’ils se débrouillent tous autant qu’ils sont, les juteux, les pète-sec, les frères, maris, voisins, cousins, notaires …
Parle à mon cul ! ma tête est malade !

21 septembre 2012

Conter content

tout son comptant ...

« Infiniment tenaces … ou capturés par le lasso qu’on jette ? En tous cas tirés des silences de mort par l’appât invisible. Infiniment vivants par l’espoir du mot juste en bonne place. »
«  Transmettre le regard, le geste, le geste de regarder. Juste cela. Les mots ne sont qu’illusion s’ils ne s’accompagnent pas du geste, du faire. »
« Tendre la main, le geste, à cette image de beauté saisie par l’intention du regard juste, même si la main hésite, même si le mot, selon l’instant, bafouille. Les mots ne sont qu’illusion s’ils ne vivent que dans le silence des pierres »

le fil et le bouton
c’est nous qui les liaine
le fil et le bouton
c’est nous qui les lions
                        Contez Contons
Contons à la fontaine
Contez Contons
Accordons nos violons
La trame et la chanson
C’est nous qui les tissaine
La trame et la chanson
C’est nous qui les tissons
                        Contez …
Chaînes en travers du pont
C’est nous qui les brisaine
Chaînes en travers du pont
C’est nous qui les brisons
                        Contez …
Et jusqu’en Avignon
En Villard ou Fontaine
Et jusqu’en Avignon
Dansons et danserons
                        Contez Contons
Des mots faisons fredaine
Contez Contons
En phrases et rigodons

20 septembre 2012

Années


« Les années sont de sable avec quoi joue le vent » William Faulkner

Faut-il couler le sable entre tes doigts tremblants ?
Tamiser sans relâche pour ne garder que pierres
précieuses évidemment.
Balayer les poussières
                 avec acharnement ?
Puisque tu ne peux rien sur le passé qu’il dorme !
Qu’il dorme calmement dans le lit de tes songes !
Et sur ce sable clos dans l’eau de la rivière
regarde en profondeur les volutes du vent.
Le vent n’est pas inepte, le vent est un poète
Laisse-le, vent du large, vent frais et vent debout
caresser tes paupières !
Les années seront fières
de s’être déposées fond de teint sur tes joues
et roses sur tes lèvres

     Hymnes autant que prières
Brume autant que bijou.

19 septembre 2012

effort ...


« On sait incomparablement plus de choses en s’ennuyant qu’en travaillant, l’EFFORT étant l’ennemi mortel de la méditation » Cioran

Oh oui ! oh comme je comprends sans effort ce que veut dire, proclamer, sous-entendre, sur-composer ce Mr Cioran.
L’effort je connais ses effets, ses tendinites, ses maux de tête, ses élancées vibrionaires dans les oreilles, ses TGV hurlant dans les petites gares sans s’arrêter.
Or donc :
S’ennuyer pour écouter, sentir, goûter en toute quiétude
Qui étude ? qui es-tu quiétude ? j’aspire à te connaître mieux. Sans t’invoquer, sans te poursuivre, sans convoquer de maître et d’esclaves pour m’assister.
Assistons-nous nous-mêmes. Asseyons-nous. Restons couchés. Dressons-nous sur un séant qui nous sied.
Le temps s’arrête. Le temps ne se mesure pas. sans montre, sans Internet, sans béquilles d’aucune sorte je reste là.
J’écris. Ce n’est pas de l’ennui. C’est de l’aise. Ce n’est pas du pipi de chat : c’est un petit rosé coupé d’eau, juste à la bonne température.
Mon petit fils s’indigne déjà, à peine embauché, d’avoir à donner 2/3 de son temps à un patron.
J’essaye, du haut de mon expérience à la retraite, d’apaiser son indignation et d’ajuster la proportion
D’accord ! concède-t-il. 50 0/0

Bien sûr le rapport au temps serait de s’amuser à 100 0/0 en travaillant.
Vue de l’esprit ?
Je m’interroge : pourquoi les travailleurs qui triment dur en temps de travail, se passionnent-ils au repos en efforts contraignants ? je les vois haleter, poussant leur carcasse sur les chemins du jogging. J’entends les machines pompes, compresseurs, tondeuses, taille-haies en vue d’agrandir la maison, le parc, le garage, l’atelier …
Ils n’en ont jamais fini de s’efforcer.
Pour moi qui fut longtemps des leurs, qui l’est encore hélas, je songe à créer une école d’apprentissage du non-effort … avec ou sans méditation à la clé des champs.

Rentrer en automne


18 septembre
Revenir c’est retrouver la table, et les entassements de livres, de papiers, se dire qu’on va ranger bien sûr, mieux, une nouvelle fois, encore, peut-être …mais il semble y avoir plus urgent de dire, de lire, d’écrire que de ranger.
C’est un papier qui se glisse de lui-même sous la main et qu’on déchiffre :
«  il me tarde de savoir si vous êtes tous les deux en bonne santé, pour moi je suis très bien et continue d’avoir le bon moral devant les hommes ; il n’y a que lorsque je suis seul, le soir avant de m’endormir que le cafard vient un peu me chatouiller, enfin j’ai du courage et il te faut toujours en avoir : tant que la vie reste il faut espérer, et j’espère beaucoup.
Ton mari qui t’adore pour la vie
Une grosse grosse bise à notre petit poulet que j’aime beaucoup aussi
Ton mari pour toujours
Roger » c’était en 1939, le petit poulet est septuagénaire

Nous venons de lire « L’année des vaincus » d’André Chamson. Encore une plongée vers ces lointains de nos parents avant et pendant la guerre.
Le matin mais aussi dans la journée nous nous faisions des séances de lecture à haute voix. Nous étions pris tous les deux par le style, la vérité qui se dégageait, notre voix parfois se brisait : 

" on ne tuera jamais le dernier homme Carrière. Il en restera toujours un pour attendre le jour qui n'est jamais venu. Le jour de quoi ? Le jour où chacun sera respecté à sa mesure, dans sa vie et  son travail /.../
Il y a une force dans la vie. On ne peut pas changer l'espoir des hommes. /.../
Tu n'as pas besoin d'avoir peur de cette année Carrière."

Et donc je n’ai pas besoin d’avoir peur de cette rentrée. Rentrée des classes. Rentrée parlementaire, rentrée des clubs et associations, rentrée de la chasse : ah celle-là comme j’ai du mal à l’accepter !
Les choses recommencent. Chacun rentre pour le mieux dans la nouveauté et l’adaptation aux choses de la vie.
Mais il est bon de se remonter le moral par quelques préceptes de bon sens :
Ainsi ceux d’Alain dans les « Propos sur le Bonheur » dont j’ai fait ma bible
« La bonne nouvelle, c’est que les hommes ont juré d’être contents, de tout résoudre, autant qu’ils le pourront, par joie et amitié, ce qui est penser printemps en janvier. Je vous souhaite de penser printemps »

Je vous souhaite de penser printemps pour votre rentrée.

17 septembre 2012

fermer l'été


Je ne sais pas si c’en était
Ça ressemblait à du bonheur
                        Il faut fermer l’été

Quand les Marions vinrent à passer
Je ne sais pas si c’en était
On a mangé la tarte au beurre

Que dire du soir qui en partant
Mit sur Pierre des cheveux si roses
Que les roses furent éclipsées

Et nous déclamions le poème
Au bord du puits comme autrefois
Sans oublier nos chapelets

Chapelets  chapeaux  améthystes
Le hamac se balançait
Au tic tac des petites filles

Et Pierre aimait. J’aimais son nom
Un nom qui tinte

Je ne sais pas si c’en était
Ça ressemblait à du bonheur
Elles sont bonnes les tartes au beurre

Vite, sans précipitation
Rentrer les courses
Garder les graines
Prévoir de remplacer la roue
On arrive au fond du mois d’Août

Ce temps qui tourne à la fontaine
L’arrêter près de la maison
Le temps d’une respiration

Plus haut que le vol des corbeaux
Insoucieux de leurs cris hostiles
Nous avons planté et cueilli

La vie est ce doux monticule
À pas de taupe ou de fourmi
Qu’on égratigne et qu’on emplit
Et l’été une fois fermé
Une fois  une fois encore
Nous partirons pour raconter

Qu’en été le cœur bat plus fort