Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

24 avril 2008

TOUT MON TEMPS 3


Quand Dieu viendra
car il est gente et brave
me demander:
"Veux-tu enfin finir?"
Je répondrai
pensant aux camarades
que j'aime tant
"Encore un peu Mon Dieu !"


Dieu, sans nul doute,
ayant bonne logique
bonne mémoire
bonté totalement
se souvenant
de mes hoquets plaintifs
insistera bien sûr un moment

Moi qui gardais
en cave une bouteille
pour la vider
avec Jeanne et Féruce
je répondrai
"Encore une merveille
Encore un soir
Encore que je m'amuse ! ”

Dieu, le coquin,
sentant que je m'accroche
profitera
de tous mes arguments
"Encore dis-tu?
encore tes sales mioches
Et tes amours
qui font mal si souvent ?"

Moi qui connais
Dieu comm's'il était homme.
devinerais
sous ses propositions
1'affreux désir
que j'aille faire sa bonne
au paradis
pour chanter ses chansons

Merci mon Dieu
de m'aimer comm' toi-même
Merci Mon Dieu
d'avoir pensé à moi
Attends un peu !
J'ai à leur dire que j’aime
"Gardez bien tout
jusqu'à c'que je revienne (bis)


Gardez les fleurs !
Cerises et groseilles
Videz ma cave
et occupez mon lit !
Je vais mourir
Demain sera la veille
Je veux mourir
par excédent de vie

Je vais mourir
par excédent de vie !

23 avril 2008

TOUT MON TEMPS 2


Bien entendu c’est toi, maman, qui arrive la première sur les traces des mots, les précédant même … « tout mon temps « c’est toi qui as soufflé l’amorce, allumé la mèche avant même que je m’allonge sur le lit, toi qui as tendu le crayon, le cahier …
C’était bien rarement pour te l’accorder que tu signalais à notre attention, à nos convoitises, ce temps vacant,. Du temps, tu n’en avais jamais « à toi » « jamais une minute » jusqu’à ce que le temps passé ralentisse tes mouvements, plombe ta pensée, et le temps libre d’obligations devient étrangement un temps esclave du fauteuil, de la nostalgie, de la fatigue de vivre …
« J’ai la dure » me disais-tu au téléphone, ce qui en raccourci signifiait « le temps me dure … de toi, de vous mes enfants.
« Mes enfants » ta dernière supplique avant de fermer les paupières.

Bien que j’arrive aux mêmes rivages de « la dure » je me sens encore du temps devant moi …

22 avril 2008

LA VIEILLE REVAIT


La vieille qui rêvait d’amour

J’ai encore en moi des valses brûlantes
Des rêves en soie, des patins d’argent
Venez écouter mes chansons dormantes
Mes levers du jour en peau de frissons

La vieille écoutait sur le pas des portes
Un vent inconnu venu de la mer
La vieille riait : quand la vieille est morte
Sur le vieux faubourg monta un couplet

J’ai encore en moi des bouquets de roses
Des soupes au pistou, des châles en velours
Venez prendre souche sur le bord des choses
Et vous reposer dans mon lit d’amour

Tout un jour suivirent sur la route plate
Le long corbillard des vertes années
Les conseils rusés où sans crier gare
Elle leur annonçait retour de l’été

Et chacun, pensif, heureux de comprendre
Repartit pour vivre au fil des saisons
Gardant dans les yeux ce long regard tendre
Qu’elle laissa pour eux sur le paillasson

21 avril 2008

TOUT MON TEMPS


TOUT MON TEMPS

Le train part à 13 H 46
Il est 9 h quand je rentre à l’hôtel après avoir accompagné Pierre à la station de métro, lui rentrera en voiture
J’ai tout mon temps : une matinée entière, exclusive, mienne, à Paris
Paris capitale de la France et donc ma capitale depuis 15 jours, que je vais quitter sans hâte pour rentrer dans mes pénates
Hâte … pénates … tout mon temps pour faire rimer les mots à leur allure, à leur courbure, à leur voilure …
Tout mon temps pour les coucher sur papier de la pointe de ma (bonne) mine de crayon car je viens de m’apercevoir dans un inventaire- nettoyage de sac que je n’ai pas mon stylo noir à dessiner et à écrire …
Zut !
J’aurais bien eu le temps ( et l’argent) d’aller en acheter un autre en bas de l’hôtel « Acacia », rue Parmentier, mais ce serait couper une rondelle de ce temps attablé devant les rideaux, face aux toits, au ciel et au soleil

Retarder les effluves du temps sur la page blanche
Henri Thomas « je vis pour ces heures du matin où l’oppression a disparu, cédant à la légèreté de l’accord spontané avec les choses qui surgissent comme moi de la nuit » … « la réalité non formulée traversée d’ondes et de rayons »

Je me suis allongée sur le lit. J’ai fermé le grand jour derrière le rideau, j’écoute la petite chambre, mes viscères, mes neurones et tout le tutti quanti qui nous constituent la chambre, moi, en espérant une rupture bienheureuse, une césure du temps, un sommeil … et puis non ! la ronde des mots affamés a investi l’espace, les mots, les images, « tout ton temps et alors ? » chantaient-ils ? « que vas-tu faire de nous ? ici, présents, disponibles … »
Bon d’accord ! j’ai tiré le rideau en sens contraire, déplacé la table et la chaise vers la lumière du jour

20 avril 2008

L'OISEAU DU MATIN


Un invisible oiseau dans le ciel a chanté

A 5h 36, je viens de vérifier.
Au carrefour de l’aube
il a posé ses pattes
et laissé faire son gosier

Petit oiseau que je devine
sous les branches du sapin bleu
Je connais ton rythme et tes rimes
si je ne te suis pas des yeux
J’entends ton appel au matin
Dommage que je ne puisse te suivre
dans tes trilles si haut perchées !

Oiseau ! oiseau ! peut-être merle
Peut-être pinson ou loriot
Pourquoi te tais-tu maintenant ?
Pourquoi vas-tu prendre sommeil
à contre temps ?
Si le matin que tu réveilles
est déjà pris dans le hallier
Ne va bailler aux corneilles
quand il a tant à chanter
quand il y a tant enchanté
que je suis là pour t’écouter !

ELLES LE SONT TROP

.
la belle fille qui offre ainsi son visage s'occupe à rendre les femmes encore plus belles : elle est maquilleuse professionnelle. Elle opérait ce jour dans une pharmacie et je suis passée sur le fauteuil ! la photo témoin de mes transformations se trouve quelque part dans un album.

Réponse instantanée à la proposition d'écriture :

Elles le sont, certes ô combien, elles sont Elles et nulles autres et il leur en a fallu du temps pour l'imposer. Elles sont femmes de la tête aux pieds, la tête non couverte de voiles noirs, les pieds non rétrécis par des bandelettes. Mais chaque génération, chaque civilisation s'arroge à un moment donné le droit de les définir, le droit de parler à leur place. Alors, de rage, de lassitude, elles le sont trop. Trop bavardes, trop exubérantes, trop offensives, trop dénudées. Elles foncent contre la muleta et elles s'y blessent. Fortes de leur légitimité à être, elles divaguent dans des eaux troubles de l'AVOIR encore et davantage. Davantage de familles, davantage d'amants, davantage de photos dans le journal, davantage de désirs, de preuves ... Elles se perdent en revendications dépassées, elles hurlent contre les chiens alors qu'ils se sont tus. Dans cette époque du trop et du n'importe quoi n'est-ce pas à elles de freiner ? De retrouver les équilibres, les mesures, les justes milieux ? J'ai peur pour elles, mes filles, mes petites filles. Trop volontaires, trop opiniâtres, trop courageuses, trop en première ligne. J'ai envie de les apaiser, de les protéger, de les bercer ... Qu'elles jouent à la marelle ! Qu'elles abandonnent la cour des grands ! Qu'elles soient belles et ignorantes de leur beauté ! et surtout, ô surtout ! qu'elles reviennent me demander de leur apprendre à tricoter ! Elles sont trop occupées, je ne les vois pas assez ! Elles me sont trop indispensables.

18 avril 2008

LES P'TITS BRUITS DE PARIS


Mercredi 9
Les p’tits bruits de Paris

C’est la radio voisine : ils viennent de se lever
mais comme c’est mercredi les enfants vont rester
C’est la petite voix joyeuse au déjeuner
qui épluche ses comptines dans son grand bol de lait
Et c’est toute la famille qui reprend au refrain
C’est le marteau qui cogne dessus l’échafaudage
On restaure les façades. J’imagine le grand noir
au sommet de l’échelle. Il crève avec le chef
un nuage en plein ciel. Et la pluie dégringole…
Oh une petite pluie sans beaucoup d’conviction.
Hier c’était la neige qui tombait à tâtons.
Les Parisiens frileux en étaient tout babas
Et puis, évidemment, c’est les voitures qui roulent
sur l’boulevard Parmentier. Un gratin habituel
tout juste un p’tit soufflé
à cette heure du matin où Paris s’débarbouille !
Dans ma tête y a plus trop de flics et de flaques
Mes chansons sont livrées. J’vais rentrer dans ma boîte
Vérifier si lundi l’train partira à l’heure …

C’est la fille de province qui est contente de l’histoire
qu’elle vient de se raconter. Suffisait juste d’y croire !
Enfin c’est un pigeon sur le rebord du toit
qui salue l’hirondelle descendue des montagnes
avec, me semble-t-il, des tendresses dans la voix.
Un roucourou moqueur et complice à la fois !

17 avril 2008

FEMMES



Retour. Très vite un retour passe, après le blog, par l'atelier d'écriture, la photo vient du musée Cognac Jay

Oh ! ce qui jaillit instantanément c'est la chanson que chantait mon père, que tout le monde chantait aux repas de vendanges, aux moissons, aux mariages et banquets de 20 ans. "Femmes que vous êtes jolies !" et moi de l'entendre, la belle chanson, moi, titoulette, dont la tête n'arrivait pas à la hauteur de la table de cuisine, je me gargarisais de ma nature féminine triomphante. Femme que j'étais, que je serai jolie " quand je porterais un voile blanc" " avec mon bonheur de maman " etc ! ... Une vie de café-concert, de théâtre. Je voyais bien dans les champs les dos courbés vers la terre des femmes de ma race, de ma tribu. Je voyais sur les mollets les varices dues aux longues stations devant les métiers à tisser dans les usines, J'apercevais les rages, les larmes des femmes battues, des femmes avilies, ignorées, méprisées. Mais il y avait, plus fort que tout, le refrain qui revenait sans cesse. "Femmes que vous êtes jolies" et je comptemplais la blouse blanche de ma maîtresse d'école ! (Tiens! elle vient de mourir Anna, toujours aussi belle jusqu'au dernier jour, grande, svelte, forte, immortelle dans mon souvenir ) . Alors j'ai rassemblé toute mon énergie pour ressembler aux jolies femmes, j'ai appris, j'ai répété ce qu'il fallait redire, j'ai enseigné, filles aussi bien que garçons, dans la joie d'affirmer " que vous êtes beaux !" J'ai mis du rouge à lèvres, j'ai cousu, j'ai dessiné, j'ai brodé, j'ai labouré, j'ai planté. bref ! je me suis faite joliette!

FLAMME OLYMPIQUE


Mardi 8

Je n’aperçois la flamme olympique bousculée qu’à la télévision.

Relire Hésiode :

« Maintenant aux rois, tout sages qu’ils sont, je conterai une histoire. Voici ce que l’épervier dit au rossignol, au col tacheté, tandis qu’il l’emportait là-haut, au milieu des nues, dans ses serres ravissantes. Lui, pitoyablement gémissait, transpercé par les serres crochues ; et l’épervier, brutalement lui dit : « Misérable, pourquoi cries-tu ? Tu appartiens à plus fort que toi. Tu iras où je te mènerai, pour beau chanteur que tu sois, et de toi, à mon gré, je ferai mon repas ou te rendrai la liberté. Bien fou qui résiste à plus fort que soi : il n’obtient pas la victoire, et la honte s’ajoute à sa souffrance. » Ainsi, dit l’épervier aux ailes éployées. Mais toi, Persès, écoute la justice, ne laisse pas grandir en toi la démesure. La démesure est mauvaise pour les pauvres gens. »

La flamme s’offrait pour les Dieux autant qu’aux héros vainqueurs. Elle éclairait la vaillance, la force, la beauté, la justice aussi bien des uns que des autres. Elle ne justifiait ni les annexions ni les emprises totalitaires.
Pauvre flamme vacillante aujourd’hui, cahotant entre des haies de déshonneur.

16 avril 2008

DEMOCRATIE


vendredi
« Toutes les précautions étaient prises pour permettre à tous une participation égale et éviter l’emprise des privilégiés. Certaines de ces précautions remontaient assez haut dans le temps : le tirage au sort pour toutes les magistratures, le panachage des désignations, permettant de grouper des éléments sociaux différents, et de réserver une représentation égale à toutes les tribus, le groupement des magistrats en collèges, le contrôle exercé sur eux, par l’assemblée du peuple, avant leur entrée en charge et à la fin de leur gestion ( limitée à un an pour toutes les fonctions sauf celles des stratèges) : tout fut mis en œuvre pour que la démocratie devînt le gouvernement par les citoyens, et que tout dût passer par leurs décisions. » ( Pourquoi la Grèce, Jacqueline de Romilly)

« Quand on pense qu’on appelle les lieux de débat « forum » pour faire croire qu’on a retrouvé la beauté de la démocratie antique : calmons-nous ! A Rome ou à Athènes, autant qu’on s’en souvienne, on n’a jamais vu un citoyen digne de ce nom avoir l’immense courage d’émettre un point de vue devant la République rassemblée avec un pseudo ridicule en forme de faux nez sur la tronche pour éviter d’être reconnu. Et puis cette fois avec les sites qui entendent noter les médecins, les profs ou toutes autres professions qui reposent sur une nécessaire autorité, on a basculé dans un autre registre » François Reynaert freynaert@nouvelobs.com

Est-ce que je me sens démocrate en démocratie ce matin ? heu …
- J’avance sur Internet avec un faux nez, mais si mal fixé. Et puis qu’ajouterait mon nom anonyme à ce que j’écris ici, sans titre journalistique ? mais la réflexion est juste ; Internet ne saurait être l’assemblée du peuple.

- Est-ce que j’ai participé ( par vote interposé) aux décisions me concernant et concernant mon pays ? Ben ! non ! enfin surtout celles que j’ai du mal à digérer en ce moment : l’envoi de 750 soldats supplémentaires en Afganistan, la réforme des programmes scolaires à la maternelle et en primaire faite en dehors de ceux qui se coltinent journellement avec la réalité des enfants et leurs difficultés d’apprentissage …

- En tendant ma pièce au pauvre bougre qui campe à la rue sous sa couverture, en évitant le regard éteint du gamin rivé devant la boulangerie, l’anathème du travailleur en communication qui arpente les voitures du métro distribuant son billet explicatif, je ne fais qu’esquisser un pas de danse devant les problèmes. Peut-être faudrait-il peu pour qu’ils deviennent les problèmes de tous exposé clairement sur l’agora …
Mais tant de monde qui déambulent, tant de problèmes à marcher dessus et moi, si p’tite …

PERSONNES ET PERSONNAGES


Mardi, M2, J3

PERSONNES ET PERSONNAGES

Depuis que nous sommes parisiens à temps complets j’ai installé quelques personnages tout près de moi dans l’appartement ( petit mais courtois). La ménagerie de mon tabernacle est restée à St Niz, hors de portée. Ouf ! oubliée !
Bien que refermée dans la boîte du livre certains de ces personnages remuent encore, tapent sur le couvercle, obtiennent que j’ouvre et que je leur redonne de l’oxygène. Ceux en particulier de Thyde Monnier dans « Les Travaux » Ils m’ont serrée de près deux nuit et trois jours. C’est moi qu’ils avaient ligotée. De tous, mais tous me retiennent, VINCENTE s’incorporait le plus à moi. Elle parlait avec les mêmes mots, observait les mêmes choses, avait la même assurance pour préférer le devoir à la passion, et le même feu pour faire voler ses cotillons. Elle habitait au plus près de mon enfance et les travaux d’installation de l’électricité au village avec les ouvriers de passage, frondeurs et arrogants, ressemblaient en beaucoup de points sinon à tous aux travaux de la nouvelle route et de reconstruction du pont d’Evieu après la guerre chez nous.
J’ai découvert en fermant le livre que Thyde ( ? un prénom ? Un nom de famille ? ) a achevé de l’écrire en 1944, à St Pierre d’Allevard. Y a t-il encore trace de son passage en ce pays que je connais assez bien ? Il faudra que j’aille enquêter.
A Vincente a succédé ANNA de « L’Alouette au miroir » ( Christine de Rivoie) sortie des pages et de l’étagère dans cet appartement. Changement de milieu social, d’écriture, d’époque mais encore une fois les personnages de femmes avec vision de femme. Et j’admire tout à la fois la composition et la densité juste de l’écriture. Comme je les admire ces deux Nénettes ( c’est pour les rabaisser que je les qualifie ainsi) d’avoir mené si loin leur projet jusqu’à cette réalisation pleine et entière.
En somme, je dis ce matin à Pierre, je n’ai pas à écrire ces romans que tu me réclames : le boulot est fait et bien fait. En somme … le soleil revenu … je n’ai qu’à me consacrer à ces petites chansons que je suis seule à promouvoir et qui vont bientôt s’élancer sur le pavé parigot, et à leur offrir démarche souple et souffle tenu.

Les femmes ! C’est encore elles qui surveillent, ornent, protègent les tombes du Père Lachaise. Frileusement enveloppées de voiles, parfois pointant un sein audacieux ou s’élançant, muses incorruptibles, imputrescibles dans les airs … le plus souvent femmes veillant des hommes illustres. Quand il y a une stèle aux allures mâles c’est au défunt qu’elle se rapporte directement, à ses décorations terrestres qu’elle est consacrée. Dans les romans au moins, que ce soit sur terre ou dans le ciel, il y a égalité de traitement entre la statue et la stature !

N’empêche que quel que soit l’intérêt pris à ces personnages bien campés, j’apprécie qu’on sonne à ma porte et que pénètre en mon logis une personne en chair et en os, en guitare et chansons !
- Salut Gigi !
- Salut Pascale !
Au boulot !

01 avril 2008

LUNDI 31



Lundi 31 Mars

Le père Lachaise était un bon père sans doute, préoccupé de confort post-mortem pour ses semblables …
Ses semblables : généraux, chanteurs, poètes, musiciens, drogués et alcooliques, notables et diplômés, femmes de bonne ou mauvaise vie, tous couchés au printemps sous quelques fleurs, beaucoup de mousses, des croix branlantes, des pierres chancelantes, des chapelles somptueuses et des marbres lépreux. Tous couchés, il n’y a que leurs statues ou celles de leurs pleureuses qui se redressent sous la pluie.
Nous nous réfugions d’un orage à un autre dans une de ces demeures éternelles pitoyables qui a laissé sa porte ouverte faute de gonds. Gardée par une cohorte d’ancêtres soigneusement alignés ou dont les noms se cachent. Les doubles prénoms anciens s’égrènent, s’écaillent, comme les gouttes de pluie. Mais le temps change et le soleil arrive en même temps que la chapelle d’Abélard et Héloïse. Là l’amour se fait roi, la vie triomphe. La tombeau est en réfection. Des visiteurs ont glissé dans les grilles une fleur. Oh bien modeste par comparaison avec l’humble tombe de Jim Morrison. C’est celui-ci d’ailleurs qui nous sert de guide. Des groupes de jeunes gens, des familles entières, malgré la pluie arpentent les allées. Reconnaissables à l’accent américain. Il nous suffit de les suivre car nous savons que la tombe que nous cherchons dans la division 6 est adossée à celle du chanteur. Aucune logique arithmétique. Du 5 on passe au 13 sans transition mais le clapotis des conversations jusqu’au lieu nous conduit. Et puis les fleurs … quasi arrogantes au milieu de la tristesse végétale des tombes dévaluées.


Je pense que le docteur Thorel ( ni ses descendants) ne verrait aucun mal à ce que je raconte et montre que son toit aujourd’hui est couronné de bizarres formes asiatiques. Personne d’autre que nous parmi les promeneurs ne sait que cela est un rappel de sa brillante carrière de découvreur au Cambodge de la flore de ce pays dans l’expédition Doudart de Lagrée. Un simple nom gravé, pas d’inscriptions commémoratives. Mais enfin la tombe subsiste. C’est déjà ça !
Non aucune tristesse dans les cimetières ! J’ai toujours aimé les visiter. Qu’ils soient militaires, simples lieux de repos de village, ils racontent tant sur le pays et les gens qui y ont vécu. Malgré leurs efforts d’entretien, leurs classifications, ils mélangent les époques, ils confient aux vivants de brèves pensées, des citations bibliques et d’autres indéchiffrables dans une langue inconnue … Ils sourient après la pluie et étincèlent de la même manière qu’un champ de blé. Les artistes ont fait de leur mieux pour apprivoiser l’immobilité des cadavres. Les arbres y sont plus beaux qu’ailleurs quand ils penchent leurs branches et la moindre giroflée sauvage a autant de grâce que les roses sélectionnées. Chopin autant d’attention de leur part que la moindre hirondelle du faubourg fauchée en pleine jeunesse.
Du Père Lachaise, devant l’église, dans le lointain, la Tour Eiffel, les toits de Paris, leurs frondaisons …


Dimanche 30 Mars
Une écriture à fleur de peau. A fleur de réveil. A fleur de rêve mais s’élançant vers la réalité.
Une écriture sans arthrose qui affleure en souplesse, en jeunesse, en sourire …
Et pourtant elle vient de s’entendre dire « bonjour Madame, s’il vous plaît la petite écriture bine installée qui voyage aujourd’hui. Elle s’est tue.
Le sourire ou plutôt la grimace suppliante venait de la bouche mal débarbouillée d’une jeune mendiante. Sans doute roumaine, rom, romanichelle … Qu’importe le qualificatif identitaire quand le rôle est défini d’avance. J’ai répondu Non ! sans redresser vraiment la tête, quasi par principe. Pour ne pas déranger mes principes, mon porte-monnaie au fond du sac, cette attente du train dans la gare.
Et pourtant j’ai le temps. Largement. Un temps large ouvert sur une journée uniquement consacrée au voyage et à l’installation parisienne pour quinze jours.
Attente lente, étroite, crispée dans les douleurs, le bazar des souvenirs qui divaguent au fil des heures scandées par la pendule cette nuit … Je suis et reste la Bacassine du Bas-Dauphiné si anxieuse de partir comme si de rester là. Si désireuse de changement mais accablée par l’éminence de ce changement. Si préoccupée de prendre le train, seule comme une grande qu’elle n’a jamais réussi à devenir. En plus si vieille ! eh oui ! sans s’en apercevoir elle va doubler le cap 70 la petite toute ch’tite. Qui l’eut cru ? elle qui mangeait si peu, qu’avait si mal au ventre, qui digérait si mal. Surtout les matins d’école, de mariage, d’examen, de travail, de rentrée… Ces matins qui réclamaient, exigeaient, calculaient les déficits et escomptaient les bénéfices avant de s’élancer. Qu’elle aimerait des matins calmes, alanguis … des matins qui durent indéfiniment dans le lit, à demi-endormis, des pays entiers de matins calmes …L’ennui, la contradiction est qu’elle les fuit ces matins répétitifs. Le comble est que dès qu’ils s’immobilisent, les jambes lui démangent … Aussitôt que l’arrêt imprécis, indéterminé, vacant, dure ... le temps lui dure. Elle a peur de se perdre avec lui. Alors elle part, elle voyage … Elle écrit. Elle brode. Elle a logé dans sa valise les crayons, les pinceaux, l’aquarelle et les fils de couleur. Et pour faire bonne mesure comme une grand-mère de choc les double portables : téléphone et ordinateur … Si elle allait s’ennuyer ? Seule concession au grand âge les bagages la suivent en voiture. Pour l’heure, cette heure à glisser dans ce changement d’horaire, elle n’a guère que mini possibilities à portée de main.
• petit incident dans le voisinage. Les flics : Trois. Beaux, grands, musclés, suréquipés, roulant les mécaniques viennent d’entrer dans la salle d’attente. Ce n’est pas moi dont ils contrôlent l’identité. Allure totalement inoffensive. Dans mon dos le jeune homme coloré téléphone et produit ses papiers. Mais il avait posé les pieds sur un fauteuil, oh un fauteuil de gare, pas un fauteuil présidentiel, ni capiteux ni capitonné. Bonne journée concluent-ils courtoisement. Ils ont raison. Ils font leur travail de défenseur de fauteuils. Le soleil lui aussi fait son boulot jusque sur mon cahier.
Le temps glisse, doucement, de minute en minute. Mes douleurs de dos réitèrent leurs rappels discourtois.
Un couple jeune, à énormes sacs à dos battant les mollets, la jeune femme presque une gosse tenant en laisse un grand chien farouche. Routards, loubards, pèlerins ?
Tout plein d’histoires qui circulent maintenant dans la gare. La matinée et l’heure réajustée regorgent de sacs, de valises à roulettes. Des histoires copines retour du ski, des histoires ex-conjugales et à garde alternée, des histoires bancales aux regards de chiens battus, et puis des histoires d’enfants débrouillards gavés d’écran et de sons, boîtiers electro jeux et histoires extra terrestres … On rentre. On part. on s’en va. On revient. C’est Dimanche.
Le dimanche glisse de plus en plus vite derrière les vitres. Dimanche des villes et des campagnes. Dimanche parti avec le soleil et qui s’embrouillarde, se grisonne, de plus et en plus.
Dimanches des tags et des branches en fleur dans les haies …