Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

27 février 2015

Qui marche ?


Qui marche sous la galerie ?
Est-ce trois heures, est-ce minuit ?
La nuit
bat ses draps noirs contre mes tempes
Mais les talons ont réveillé
quelques mots blancs sur le papier
La chance
est qu’ils ne soient pas trop rouillés
J’ajuste
au rythme silencieux des pas
doigts clopinant sur les syllabes
tambour battant contre mon buste
Pêcheur, la nuit vigie sort du fourreau
l’épée d’argent d’un jour nouveau
la lance
En guise de carpe ou brochet
tire un rayon de mes reflets

19 février 2015

la parole écrite, le soleil qui se lève


« Que dire de la parole écrite ? »
Georges Bernanos Les grands cimetières sous la lune

Elle reste cette parole contrairement à l’autre qui s’envole, c’est bien connu, le proverbe le dit.
Elle reste, elle est déposée. Tandis que la voix sonore tombe comme la pluie et s’évapore, la parole muette tracée est la terre fécondée.
On peut la cueillir, longtemps après son émission, de saison en saison, de siècle en siècle. Qualité de la graine robuste qui reproduit la graine. Hasard de la fécondation qui peut s’interrompre aussi bien ;
Pourquoi ai-je eu cette fascination pour la parole écrite dès mon plus jeune âge ?
La lecture m’absorbait totalement, me rendait audacieuse, dissimulatrice. Pour m’adonner à mon vice ( selon ma mère responsable de ma myopie et de mes faibles mollets) je me serais faite voleuse, brigande des grands chemins.
C’est par l’écriture que j’ai laissé les hommes s’approcher de moi. D’où un erreur d’appréciation, quand leur voix réelle frappait mes oreilles j’espérais une autre musique. Je leur refusais le bénéfice du doute : leurs lettres devaient témoigner de l’immortalité de leur âme ! les condamnaient à ne devenir que les médiocres accompagnateurs de la banalité de mes jours. Et je continuais de reporter sur les Hugo, Musset and Co mon attention béate et mon admiration nocturne.
Déçue toujours évidemment … cherchant toujours l’admirable assemblage d’un corps qui bande et d’une main qui trace, équilibre, sonde, fonde et multiplie. L’amoureux écrivain quoi ! l’écrivain amoureux ! l’impossible et le solide ! bref !
Mais à défaut, à force de tourner vers ma seule écriture toutes mes forces et tout mon temps, il m’arrive de voir apparaître dans le miroir de la page écrite un visage qui s’amuse à me dévisager.
Et je ris !

06 février 2015

qu'un épi, qu'une vie ...

je n'avais qu'un épi de blé
je l'ai coupé je l'ai lié
je l'ai porté chez le meunier
meunier veux-tu moudre mon blé
oh oui la belle si vous voulez 
je le moudrai pour un baiser

tout de ran tout de ran ma dondé
tout de ran tout de ran ma dondé

D'un seul épi fais ta gerbe
D'une seule gerbe ta meule
D'une meule de blé construis tes découvertes

et à manger le pain du jour
tu gagneras l'éternité

05 février 2015

quotidien ...


Et pourtant combien ce pain quotidien me coûtait à l’avaler. Je n’avais jamais faim. J’étais une « pouillante », une « grimacière ». on devait me « faire manger ». Il fallut bien trois années, quatre ou cinq peut-être, pour que je me décide à prendre la cuillère moi-même dans ma propre main. Pas faim le matin devant le bol de lait bourré de pain trempé, beurk ! pas faim à midi pour le pain qui doit « saucer », « pousser » dans l’assiette. Pas faim au goûter même avec chocolat incorporé ou mieux râpé sur la tartine de beurre. Et bien entendu pas faim pour la soupe qui elle aussi regorge de pain. Le pain est la base. Le pain est indispensable. Le pain est laïque à l’école, béni à l’église mais respecté partout. Dans les contes, dans les chansons, dans les comptines
Une poule sur un mur
Qui picorait du pain dur

Aussi est-ce par ce côté expressif que, finalement, j’ai fait alliance avec le pain, le pain de mon père, l’unique père qui est sur la terre :
Je suis faite de pain que pétrissait mon père
Dans la maie à cinq heures qu’on nomme aussi pétrin
Du pain de nos javelles, du bon blé de nos terres
La batteuse au soleil alors tournait à plein

Parfois de ce pain blanc je lèche encore la croûte
Ferme par le dessous, brûlée par le dessus
Et sans faire de grimaces puisqu’il faut bien grandir
J’avale un gros chagrin sur mon morceau de pain
 /…/
J’ai chanté la chanson toute entière pour les soixante ans de mon frère et il en a été ému aux larmes, lui qui ne me concède que très rarement quelques paroles sensées. Je l’ai chanté  à la soirée « Mon voisin est un artiste » à Engins dans le Vercors et des personnes de mon âge sont venu saluer cette offrande à leur enfance. En particulier un Monsieur, Suisse, qui m’a remercié chaleureusement de lui redonner le goût de ce pain-là. Souvent dans les contes, dans les spectacles avec Claire, le pain quotidien revient témoigner de mon incomparable famille nourricière. Maintenant que j’ai gommé toutes ses exigences et ses exagérations.

J’imagine que c’est le même devoir de mémoire embellie qui fit choisir à Nicole la corbeille à pain dans les talismans incontournables

Elle ne put pas m’en raconter l’origine. Qui l’avait faite ? Quand ? En quel bois ? Produit local ou d’importation ? mais sa place exceptionnelle sur la table du dimanche, des banquets, des repas de noces, oui elle en sait tout. Ce n’est pas tous les jours que l’on sert le pain dans cette corbeille qui est en elle-même un autel, une prière, une consécration. Un pain quotidien d’accord mais la corbeille des jours de fête.
Pour graver ainsi dans le bois l’épi mûr et souple, la phrase en lettres carrées, il fallait plus qu’une gouge habile, qu’un long temps de réflexion et de concentration. Il fallait, j’imagine, une foi solide en l’homme et en Dieu.
En a-t-il fait plusieurs de cette qualité et de cette facture le sculpteur anonyme ? Je n’en connais pas d’autres. J’interrogerai un antiquaire, un brocanteur.

« Donnez-nous notre pain quotidien »
Aujourd’hui qu’il est si facile sur un ordinateur de superposer texte et image comment retourner à l’esprit qui lit la matière rebelle au verbe, qui se donne le temps pour mûrir.
L’essentiel en peu de mots, fussent-ils transmis pour des siècles et des siècles. Mots ramassés comme des miettes d’un geste sûr et repétris inlassablement.
La corbeille à pain. Passe-moi la corbeille à pain ! Passe-moi le pain ! 
Passe-moi l’essentiel !

« Je n’avais qu’un épi de blé, je l’ai coupé, je l’ai lié … »

* je viens de recevoir une photo d'une autre corbeille à l'identique

04 février 2015

notre pain


NOTRE PAIN QUOTIDIEN

Nous sommes Nicole et moi, de la génération du Pain Quotidien. Nous avons été nourri pour le respect à la miche, à la couronne, au pain long, à la baguette …
Récemment j’ai découvert à Groslée, village de l’Ain, un monument aux morts orné, non de fusils et de canons, mais d’un attelage. Même attelage de vaches que celui de mes parents. Mêmes mancherons de la charrue. Même bras de chemise roulés pour dégager la main qui guide. Même « geste auguste du semeur » que nous avions appris à qualifier par Victor Hugo à sa juste mesure. Un monument, on pourrait dire, aux vivants, non aux morts. Témoignant par l’image, comme dans les églises romanes, de la qualité intemporelle de la vie.
Dans la simplicité de la sculpture il y a tout l’attachement à un mode de vie ancestral. Le soc avait été forgé par le forgeron du village, j’ai eu la chance d’interroger sur son art le dernier. J’en reprendrai le récit prochainement. Car j’ai gardé dans mes oreilles sa fierté et son humour.
La « biasse » contenant la semence, nouée sur la taille, est bien la même que celle dont mon père ceignait ses reins. Il n’y a que le chapeau qui diffère de la casquette sinon je pourrais croire à une photographie sur le vif.


Chez Nous, c’est-à-dire Chez Moi, mais j’imagine assez Nicole utilisant le même possessif collectif, Chez-Nous donc, au Bouchage, nous n’étions nourri que de NOTRE Pain Quotidien, ce qui signifiait très clairement que de l’épi de blé, puis de la javelle, à la botte, à la taïsse (la meule) en passant par la batteuse et le grenier puis par le levain, la farine, le coffre de la maie, deux fois, d’abord pour pétrir la pâte puis pour conserver les boules de la semaine, enfin le four du Père Cachard et finalement le couvercle de la maie où Papa le coupe en larges tranches et le pose à côté des sept assiettes, le pain est de nous, à nous, entièrement NôTRE.
Je me souviens de notre effarement quand, pendant la guerre, mon oncle Félicien rapporta des Avenières un « troyon » de mauvais pain. Ce n’était que pour nous faire voir ce que c’était ailleurs que souffrir de la guerre. Pain mêlé de maïs, jaune donc, d’un je ne sais quoi grisâtre, de la paille peut-être, écoeurant d’aspect, affreusement dur, incomestible nous en avions aussitôt décidé. Nous avons mesuré ce jour-là la chance que Dieu nous avait faite de nous faire vivre loin des combats et des villes affamées. Bien que Dieu n’apparut pas dans notre ciel pour cause de républicanisme anticlérical affiché de mon père. Notre père, le seul vrai, le seul à planter, faucher, lier, récolter, pétrir, cuire enfin et distribuer c’était Phonse le Grand, le meilleur en blé et en pain, reconnu par tout le quartier, le village même.

02 février 2015

diable !

merci à tous qui avez lu cette Liberté échappée grâce à Solange
merci de ce lien avec vous que je néglige si souvent mais dont j'apprécie la chaleur quand elle me parvient ainsi gratuitement !
pour aujourd'hui,  pour ce lundi, pour ce début de journée et de semaine et de mois !
un récit retrouvé en cherchant autre chose dans l'ordi


A Bessan le pays du diable … Récit de Paulette
Le père de ma grand-mère paternelle … Il sculptait sur bois des saints, st Pierre, st Paul ... Il était aussi chantre à l’église et sacristain. Mais cette année-là le curé décida de ne pas offrir le vin blanc  à la Toussaint. Pourquoi ? Qui est-ce qui sait ? Peut-être la fille de l’ancien maire qui s’occupe de l’ancien temps, de généalogie … Alors Etienne, au lieu du traditionnel saint sculpta le diable qui piquait de sa fourche l’arrière-train du curé. Il alla déposer la sculpture devant la cure. Le curé comprit si bien qui pouvait avoir adressé ce message qu’il fit retraverser le village au diable jusqu’au grand-père. Et ainsi de suite, de jour en jour ou de nuit en nuit. Au bout d’un mois, un colporteur vint à passer. Il faut se souvenir que les maisons étaient enfoncées dans le sol pour se tenir chaud. Les fenêtres affleuraient juste à hauteur de la rue. Le colporteur tapa au carreau et proposa un si bon prix pour le diable qu’il l’emporta. « Tiens ! a dit Etienne, le diable me rapporte plus que les saints. »
Depuis pendant trois jours chaque année, les sculpteurs de la Haute-Maurienne et même d’Italie se regroupent à Bessan  pour continuer la tradition et faire des bonnes affaires.