Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

29 juin 2005

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A David ( 26-6) « … mais les prières d’une amie m’aideraient beaucoup »

Prière

Pose ton nom d’abandon sur le seuil
Laisse entrer
Syllabes lentes. Retenue des jambages.
Une seule lettre en majuscule.
Bûcheron du silence, abats les arbres
Un souffle d’harmonie s’élève en ta mémoire.

Insaisissable dieu
appelle en moi ma ressemblance
et qu’aimer soit ce souffle
où je m’endors

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A Peire de St Niz « Quel programme ! » 25-6

Si je prends je prends tout
Je prends le froid du givre
Je prends le silence et le bruit
Si je prends le bateau
je prends l’étroit des îles
je prends la bonasse et l’ennui
Dans la courge-carosse
des rêves à reprendre
je prends l’élan du cœur soudain
Je prends le naufragé
Je prends le fier Atlante
et le chemineau du chemin
Mais si tu prends prends garde
je te promets le pire
de ne pas tricher sur ma foi
Si tu pars en campagne
je te promets de suivre
jusqu’au bord de mes horizons
J’ai pris assez longtemps
vessies pour des lanternes
petits chefs pour tendres amants
J’ai pris du temps à faire
plus qu’autre la vaisselle
J’ai pris la fuite au bon moment
Si je prends je prends tout
les arbres ont tant de feuilles
et j’ai tant d’yeux pour les saisir
tant de nez pour humer
tant d’oreilles pour rire
un cœur grand comme une maison
et j’y blottis mes pierres
dans ton petit salon

28 juin 2005

Ricochet II

RICOCHET II

Yuckcha « Dans le lit de quels préjugés, draps défaits, mon silence se couche-t-il ? »

Elle a couché son silence
lentement
Dans le lit de la rivière
a bu sa soif à en mourir
Puis soudain ivre
a remonté le courant
Belle Truite a sauté dans le soleil
Arc-en-ciel
Eclaboussée de rire
a nommé par leur nom
le sexe de la bouche
les pieds des palmes
les nageoires du soupçon

Ensuite
n’a plus arrêté
de brouter l’herbe des mots tendres
de broder sur les draps le chiffre sien
l’excellente initiale de l’Amour

Ricochet I 28-2

RICOCHETS 1
« Celui qui sait comme le passage du bonheur est fragile
habite un coin de l’aube
en une écorce d’homme »
Jacques http///poephile.blog.lemonde.fr/poephile

A force d’habiter la nuit
de chimères et de songes
Elle avait appris à attendre
sans impatience
l’aube première

L’écorce sous ses doigts
tantôt lisse, tantôt âpre, crevassée
Ecorce de bouleau
parchemin à mensonges
Ecorce rude : chêne des ancêtres
de mille passages encore traversée
mais surtout
écorce du platane toujours debout
taillé en parasol
Enfance. Croûte des signes
Initiales à gratter, regraver,

Sous ses doigts
la promesse d’une sève à jaillir
d’un sperme d’aube

25 juin 2005

rêve 25-4

REVE
Si pressée de le saisir dès mon réveil. L’impression qu’il est encore vivant, important. Et puis une erreur de manipulation et j’ai tout perdu. Ça ne fait rien : je recommence.
La pluie tombe drue sur le toit métallique. C’est parti ! Le tonnerre craque, roule …
J’ai ouvert les volets. Les roses ruissellent sur la façade, devant la fenêtre. Roses, jaunes, rouges …

« Je ne suis rien mais à personne ». Envie de commencer mardi par cette chanson au lieu de finir.
L’amour aux sept couleurs : le mien

Dans le rêve j’étais chez-nous. Ma maison d’enfance. Ils allaient arriver. Il fallait préparer la longue table des vendanges, des batteuses, des repas collectifs. Je les ai vus un moment avant. De la fumée montait au-dessus du char. Le foin sec, les gerbes de blé ? Je fais un détour par la cuisine. Tout est là mais personne. Je ne vois pas maman. Je dois préparer la table. Où sont les tréteaux et la planche ? La salle à manger est vide, le plancher lessivé, javellisé. La table à rallonge apparaît. Il me faut la déplier, la garnir. Je débarrasse de sur cette table un appareil-photo, une pièce de l’appareil va tomber, mon frère la retient …
« Mais à personne
Je ne suis que le vent d’automne quand il veut bien me ratisser.
Je ne suis rien mais …

Quand je chante Je suis … »

Pas la peine de chanter la chanson à l’ordinateur. Elle est bien là, au chaud, dans les rêves et la réalité.
La pluie s’est calmée. Le tonnerre s’éloigne. La journée peut commencer.
Hier j’ai terminé cette reproduction d’un tableau indien : le christ sur une croix qui bourgeonne et fleurit. Des oiseaux, des visages, des signes emblématiques disposés dans les feuillages. Je l’avais photographié dans un musée de Toronto je crois. Je suis tombé dessus en cherchant autre chose et ça a fait tilt. Je l’ai peint sur un biscuit de porcelaine que j’avais acheté l’an dernier en Bourbonnais. Les choses se rejoignent spontanément. Les couleurs s’accordent. J’ai utilisé les restes de couleurs acryliques pour barbouiller de bandes un cadre de récupération. Je viens de l’apercevoir sur la véranda. C’est pas mal. Je disposerai dessus les livrets des SEPT couleurs.
« … La noire je suis la blanche
Et le refrain et le couplet … »

J’y vais. Déjeuner, préparer toutes les tables, chanter toutes les chansons, croquer tous les bonheurs.

24 juin 2005

Carte J.3

J3
Alors il n’a pas regardé la télé après le repas. Il n’aurait su dire pourquoi. D’un seul coup il a eu envie de marcher en ville. De toutes façons pour ce qu’il y a à la télé. Et puis, dès le café servi, la femme au tricot s’installe et c’est elle qui monopolise la 6 avec sa foutue émission médicale. Elle a un tel air de « je suis sérieuse moi ! » qu’on n’ose pas la déranger. Elle ferait mieux d’aller faire la sieste comme tout le monde ! Il a traversé le salon d’un pas ferme, il n’a même pas tourné la tête. Arrivé sur le trottoir il a hésité. A droite vers les thermes comme tous les matins, ou à gauche vers le Casino et le petit lac. La rue est en chantier. On a dû changer les égouts ou quelque chose comme ça, on refait les bordures, on laisse l’emplacement pour planter, des arbres sûrement : un rond d’un mètre cimenté tout autour. On voit que la taxe de séjour rapporte gros à Allevard. Ils sont toute une équipe d’émigrés à ratisser le goudron, à lisser. Ils n’ont pas l’air malheureux. Des costauds. De sacrés costauds. Pas un qui parle français à part le chef. Ils s’entendent bien. Ils se cachent pour manger je sais pas où à midi. On ne les voit plus. Seule la maîtrise vient avec nous au restaurant de l’hôtel. C’est normal. Ils sont corrects. Ils se changent avant d’entrer. Peut-être ! Je sais pas ! Les chefs se salissent moins que les ouvriers.
Je vois tout dans la salle. J’entends pas trop bien. A cause de mes oreilles et de la plante verte. Faut pas que je me plaigne : c’est moi qui ait voulu m’installer derrière la grosse plante !

On mange bien à l’hôtel du Dauphiné. Les patrons ont changé cette année mais la cuisine est toujours aussi bonne. C’est le même cuisinier qui est resté. Cuisine familiale : des gratins, des viandes en sauce, du lapin … C’est pour ça qu’on revenait toujours ici avec maman. Et la patronne et le serveur repassent à la fin de chaque service pour offrir une ration supplémentaire à ceux qui veulent. Bon ! C’est pas le tout ! Où je vais ?

Il s’est dirigé vers le centre-ville. Oh le centre ville n’exagérons rien ! une rue piétonne de même pas trois cents mètres. De chaque côté, le boucher et traiteur : des bonnes rissoles, le boulanger-patissier, un peu cher mais pas mauvais, un magasin de bonbons, un de fringues, l’inévitable produits du terroir et la boutique aux Souvenirs. En face du boucher, le bureau de tabac avec ses présentoirs sur le trottoir. C’est là que ses pas l’ont porté. A cette heure-ci le bureau est fermé, tous les magasins sont fermés jusqu’à deux heures. Les curistes font la sieste. Il fait chaud. La rue est déserte.
Alors il les vues, les cartes. Toute une rangée dans un présentoir tournant. Il s’est mis entre la vitrine et le présentoir et il les a regardées. Rien d’intéressant. Le même genre que la carte par terre : Des gros seins, des fesses rebondies. En ballons de baskets énormes avec des cochonneries écrites dessus. Elle y était celle de l’autre jour, la carte. A se demander qui peut bien acheter ça !
Il en a touché une. Il l’a même prise dans ses mains, l’a retournée comme si elle pouvait être écrite à l’envers et c’est en voulant la replacer qu’il a vu l’autre, en dessous. Bien pire ! Elle lui a sauté aux yeux et il n’a pu supporter. Il est parti.
Et pourtant il est revenu pour la regarder. La carte se moquait de lui. Ouvertement. Là dans cette rue, la carte se fichait de sa figure. Pauvre type ! T’as pas de femme, t’as plus rien. T’as beau triturer cette pauvre chose, c’te limace, c’te feignante qu’elle dit, tu peux plus rien en sortir. Il a eu envie de l’arracher du présentoir, de la déchirer là dans la rue, de la flanquer dans le caniveau, au Bréda, n’importe où pourvu qu’il ne la voit plus. La joue lui cuisait. Comme la fois où sa mère l’avait giflé.
Machinalement il s’est frotté la joue !

En ville, la clientèle de curistes se partage entre des hôtels sans étoiles, avec 1(L’hôtel du Dauphiné par exemple), 2, 3 (un seul) étoiles, des résidences avec studios, des meublés, des chambres d’hôtes,quelques appartements privés sous-loués et des pensions de famille qui gardent ce nom désuet pour rassurer les personnes généralement âgées, seules et catholiques. Le foyer Notre-dame qu’a choisi Nady en est une. Rien que de très banal.
Un peu en dehors de la ville les campings, les caravanings. Pour les jeunes, les familles.
Cependant, comme dans toute ville de cure bien organisée, des lambeaux de vie se croisent au hasard, se perturbent, s’ignorent, se montent sur les pieds sans que la presse locale en fasse état. Le guide touristique affirme cependant que « le coeur bat à Allevard les bains » qu’on y est « surpris par la pétulance de cette petite ville de montagne »
Comment virer de la pornographie ( car il avait osé prononcer distinctement le mot à l’intérieur de son malaise) à la pétulance ? C’est une question que Bernard ne s’était pas encore posée.

22 juin 2005

Les petits riens

je viens de découvrir un blog qui parle de l'ORDINAIRE. larges citations de Georges Perec L'infra-ordinaire. Et moi qui caressait l'idée de me mettre en vacances de blog je bondis vers un cahier sur le thème !
Voilà la page 2 (15 avril)
LE SAULE DU PETIT MATIN
Il n'est pas encore pleureur puisque tout jeune encore. Peut-être n'est-il même pas saule. Sur le bord de la route de montagne, côté vallée, il est en arrêt sur image obligatoire tant il se détache sur le petit matin, jeune comme lui.
Pendant deux jours la neige, épaisse, lourde, compacte, a tout plombé. Les buissons, les grands arbres se sont courbés, écrasés sous elle.
Le petit saule adolescent a rejeté comme un jeune chien qui s'ébroue, toute la neige. Léger il batifole de la ramille dans le matin qui, plus haut, ne s'est pas encore dégagé de la blancheur insistante.
A la frontière des 500 m d'altitude, à la lisière gauche sur la vallée qui déjà gronde, il éclate. Couleur douce amande, plumetis de feuilles naissantes il afirme le printemps, sa victoire annoncée sur le retour d'autorité de l'hiver.
Il a poussé là, pas ailleurs, d'une graine dans le vent. Tout seul. Il érige une dynastie entre les cimes à skis et la vallée industrieuse.
Tout seul. Sans savoir s'il tiendra ... il s'élance dans la naissance du jour : un bouquet vert doux, comme les premiers gazouillis des oiseaux qu'il ne peut pas encore porter. A moins que ...
Il ne doute de rien. Ni du beau nom qu'on lui confiera. Ni de la lumière rose, venue de l'autre côté de la vallée et qui lui tombe dessus en avalanche, faisant blondir ses rameaux. Ni de la forme définitive que prendront ses branches. Parapluie pleureur ou ombrelle élégante élancée.
Il ne regarde que le ciel. Même pas les quelques voitures matinales qui longent ses racines.
Il est le saule du matin, le frêne de la joie, le bouleau d'espérance.
Il va bien. Il commence.

carte perdue 16-6

Carte perdue … Carte trouvée


Deuxième jour

Elle est repassée par le parc à peu près à la même heure. Il n’y avait personne sur le banc. Elle est entrée immédiatement,sans perte son temps comme hier, et s’est assise à attendre de voir le docteur avec la file des autres. Elle a commencé une conversation avec la vieille dame qu’elle avait aidée et qui tendait toujours vers elle son plus beau sourire reconnaissant dès qu’elle la voyait. Elle avait le numéro 29, celui qui a été perdu en carton bleu glacé et remplacé par une vulgaire fiche de papier troué. Quelqu’un a dit « chut ! » parce qu’elles parlaient trop fort. Alors elle s’est tue. C’est normal on ne doit pas parler sinon le couloir d’attente aux douches pharyngées ressemblerait à une volière. Mais il fallait bien qu’elle réponde à cette pauvre vieille qui est sourde.

Il est allé directement aux douches pharyngées sans s’asseoir sur le banc. Il n’aurait pu dire ce qui l’avait poussé à devancer son heure. Il n’aurait pas aimé qu’une autre carte le signale aux passantes. Exceptionnellement le docteur Raymond était absent. Il n’a rien dit lui, à quoi sert de protester. Le docteur avait été retenu par un empêchement professionnel, c’était écrit sur la pancarte. Alors il est ressorti aussitôt dans le couloir central. Et machinalement il a tourné la tête de l’autre côté pour voir à gauche s’il y avait d’autres médecins absents. Mais c’est elle qu’il a vue. La femme. Il l’a vue même furtivement il l’a vue, c’était bien elle. Elle était en grande conversation avec une vieille dame. On aurait dit Maman dans les dernières années. Chapeautée, élégante mais très vieille. Quelqu’un a dit « Chut ! » et il s’est vite éloigné.

19 juin 2005

les contrariétés 19-6

Les contrariétés 19-6

Simple caillou dans la machine du beau dimanche. « C’est le réseau qui déconne ! » je ne pourrais pas imprimer « Gare de Grenoble » pour l’envoyer à Verveine.

« Avoir une contrariété » pour ma mère recouvrait tout ce qui empêche de digérer, déclenche une crise de foi(e). La formule permettait aussi de rejeter, de façon vague mais culpabilisante, la faute sur les autres. Comment les contrariétés de ma mère ont débordé jusqu’à moi, m’ont contrariée à distance et malgré la distance que j’ai introduite entre elles et moi, continuent encore à m’atteindre ? Question stupide mais que je continue à me poser.

Hier matin au téléphone, M.L me dit son chagrin. Elle prépare une soirée entre amis et voisins. Sa fille lui a asséné « deux baches » Elle ne me dit pas lesquelles mais si je trouve quelques mots pour l’apaiser, en raccrochant, je sens ma belle humeur du matin attaquée. Cette fois par les enfants, non par les mères. Je suis du côté des mères. Et les mères en ont marre. En plaisantant pour faire passer, je dis à Pierre. « Je vais imaginer une rencontre des mères ici. Nous fabriquerons des marottes, des têtes en argile, des effigies de nos enfants et nous les bombarderons. ça nous fera le plus grand bien. »
Arrêtez les enfants ! Arrêtez de prendre pour cible celles qui vous ont mises au monde. Arrêtez de les rendre responsables de vos mal-être. Arrête François de canarder ta mère parce que tu refuses les contraintes d’un monde où les mots de la philosophie d’école tombent à plat sur les réalités du business. Fais ce que tu peux pour t’adapter. La rogne aveugle ne sert à rien. Gagne ta croûte. Débrouille-toi. Paye ta sécu pour être « couvert ». Roule avec ton essence. Ta mère a besoin de calin, de douceur. Ta mère vieillit, ta mère est malade. Ta mère unique, ta magnifique mère qui t’a élevé avec tant de force et d’amour, ménage sa faiblesse. Ne demande plus à ta mère de compenser tout ce que tu ne peux trouver ailleurs, chez les femmes ou les patrons.
OK Marianne ! Tu sors de chez ton psy. Il ou elle a mis en évidence les manques de ton enfance, les fautes de ta mère. Oublie ton psy ! Pour la fête de ce soir, n’apporte à ta mère qu’un peu de disponibilité à l’instant. Prépare une quiche, une tarte aux fruits. Fous-nous la paix ! Si tu ne peux nous la donner abstiens-toi de venir !

Marianne m’a entendu sans que j’ai prononcé un seul mot autrement que dans ma tête. Elles sont fines nos filles. Souvent, pas toujours. Ce fut hier au soir une belle fête. La lune, les petits enfants, la table et le mini feu d’artifice, cadeau de mariage pour Marianne et son mari. Il n’avait pu être tiré alors à cause du mauvais temps ou d’un oubli. De même le morceau de piano que M.L n’avait pu jouer à ce même mariage. ( le piano avait été embarqué la veille) il a égrené dans la douceur du soir les notes de Grieg.
Il y a dix ans le piano et le feu d’artifice n’avaient pu chanter. Hier soir ce fut possible. Dix ans après. La trêve entre les mères et les enfants sera-t-elle signée avant que nous quittions la scène ? Le feu d’artifice réussi ? Je n’oublie pas les dernières paroles de ma mère déjà partie vers l’autre rive « Je vous aime tous » En fin de parcours elle avait oublié toutes les contrariétés que nous lui avions faites.

carte perdue 16-6

Carte perdue … Carte trouvée

Il l’avait remarquée sur le sol, sec ce matin exceptionnellement. Seul, ce matin sur son banc comme d’habitude, à 7h-1/4, dans le parc des Thermes. Il l’avait vue tout de suite en époussetant le banc pour s’asseoir. Il était allé la ramasser. Avait jeté un bref regard aux alentours. Vides comme d’habitude. Elle était tombée sur l’envers. Elle était affranchie, un beau timbre à fleur : Orchidée, Mabel Sanders. Bigre ! s’était-il dit ( il aimait bien se dire Bigre quand il se passait quelque chose d’intéressant dans la journée) L’adresse était libellée, quelque part en France, 69 en y regardant de plus près, le département de destination était le 69 comme le sien. C’est pour ça qu’il l’avait retournée. Il aurait pu l’écrire lui-même. Oh quelle horreur ! Il douta un instant. Ses sens ne lui avaient-ils pas joué un tour ? Mais non, il regarda mieux. Aucun doute ! c’était une horreur ! adressée à ? : un homme de peu, un certain Jean X… quelque part dans le département du Rhône, qui aurait pu être lui mais heureusement qui ne l’était pas. Tant pis ! Pour une fois qu’il trouvait quelque chose avant tout le monde ! Encore un coup du diable. Il regarda à nouveau furtivement tout autour, remit la carte dans la même position et retourna s’asseoir. Les premiers curistes commençaient par arriver.
Il se plongea dans la reconnaissance des couples et des personnes seules, confrontant leur ordre d’arrivée d’aujourd’hui avec celui d’hier. Tiens le boîteux va être en retard ! il aura le numéro 8 aux douches pharyngées. Bien fait pour lui ! Il n’avait qu’à ne pas traîner ce matin. La Grande est bien pressée. C’est le jour du marché bien sûr elle va encore s’acheter un tas de robes rouges qui lui vont comme un tablier à une vache …
Les yeux fixés sur la porte d’entrée ORL, il continuait son comptage. La carte sur le sol, dans son dos, à l’arrière du banc, était oubliée. Presque.
- C’est à vous Monsieur ? Vous avez fait tomber votre carte
Saisi il se retourna d’un bloc, ne put répondre, fit de la tête un signe vigoureux de dénégation.
La dame gentiment insistait.
- Heureusement que ça a séché cette nuit ! Nous aurons une belle journée. Vous avez perdu une carte postale.
Il avala sa salive, déglutit plusieurs fois avant de pouvoir articuler
- NOOON !
- Ah bon ! Elle est toute timbrée. Je vais la mettre à la poste.
Il se retourna vers les thermes pour trouver une solution satisfaisante, se leva du banc, se rassit, heu ! soupira et revint tout de même à cette interlocutrice inopinée.
Elle était bien, très bien. Elle était aussi élégante que Maman au début des cures en 1974, un peu plus élégante, un je ne sais quoi, maman aurait dit. Elle avait une jupe assez courte, au-dessus du genou mais très correcte quand même avec des fils brillants dans les tons de bleu roi. Une veste aussi brillante que la jupe. Plus jaune que bleue. L’ensemble était très fin, très convenable. Mais très pimpant. ça lui allait bien.
Malheureusement la dame avait retourné la carte, elle eut un OH ! réprobateur
- Ce n’est pas à moi, pas à moi ! réussit-t-il à articuler.
- Bien sûr ! Excusez-moi !
Puis, d’un petit air volontaire, elle dit en souriant
- ça ne fait rien ! Je vais tout de même la mettre à la poste ! Puisqu’elle est toute prête !
Elle s’éloigna. Il l’a regarda s’éloigner vers la sortie du parc Rue . Quelle idée ! ça ne la regardait pas une carte perdue. Surtout une carte heu une carte … Elle allait rater l’heure des soins. Qu’est-ce qu’elle avait bien pu penser ?

Nady aimait faire la cure à Allevard. Chaque année. Au moins pendant la cure elle pouvait changer de jupe et de veste chaque jour, assortir les unes aux autres, profiter du changement. Chez elle à quoi tous ses vêtements pouvaient-ils servir ? Elle ne se changeait que le dimanche. Elle n’aurait même pas osé mettre sa jupe brillante au village avec les mauvaises langues.
Elle aimait la cure aussi pour tous les services qu’elle pouvait y rendre : Aux personnes âgées, aux enfants. Elle donnait de précieuses indications sur la position de la pipette, la pose du bavoir. Elle faisait remarquer la marche pour ne pas tomber, le sol humide aux pulvérisations et tous renseignements en ville sur les directions à prendre pour le Casino, la Poste, l’église. Quelquefois elle se taisait quand elle croyait remarquer une légère impatience chez les dames préposées aux soins. Elle ne voulait pas leur prendre leur travail, oh non ! mais elles étaient souvent trop occupées, un brin distraites et ne voyaient pas comme elle, les besoins. Cette année spécialement elle avait pris une initiative qui la satisfaisait beaucoup. Directement chez le directeur. Oui ! Elle avait demandé à parler directement la directrice, c’était une directrice, et pourtant cette directrice avait répercuté aux dames de services les compliments qu’elle lui avait fait : gentillesse, propreté … tout ! Elle avait tout complimenté. Elle était très contente de tout cette année. Elle ne voyait pas ce qu’elle aurait pu faire de plus pour qu’on s’en rende compte. Et justement ce matin cette carte tombée du ciel.
Elle l’avait souvent remarqué le grand monsieur timide assis sous le ginko biloba, toujours à la même place sur le même banc à la même heure. Plus d’une fois elle avait eu envie de lui adresser la parole. Il paraissait si seul, si triste. Même pas triste, désoeuvré. Elle qui ne s’ennuyait jamais. Comment peut-on rester assis sans lire, sans tricoter, sans parler à quelqu’un, sans écrire. Son visage était couturé de rides profondes, un tic remontait vers l’œil gauche le coin de sa bouche, laquelle bouche aux commissures des lèvres était fendue d’un trait rouge d’infection. Il devrait soigner avec du mercurochrome ce bobo disgracieux. Pour le reste il était encore pas mal. Grand, assez mince : une bonne hygiène de vie sans aucun doute.
Se pouvait-il que ce soit lui l’auteur de la carte ? Oh non ! Quelle idée peu charitable ! Il n’aurait pas été si embarrassé. Il n’aurait pas perdu une pareille carte par inadvertance. Et qu’avait-il pensé d’elle qui allait de ce pas la mettre à la poste. Elle n’avait pas pris le temps de lui expliquer son intention. Je désapprouve de pareilles monstruosités mais Dieu seul est juge, la carte affranchie. Je me dois de la poster et je prierai ce soir à la messe de six heures pour l’envoyeur et le destinataire. Deux pauvres hommes, deux gamins … Je prierai aussi pour ce monsieur seul sous le Ginko Biloba. Demain je repasserai près du banc et je lui dirai …

16 juin 2005

sérotonine

Sérotonine 15-6

J’ignorais qu’elle avait été repérée et qu’elle portait un nom. Jusqu’à ce jour je ne connaissais que l’adrénaline pour me jouer parfois des tours. Mais l’adrénaline a donc une sœur jumelle.
Lu dans « Bien-être et santé » la revue gratuite des pharmaciens : « La cause exacte du syndrome de Gilles de la Tourette …n’est pas encore connue. /…/ des neurotransmetteurs … La sérotonine, pourrait être impliquée. » Le nom fait tilt : je l’ai lu en note le matin même dans « Femmes qui dansent avec les loups »
« Le corps humain sécrète des substances dont certaines bien connues, comme la sérotonine, qui semblent provoquer un certain bien-être, voire une certaine euphorie. Traditionnellement, on accède à ces états par la prière, la méditation, la contemplation, l’usage de l’intuition et de la perspicacité, les transes, la danse, certaines activités physiques, le chant et autres états profonds de l’âme. »
Toujours donc, dès qu’une explication scientifique se dessine, l’incertitude du oui ou non me reprend. Favorable au bien-être la sérotonine ? ou responsable d’un syndrome qui fait éclater en tics et jurons ? Supplément d’âme ma petite chanson de vent, eau, ruisseau, fleurs, en bordure du Bréda l’autre jour ou supplément de chimie à la sérotonine ?
Tant pis je ne saurais pas pour aujourd’hui. Par contre, de savoir que je peux trouver la sérotonine dans le chant, conforte mes alibis pour chanter ne-vous-déplaise. J’ai, spontanément, et très habilement, rebondi sur une gentillesse d’Olga pour proposer à la pension une séance « Sept couleurs » jeudi soir. Aussitôt dupliqué les paroles de « L’eau, les oiseaux ». Bethel song by « The Bethel’s singers » : quelle agréable perspective de se sérotonifier !

les proches

LES PROCHES ET LES LOINTAINS

Seules à la table du petit-déjeuner, Adrienne et moi échangeons quelques renseignements identitaires. Oui, nous avons des enfants, des petits-enfants, les uns proches, les autres lointains. Elle communique avec les lointains grâce aux merveilles technologiques que sa fille, toute proche, lui tend.
En écartant le rideau de la salle-à-manger, en ouvrant les volets de ma chambre, j’ai vu la montagne enveloppée de brouillard. Comme éloignée soudainement. « C’est mauvais pour les bronches » a dit Adrienne. J’ai vu passer Olga devant les carreaux, la poubelle sur l’épaule pleine des mauvaises herbes arrachées au jardin grâce à la pluie d’hier au soir. Elle va repiquer des œillets d’Inde qui tiendront tout l’été.

Rencontré dans le couloir Luc, le jeune parapentiste encore ensommeillé mais apprécié son bonjour. Adrienne a beau dire que les photos et les e-mails reçus de Nouvelle Zélande valent la présence, moi je préfère encore les bisous réels aux virtuels, les bonjours sonores aux silencieux. Luc, une demi-heure plus tard, arrange mon col de survêtement. Pour que je ne prenne pas froid. Quelle machine peut remplacer cela ?

Proche encore, car tout près du réveil, un petit cerisier. D’abord quelques cerises bien tentantes à cueillir. Un cerisier de bord du rêve mais qui ne m’appartient pas. En me rapprochant je découvre tant et plus de cerises entre les feuilles, à la base du tronc, déjà gâtées par les insectes, pourrissantes. Plus d’hésitation, je cueille, je vais cueillir. Le petit cerisier de loin quasi interdit a grandi et s’est chargé d’abondance en se rapprochant de moi. Ou moi de lui ?
Ainsi de la journée. Chaque jour : une fête, m’a affirmé le septuagénaire d’hier. Ok ! Bonne idée ! Chaque jour un anniversaire, une fête. Chaque jour des cerises. A midi, clafoutis de cerises. Au repas ce soir assiette de cerises Napoléon cueillies avant la pluie. Rêve prémonitoire ! Cerises à gogo !
Instinct de vieux pour qui la route profile déjà sa fin ? Expérience de jeune qui n’a pas vu passer la vie tant elle était bonne à croquer ?
Proches ou lointains, même les jours anciens peuvent se consommer dans l’instant d’écriture.

Ainsi reprendre de dimanche, anniversaire de Sim, quelques images douces, sur le clavier.

Emilie jolie

Pour accompagner la photo « Emilie au bouquet », à la porte de la salle-à-manger de la pension, ce lundi matin

AU PREMIER ABORD :
Emilie
C’est d’abord un sourire
Qui fleurit amplement
Inonde le jardin
Eblouit le soleil

Un bouquet de mois de juin
Avant même qu’on le sente
C’est d’abord une pente
Accostée à Béthel*
AU DEUXIEME RAS-BORD :
A Allevard, un matin
C’est encore le bouquet
Qui tend à l’appareil
Numérique, bucolique
Des couleurs douces et tendres
Du pain-d’oiseau léger
Marguerites et labiées
Luzerne et ancolies
Sauge et reine des prés
Et bien sûr Emilie
Pour faire chanter le tout
Piquant entre les fleurs
La lumière faite femme

Et voilà l’arc-en-ciel descendu sur la terre !
* Le nom de la pension avec pignon sur rue

L'eau les oiseaux 12-6

L’eau, les oiseaux
Cascadent et murmurent
Font ensemble
De drôles de ramures
L’eau, les oiseaux

Chemin de terre
Et chemins de halage
La montagne en concert
Protège leurs ombrages
L’eau, les oiseaux

Le vent, les fleurs
Soufflent et se dispersent
On ne sait pas le nom
Que prennent leurs pétales
Le vent, les fleurs

Sentes en sous-bois
Senteurs et souvenances
Le torrent coule à pic
Au milieu des couleurs
Le vent, les fleurs

Ciel et silence
Sur la gamme des heures
On entend le soleil
Poser ses pattes d’or
Ciel et silence

L’eau, les oiseaux
Le vent, les fleurs
Et près de mon oreille
Ton souffle sur ma peau
Le vent et l’eau

le sacristain 11-6

Deux silhouettes non-curistes : le curé et son sacristain. L’un va en auto desservir sa grande paroisse autour d’Allevard, l’autre le rejoint à pied n’ayant pas peur des kilomètres, et assurant, m’a-t-on dit, en plus du lutrin, de la disposition sur l’autel des objets de culte, le jardinage du curé et de menus services d’assistance. L’un est gros, plutôt bedonnant, carré, assuré, l’autre est furtif, timide, maladroit. Il sait lire tout-de-même.
Curieux cet équipage ! Il y a si peu de curés en zone montagnarde comme en plaine. Alors en plus un sacristain !
On a entendu en passant devant ou derrière l’église (pas moi ! mais « on » me l’a rapporté) le curé gronder fort son sacristain. Pour ne pas dire lui passer « un sacré savon » Pourquoi ?
Retour de promenade, le Bréda m’a soufflé la chanson de « La fille à la porte de l’église »

J’veux dire Bonsoir au sacristain
Pas au curé et sa bedaine
L’est bien plus beau le sacristain
L’est bien plus beau depuis c’matin

Depuis c’matin j’l’ai embrassé
Derrière l’église sans sa chemise
Sans sa chemise il a osé
Depuis c’matin mon sacristain

Les cloches à toute volée
Dedans et autour de l’église
Chantent la grande joie permise
pour moi et pour mon fiancé

Pourquoi les portes sont fermées
Pourquoi personne ne les ouvre
Qu’ai-je donc fait à ce curé
Pour qu’à l’église ne puisse entrer ?

Sainte Marie, mère de Dieu
Dites au curé qu’il se trompe
Je suis fière, je n’ai pas honte
Que le sacristain m’ait baisée

Demain je recommencerai
Je l’attendrai derrière l’église
J’aurai reprisé sa chemise
Et toute nue la lui rendrai

11 juin 2005

Ginko Biloba 10-6

Quarante écus. Quarante peines
Quarante voleurs qui s'en vont
autour de l'arbre faire la chaîne
qui soudera les temps en rond

A chaque jour suffit sa peine
Ginko Biloba aux écus
sonnanta et trébuchants, bien même
que le vent leur passe dessus

Soixante-six années : aubaine
de savoir sur ses doigts compter
Voleurs, brigands ou tire-laine
tous en hiver gardent l'été

Point n'est besoin pour la rengaine
d'ajouter notes aux refraines
puisqu'il s'agit en terre lointaine
de clouer le bec au chagrin

A chaque jour suffit sa joie
Plante un Ginko Biloba
Quarante écus pour tes dix doigts
quatre cents coups à chaque fois

cerise sur le gâteau 9-6

La cerise sur le gâteau
N’étaient les sinusournoiseries qui m’en font baver, tousser, cracher, expectorer dans tous les styles, je suis près de me retrouver en quatrième rabbi poète.
Hier j’ai bravé le vent pour me rendre jusqu’au lac de La Miremande, à deux km d’ici. Quand j’eus passer « le petit pont sur la rivière » (le Bréda) je me retrouvais, enchantée, sous le couvert des arbres murmurants, m’assis près des glou-glou du torrent sur un banc spécialement commandé pour moi et laissais venir la chanson. Je frappais le rythme sur mon album et comme j’étais en bas de la page 1 pensais que la chanson pouvait s’arrêter là. Un couple de promeneurs qui arrivait en sens inverse traîna un peu pour me dépasser sur mon banc. Je les apostrophais pour leur proposer illico le produit fini. Ce qu’ils acceptèrent étonnés, un peu gênés. Je leur chantais, de même qu’à moi-m’aime, la chanson, la mélodie toute neuve n’ayant pas encore quitté mon oreille interne et le rythme encore sous les doigts qui tambourinaient en page deux. Ils ne m’ont pas fait payer de dédommagement, se sont déclarés satisfaits l’un du texte, l’autre de la voix. J’aime bien ces situations de faim impulsive et de consommation immédiate.
Olga, notre hôtesse, déborde d’invention pour agrandir le bon, décupler le beau. Sur la coupelle de dessert aux trois couches successives : anglaise, chocolatée, fruitée, elle rajoute une cerise bien rouge, cueillie au marché tout en nous annonçant que ce n’est rien et que demain nous aurons droit à de vraies cerises de son verger cueillies par un vrai mari des champs. Demain étant aujourd’hui les cerises sont arrivées comme prévu : en gros compotier sur la table. Pas complètement rouges, pas complètement uniformes, mais complètement mûres. La variété de cerises nommées je crois Napoléon et je n’en suis pas sûre qui m’a transportée dès le petit-déjeuner dans « « les jardins d’mon père. »
Autres coïncidences étourdissantes : Hier, arrivant au lac (un mini-lac avec jet d’eau incorporé comme à Genève) j’ai eu droit à un arc-en-ciel dans le voile de retombée de l’eau, arc-en-ciel drapé, le vent rabattait sur la surface de l’eau les sept couleurs. Mes sept couleurs en chansons. Y a ouh !
Ce matin : pendant l’épisode obligatoire de sortie entre deux séances d’inhalations froides je me laisse dériver moi-aussi dans un yoga respiration à fond, d’abord debout, puis alanguie sur le banc, yeux fermés. Et quand je les ouvre Ya ouh !(bis) Euréka ! au-dessus de moi le tendre feuillage d’un ginko biloba !
C’est vraiment la saison des cerises sur le gâteau !

encore bon dieu 8-6

« Encore bon Dieu
encore de ces fleurs bleues,
de ces gaies campanules
Tintant au cou des mules
que sommes devenus
Encore Bon dieu
laisse-m’en encore un peu
de ces chemins de terre
qui vont le nez en l’air
boire au coteau voisin
Encore Bon Dieu
des nuits et des jours bleus
Des baisers pour un rien
arrosés de chansons
comme si tout allait bien
Encore Bonté divine
De ces grappes mutines
Pendant boucles d’oreille
Aux acacias de Juin
Pour des beignets de miel
Encore Bon dieu
Encore si tu peux
Nous sommes si nombreux
Mais j’en sais quelques-uns
Qui descendent des nues
Pour aimer éperdus
Et s’en retrouvent nus
Dedans ton paradis
comme tu l’avais promis
Encore Dieu grand et beau
Et quand j’aurais tout vu
Et quand j’aurais tout bu
Tout cru et tout compris
Pense aux petits oiseaux !
Pense aux petits oiseaux !

Une chanson de quand j’étais Rabbi revenant du paradis, mon fils adolescent commençait alors à exercer ses talents sur les filles. Il m’avait ramené d’une de ses escapades la recette des beignets d’acacias. Aujourd’hui Sim, son fils, approche de l’âge d’aller en boîte pour y trouver d’autres recettes. Nous fêterons dimanche sa maturité de dix ans.

atelier en rêve 7-6

Malgré une nuit sinueuse sinusiteuse, réveil ce matin avec l’impression d’avoir franchi la faille entre les deux mondes et de revenir dans celui-ci riche d’une image forte et d’un projet solide.
Là-bas, dans le rêve, j’évoluais parmi des groupes de gens affairés à écrire. Il y avait quelque chose de religieux autour, une sorte de prêtre quelque part qui officiait et moi, j’avais à préparer un atelier d’écriture. Mais je n’étais pas prête. Je ramassais sur le sol des morceaux d’écorce et de bois d’un arbre mort. J’essayais d’en tenir le plus possible dans ma main droite car tous étaient beaux, sculptés, intéressants. A quoi ? A toucher, avec d’autres objets, d’autres matériaux souples, durs, lisses, rugueux que je devais rassembler et disposerais sous une nappe ? A écrire ?
Flash d’une autre image très nette mais si rapide que le temps de mettre les pieds par terre et de saisir un crayon elle avait déjà disparu. Je ne sais si elle reviendra. Souvenir de sa clarté, de sa netteté. Et aussitôt des idées de proposition d’écriture que je ferai en août.
- Mots du corps, mots du monde
Ex Lune /menton « le menton de la lune »
- tous les mots du corps bouche, orteil etc dans le chapeau. Hop ! tirage ! immédiatement, cinq minutes, qu’est-ce qu’il dit ? qu’est-ce qu’il me dit ?
- collection (entre deux séances d’inhalations froide) : l’âme chevillée au corps, pointer le bout de l’oreille, bouche cousue … Tirer sur la pelote de mots, tricoter sur l’expression.

Embouteillage dans les services à la cure. Les premiers arrivants avaient une heure d’avance et tout est décalé. Un peu de discipline pour que la machine fonctionne. Du coup à la rangée qui attend Thérèse ne montre plus de photos de famille mais explique, préoccupée, la chute de pratique (10 % en ORL) à laquelle il faudra bien remédier. Presque autant de souci qu’avec les querelles internes au P.S.
Lu sur Libé que les blogs privés déclenchent des cataclysmes dans l’entreprise aux USA : licenciement à google de l’employé mécontent de la cantine. Ennuyeux pour lui, mais il s’est vite reconverti. Amusant d’espérer. Une fenêtre de liberté individuelle si le vent souffle fort pourrait donc bousculer les meubles ? A quand les blogs des socialistes mécontents de la cantine ?
J’ai récupéré à table ce midi la recette de la tarte au maroualle. Pâte levée (farine 200, œufs 1, beurre 50g, levure de boulanger) + maroualle et filet de crème. Je l’essayerais dimanche avec mon fils et ses garçons. D’abord trouver en terre dauphinoise du maroualle. Trouver aussi TAMAGOCHI pour Sim. C’est son souhait d’anniversaire.
Conversation philosophique sur un banc en attendant que se débouche le bouchon à la cure. Marie-Thérèse qui s’impatiente pour le retard me raconte comment sa petite fille de 14 ans lisait sur une revue qui lui était destinée la question suivante : « est-ce que tu crois qu’on peut aller en boite à dix ans ? » « Ben oui ! bien sûr » répondit l’ado à sa grand-mère, bien qu’elle-même soit très en retard de quatre ans sur la norme »
Aller en boîte, les vieux, les enfants quand il n’y a plus dans la rue, le parc, de place pour danser ? Sortir des boites à tout bout de chant
« Le quatrième Rabbi était un poète. Il prit du papier, une plume, s’assit auprès de la fenêtre et composa de multiples chants, sur la colombe du soir, sur sa fille dans son berceau, sur les étoiles du ciel. Et sa vie ne fut que meilleure. » Clarissa Pinkola Estès « FEMMES QUI COURENT AVEC LES LOUPS »

Thérèse 6-6

Thérèse est toute remplie de son dimanche en famille. On fêtait les trois ans de son petit-fils. 26 personnes au déjeuner mais simple : le barbecue , la salade de tomates … Elle laisse à sa collègue le soin de remplir d’eau thermale les bocks et s’installe à côté de moi pour me montrer les photos de ces merveilles : ses deux petits-fils Dorian et ? Thérèse tient sans doute son prénom de St Thérèse, les petits - enfants eux s’appellent plutôt prénoms en vogue et outre-atlantique. Après ces deux magnifiques garçons de sa fille aînée et de son gendre, (beau aussi le gendre, carré, athlétique, content de poser en famille sur le numérique dont il reproduira gratis les images pour sa belle-mère) Thérèse espère bien une petite fille, des filles. Pour les robes. « Mais elles sont toutes en pantalon », j’ose en me souvenant de mes rares mais méritoires essais de couture. « Oui mais pas quand elles sont petites ». Quand elles sont petites les filles (jusqu’en sixième pour sa seconde qui a dix-huit ans et est étudiante) on peut leur mettre des robes. On peut habiller les filles en filles tant qu’elles vous appartiennent. Des jolies jupes, des frous-frous. Thérèse n’a pas le temps de préciser sa vision des filles mais le mot est venu à la dame de 38 qui se souvient d’avoir entendu la chanson
En culotte me direz-vous on est bien mieux à bicyclette
Mais … sans le … de son frou-frou
Une femme n’est pas complète …
Frou-frou frou-frou par son jupon la fe A mme
Demain j’essaierai de lancer l’air vieillot pour voir si Thérèse le connaît
Est-ce que j’oserais ? Est-ce que je ne vais pas détraquer le bon fonctionnement de la cure ?

A voir Thérèse lâcher l’essentiel de sa vie et de ses pensées entre deux remplissages de récipients, nettoyages de poste, je l’envie encore pour cette disponibilité à l’instant. Pas besoin de blog pour s’exprimer, pour chanter, pas besoin de scène.

De Thérèse il est question à la nouvelle table d’hôte où je suis installée : petite pension de famille. Nous sommes huit à la table commune. Et pourquoi Thérèse ? Parce que tout le monde écoute en crachant, reniflant, les refrains de Thérèse, la voix pétillante de Thérèse. Tout le monde s’abreuve à Thérèse. Les anciennes font remarquer que « la grande », sa collègue, s’est bien améliorée, depuis que la dame plus âgée que moi à ma droite lui a gentiment donné une leçon d’amabilité.
Avec La Grande (que j’aimerais pouvoir nommer) ce matin la conversation « Un litre, deux litres ? » « 5, 10 minutes ? » a porté aussi, tout naturellement, sur notre santé ce dimanche. Je lui ai dit le sursaut de sinusite, elle m’a raconté sa migraine.

Une semaine de cure a suffi pour que je sois complètement intégrée au paysage. La sinusite idem dans son lieu de prédilection : mes sinus. Je titube un peu en sortant des pulvérisations, aérosols soniques (que je sais à peu près nommer correctement) « Alors, dit Thérèse qui voit tout, bien que je ne l’ai pas vue sous mes lunettes embuées, on a bu un petit coup de vin blanc ? »
Ça fait du bien d’être en pays de connaissance et surveillée du coin de l’œil. La deuxième semaine je ne suis plus en cure à Allevard je suis chez Thérèse.

05 juin 2005

france du milieu

France du milieu
Ce n’est pas toujours confortable. Par ta position, un dimanche matin, devant l’ordinateur, tu touches au haut : culture et loisir, orthographe vérifiée automatiquement, déplacement possible en auto, téléphone portable et appareil photo numérique … Par tes souvenirs récents tu penses au bas dont tu viens. Tu l’envies presque ce bas : ritournelle quotidienne de l’employée de salle aux thermes « Pa la la la Petit tambour … » Elle sent son cœur qui bat baba lalal...
Tout le monde la connaît sous son prénom. Tout le monde le lui sert à Paulette sur un plateau son prénom qui n’a rien de remarquable. Les curistes, le personnel de cure. Les médecins eux-mêmes pour les plus sympas viennent s’asseoir un moment dans le couloir. Ses pas sont limités de 7h à midi au couloir dont elle s’occupe. Passer la serpillière au sol toutes les dix minutes : les vaporisateurs distribuent l’eau soufrée aux quatre coins, essuyer et désinfecter les bacs après chaque client, croire sans état d’âme aux supériorités de la javel … et chanter, et tchatcher … Avec les copines de par ici qui passent, avec les messieurs affables vieux clients ou nouveaux qui lui font tous les yeux doux … rassurer les gamins et les vieilles dames, enclencher les machines … « Elle a des tâches de rousseur charmantes » pensent les vieux messieurs, un sourire sans équivoque. Elle est grand-mère. Tiens je n’aurais pas cru ! Je la prenais pour une jeunette. C’est que je suis en passe de devenir arrière grand-mère. Mes petits -enfants dans quelques années vont atteindre le stade de la reproduction. Mes appréciations sur les âges sont faussées par le mien grandissant
Mère : tu es du milieu, grand-mère tu commences à glisser sur la droite et la suite … C’est la vie Mamie !
Est-ce que Paulette envie ma retraite et mon application à la pipette et aux gargarismes ? ça m’étonnerait. Une certaine France d’en-bas se porte bien là où elle est. Contente d’avoir du boulot, contente d’habiter le beau Pays d’Allevard, contente d’être grand-mère et satisfaite que Dalida nous ait laissé un petit tambour pour battre la cadence …
Même si un nom à particule a remplacé un nom d’En bas au gouvernement, un nom à consonance émigrée accolée à la France éternelle, je ne crois pas que pour moi le changement soit d’importance.
Je reste au milieu. Sauf en bloguant où je peux m’octroyer toutes les identités sur l’échelle. J’ai découvert que Gelzy mon nom récent est porté sur le net en nom de famille par une tribu de quelques 200 membres. Là encore m’imaginant seule sur la vague je suis goutte dans le courant. C’est le plus souvent rassurant d’être du milieu, le juste milieu, pas le milieu dangereux. Entre le oui et le non comme dimanche dernier. Quelquefois inconfortable. Mais qu’est-ce qui m’empêche d’essayer le parapente ? Entre ciel et terre, la terre vue de haut mais toute proche encore et si belle en couleurs en ce moment, le ciel vu d’en dessous mais limité à son plafond de nuages.
Je suis née coiffée. J’aime le vent qui décoiffe, à condition qu’il ne titille pas trop fort les sinus. Un Dimanche matin jour du seigneur je suis en position intermédiaire OK .

04 juin 2005

vert et bleu 3-6

VERT ET BLEU

Dans l’arbre en face de ma fenêtre, ( qu’est-ce que c’est ? un noyer !) une dentelle bleue qui borde le grand drap du ciel.
J’ai photographié les ouvriers du chantier dans la rue. Ils ont abandonné leurs outils, leurs machines sans souci pour le goudron fumant pour se regrouper,(faire le pitre : un grand gaillard hilare), embarqué le chef de chantier sur la photo de groupe. Je commence à comprendre le blog de Julie. Je n’imaginais pas à quel point les gens ont envie d’être sur la photo. Mais quels gens ? Ceux justement qui n’y sont pas souvent, qui n’ont peut-être pas d’appareil … hier c’est le photographe d’ici qui est venu m’a-t-on dit. Je passerais à sa boutique.
Photo aussi, d’animaux sauvages, pour le guide de la ballade au-dessus d’Allevard. Il raconte les loups, les marmottes, les chevreuils, les chamois. Il n’a pas eu de chance avec le loup. Invisible. Il a déjà trouvé une brebis arrachée au troupeau, elle avait deux agneaux dans le ventre. Il est allé le dire au berger qui justement la cherchait mais le prédateur avait disparu. Il peut courir 120 km en un jour. J’ai peine à croire que ma mémoire est exacte.
Pour les fleurs aussi, les arbres, le guide peut être intarissable. Et même pour le cimetière avec son mausolée d’une pseudo-descendante de roi de Hongrie. Il connaît tout de l’histoire, des légendes, des versions successives d’une même histoire. On sent ses pieds attachés à ce pays rude, son esprit aux vieux grimoires, son amitié à ceux qui vivent de leur travail. Il donne à l’occasion un coup de main aux éleveurs comme quand il a fallu aller chercher les moutons sur les hauteurs, la neige ayant fortement tombé pendant la nuit. Les génisses avaient eu l’instinct de descendre mais les moutons de Panurge avaient suivi le premier, affolé, et grimpé, grimpé …
On apercevait le glacier du Gleyzin. Envie de le prendre en aquarelle. Je retournerai dans le coin de l’envie. Mais est-ce que j’aurais le temps pour tout ? Le dehors me tire dehors de toutes ses forces. Il ne manque pas de dépliants touristiques pour m’inciter à quitter le périmètre de la cure. Le dedans aussi se renforce. Début de conversations avec telle ou tel, Nicole surtout, la Normande. On se raconte, sans trop ni peu. Calmes, sereines. Greffé sur les peines le bonheur d’être là, capable de vivre sur soi-même et d’écouter l’autre.
J’ai terminé « Une saison blanche et sèche ». Bien que la mort de Ben ait été annoncée dès le début, j’avais peine à le quitter. Il me semblait qu’il méritait d’échapper au prévisible. L’alternance des deux voix, Ben à la première personne, le narrateur ex-copain d’école à la deuxième, rendait l’histoire convaincante.
J’enverrai la lettre d’ Amnisty à Monsieur le Président de la République. Sans beaucoup d’illusions mais Sarko hier soir à la télé m’a donné des boutons.
« Tout recommence-t-il avec moi ? Si oui, pour combien de temps ? Réussira-t-on jamais à briser le cercle vicieux ? N’est-ce pas si important ? Faut-il seulement poursuivre ? Purement et simplement ? Poussé par quel sentiment de responsabilité envers un idéal auquel Ben aurait pu croire : quelque chose que l’homme peut être, mais qu’il n’a pas souvent la possibilité d’être.
Je ne sais pas.
Tout ce qu’on peut espérer, tout ce que je puis espérer, n’équivaut peut-être à rien d’autre qu’à ça : écrire, raconter ce que je sais. »

aurore 2-6

AURORE

C’est le nom de la petite fille envolée à qui je n’ai pas pu lire une histoire
Monsieur Daniel est le nom de mon voisin, à la table dans mon dos. Je ne connaissais de lui que son nom prononcé avec sollicitude par la serveuse du restaurant. Quand j’ai osé me retourner j’ai découvert ses yeux clos et sa canne blanche. A lui non plus je n’ai pas lu d’histoire bien que je le lui ai proposé. Il préfère le beau temps dehors et le silence. Il assiste aux informations de 20 h à la télé, tournant à demi le dos à l’écran, tête penchée en avant, sa casquette entre ses mains, parfaitement immobile et silencieux. Les nouvelles qui tirent des autres un mouvement d’épaules, une exclamation le laisse imperturbable.
Un autre aveugle circule dans les couloirs de la cure.
Comment sentent-ils l’aurore les aveugles ? Ce matin je l’ai entendue arriver vers cinq heures sans doute au premier friselis d’oiseau.
Mon ordinateur a des finesses insoupçonnées. Ne vient-il pas de me suggérer une virgule après « matin » que j’avais placé sans majuscule, en nuançant que la virgule, chère amie, « a des finesses » … « et qu’il semblerait que »… Très intelligent et cultivé mon ordinateur. Courtois.
L’aurore a des finesses elle aussi. Elle me tire avec un chant d’oiseau d’abord en pointillé, ensuite en caractères gras, de mon passage nuageux dans la nuit. Elle ressuscite ma mémoire d’aurore et une douce circulation reprend dans mes cellules. Quand je serai bien installée ici aurais-je le courage d’aller la chercher dans les montagnes cette aurore toujours neuve ?
Se lever aux aurores. Un pluriel curieux. Mon ordinateur en connaît-il les finesses ?
Se lever aux aurores c’est encore avant les oiseaux. Vers trois, quatre heures pour avoir le temps de l’ascension ou de la journée avec un gros boulot à abattre.
Malgré mes envies passagères je reste la petite donzelle qui dormait dans son lit et que réveillait sa maman. La vieille dame très peu indigne qui se conforme aux règles et aux horaires convenus.
La petite Aurore a déjà de grosses lunettes à cheval sur son nez. Son frère aussi. Il ne sait pas pourquoi. Astigmate ou myope ? Des mots trop savants pour lui. L’un et l’autre auront-ils la chance de grandir avec une meilleure vue qu’au départ.
Peut-on en ratant les splendeurs de l’aurore arriver néanmoins au crépuscule dans la lumière ?
Ooah ! ouh !
Hier au soir donc ( réponse partielle à la question) en fermant les volets j’ai vu, de mes yeux vus, un ballet d’ailes volantes presque au-dessus des toits. Cinq, six qui apparaissaient, disparaissaient, formaient de lentes figures. Plus bas c’était des oiseaux qui dansaient aussi. Hommes ou oiseaux avaient le même rassemblement sur eux-mêmes pour laisser l’aile se développer, prendre toute la place. Plus rapides, en contre-chant, les oiseaux. C’était beau. Doux. Tranquille. Le maître de ballet était sûr de son affaire. A tout hasard j’ai dit « Merci »
J’aime ces prières faciles qui montent dans le soir comme dans le matin.

Brise 1-6

BRISE

Quatre plumes d’oiseau ont incendié la brise
Elle s’est prise pour l’ouragan
De sa bouche menue elle souffle, elle attise
Joyeuse elle est les quatre vents

Elle supprime du R la petitesse admise
Du nord elle dévale en courant
Elle fait peur aux moineaux, les secoue et les brise
Et forte de se sentir bise, elle admoneste le printemps

Quatre plumes de brise ont incendié l’oiseau
Il pépie, exagère, chantourne et roucoule
Se vautre de soleil, explose et fait le beau
Multiplie les loopings chaque fois qu’il se roule

Moi, couchée sur la brise, tête dans les oiseaux
J’ai oublié d’hier la chanson monotone
A la gamme du jour je dédie mes neurones
Je suis bien sur mes pieds et n’ai plus mal au dos

temps pour tout

Temps pour tout

Il y a temps pour tout et j’ai tout mon temps.
Le temps mesuré par les sabliers, les pendules, le temps de cure me convient.

Le temps de nuit sans sommeil ne semble pas me manquer pour aborder le temps de jour ce matin. J’avais arrêté le réveil et cependant me suis réveillée avant l’heure.

Premier sourire du matin : celui de Romain qui devant l’hôtel en attendant de partir pour l’école saute sur les bords de trottoir posés sur du sable. On est en train de refaire la rue. Quand je suis arrivée hier tirant ma valise à roulettes, j’ai eu des doutes sur ma tranquillité future. Déjà que le temps était à la pluie. Mais aujourd’hui le temps qu’il fait est en progrès, se rassérène. Le temps qui passe, lui, est fixé.
J’ai temps pour tout, vivre et soigner, écrire et lire, recommencer et découvrir … Photographier.
Sur le bout de pied de Romain, fils des hôteliers (il s’est immédiatement présenté) un papillon est déposé. Un beau papillon, de nuit sans doute, tant il est gris. Un beau papillon immobile en attente de photographie. Je retourne dans la chambre pour y chercher mon appareil. Quand je reviens Romain a déposé dans une boîte blanche en plastique sa découverte pour l’observer au microscope. Entre temps il troqué le tutoiement de notre rencontre par un vouvoiement plus cérémonieux. Je lui dis ma déception. Une curiste sort de l’hôtel et se retient d’avancer pour ne pas gêner la photo. Je l’invite à y participer, elle accepte avec des mercis.
Idem pour toutes les autres propositions : la jeune femme de l’équipe municipale qui taille la haie, les maçons qui crépissent le mur d’en face. Un qui tague le produit en lignes ondulées de gauche à droite, l’autre qui lisse … De la relecture de Julie hier « moi aussi j’ai commencé doucement et je n’écris pas tous les jours mais finalement il m’arrive tous les jours quelque chose » (citation de mémoire) j’ai ouvert ce matin un oeil plus perspicace sur les aventures du jour. Dans le parc des thermes j’ai imaginé trente-six photos ( des curistes avec leurs sacs bleus, des enfants qui traversent pour se rendre à l’école …) Finalement la petite ville n’est pas aussi vieille, aussi morne qu’elle m’est apparue hier. C’est moi qui aie changé bien sûr. Les deux profs ou instit se disent au revoir en bonnes collègues « Merci pour le café ! » ; des mères de famille se congratulent sur leur progéniture. L’une a affublé son bout d’homme qui marche tout juste d’un casque cycliste. Est-ce pour lui éviter les bosses ?

J’arrive en avance et m’installe dans mon bouquin trouvé sur une étagère de l’hôtel : André Brink
« Une saison blanche et sèche »
Bonne humeur : dès le début j’imagine (comme pour les photos) une cascade d’écriture en partant de la première ligne du roman.
Le temps donc découpe entre les pages du bouquin les espaces consacrés à la cure. Soigneusement notés, chronométrés ils en acquièrent de la souplesse. Sauf bien sûr quand le soin est trop coercitif, la pulvérisation par exemple. Là je lâche la mesure de la chanson qui passait, la formule à répétition, depuis « ohm bourboura souvouaha tat savitur varénian » jusqu’à « adolescent morose oh oh oh oh oh » répété samedi avec Claude en passant par « Notre père et je vous salue Marie ». Pendant ces soins-là je ne peux pas lire. Mes lunettes s’embuent, mon nez dégouline …
Une des dames de salle ( pas des infirmières, encore moins des médecins, seulement des servantes, des auxiliaires de vie comme on le dit si bien maintenant et payées sans doute au smig) fredonne à côté de moi. Je coince ma respiration par la bouche juste le temps de reprendre quelques notes avec elle. De quel air connu ? J’ai oublié mais le partage nous permet d’échanger un commentaire sur les infos d’hier au soir qu’elle et moi avons suivi tout en étant « gavées » par la langue de bois. Nous concluons sur la nécessité d’inventer « autre chose » de moins bloqué pour l’avenir. Bonne humeur. Il me semble découvrir ici dans ces thermes à gestion municipale une autre ambiance qu’à « la chaîne du soleil »
Découvert au musée un tableau de Jean Cognet sur Allevard. Je me souviens de son appartement à Grenoble où il nous avait invités. Je me souviens de Barbotan et de lui avoir préparé la soupe le soir où il était venu rejoindre France.
Temps de flâner, de faire la sieste, de regarder les feux de l’amour ! La petite sœur de Romain que j’ai entendu japioter dans la cuisine vient me voir et tente de s’emparer de mon attention. Elle s’appelle Aurore. Elle porte des lunettes qui glissent de son nez. Elle reviendra après l’orthophoniste mais quand je reviens moi, de ma balade je ne la trouve plus pour lui lire le livre réclamé …
Nous sommes nombreux aux info à écouter Chirac. Chacun réprime ses réactions. Politesse et prudence vis-à-vis des autres.
Etc … Une journée chaude et tranquille. St Pierre d’Allevard ce soir en aquarelle un peu, et en photo (clocher du 11 eme siècle)

Petite ville 30-5

Petite ville de cure.
Petit début de lundi gris. Le temps a changé. La France a changé. L’Europe …
J’ai réussi à tout conclure en une matinée : visite au toubib, inscription et soins
La dame dans la salle des inhalations annonce à sa collègue que, elle, elle passe aussi à la javel le bac à crachats. A quoi la collègue répond qu’elle y avait aussi pensé. Voici donc deux femmes d’accord sur l’hygiène. A d’autres moments la conversation entre elles s’oriente vers les bienfaits des aspirateurs sans fil. Le balai Pouah ! Il y a longtemps que même dans sa cuisine l’une l’a abandonné … Et la belle-mère aussi d’ailleurs (qui n’a pourtant pas grand chose à faire puisqu’elle vit seule) a acheté un sans-fil.
Christine vend le petit matériel à deux pas des Thermes ( pipette, verres) C’est Paulette à l’Accueil qui m’a dirigée vers sa boutique. Paulette est en blouse blanche, Christine à l’extérieur en robe bleue. Le papa de Christine met mon matériel dans le sac cadeau blanc orné d’un nénuphar avec la pub pour les produits bio de la boutique. Les Thermes m’ont offert aussi un sac bleu à leur signe WWW.thermes-allevard.com. Comme ça dans la rue nous n’aurons pas de mal à nous reconnaître entre curistes.
Je sais tout. Pour les 18 jours j’ai tout. Deux sacs gratuits.

Corrigé un cahier en me demandant si j’oserais le mettre en clair, avec les prénoms réels, ici. J’ai encore beaucoup de mal à savoir où placer les frontières.
***
Tu es là-bas sur ton bateau
L’eau clapote jusqu’à tes rêves
Je ne dors pas. Que puis-je faire pour te rejoindre ?

Et ce silence irrésolu …

Demain je tracerai des lignes
Lignes de cœur, lignes de vie, lignes de mots
Cette nuit je lis ce que traça une grand-mère Sidonie
« pour ses petits enfants » dit-elle
Comment peut-on oser se plaindre,
nous les nantis, nous les vivants
après tant d’horreur, de souffrances
dans ces années quarante-quatre ?

Quel Dieu répond à nos questions ?

Comme un silence sans grillons
Est dur après pareille lecture

Je pense à toi sur ton bateau
Pour trouver un sommeil qui flotte