Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

31 mars 2012

non-lettre à GODOT



Mais non, Godot, Godillot, votre nom est totalement étranger à mon monde. Un Godelureau, ce n’est qu’un bon à rien, un faiseur d’embarras, un « bouème » dont il faut se méfier.
Et pourtant, à force de le voir s’étaler sur les devantures, ce nom râpeux, de la page 16 à la page 121 des Editions de Minuit, à maintes et maintes reprises que je ne veux pas dénombrer, c’est par la lecture qu’il a pénétré dans l’espace clos et ouvert de mon intimité. Livre offert par mon amoureux. Avec lui j’entre dans les modelures étranges, fascinantes, inquiétantes d’un discours existentiel, dans les arcanes d’un réalisme insoutenable (après d’autres lectures très concrètes de ce qui s’est passé pendant la guerre), dans les méandres d’un comique grinçant, dans les circonvolutions d’une fantasmagorie langagière sans queue ni tête et pourtant si lucide !
Non Godot, Monsieur Godot, je n’ai aucun reproche à vous faire aujourd’hui. Plus rien à vous dire !
Certes vous ne venez pas aux rendez-vous !
Certes vous vous annoncez d’abondance et vos émissaires ne savent ni pour quand ni pour où,
Appâter les oiseaux c’est déjà les faire voler, les nourrir, assurer la perpétuation de l’espèce : vous existez donc.
Mais je n’ai aucun merci à vous transmettre. Ni pour les rêves de l’attente, ni pour les leçons de la déception, ni pour le miroir aux alouettes, ni pour le vol de gerfauts hors du charnier natal…
Et si j’écris à Godot cette lettre sans adresse qui n’arrivera pas, c’est moins pour justifier que c’est Moi-Même qui « tient la plume pour écrire », autre héritage convenu des en-têtes, que pour laisser la dite plume librement se glisser sous la couette des mots.
Ah les mots ! substrat et envoûtement de la pensée, cailloux inutiles au fond du torrent mais si jolis dans les reflets de l’eau !
Comme il s’en gargarise ce père Godot qui n’est jamais là !
Et je n’ai plus qu’à reprendre les miens en main sans lui adresser ni la parole, ni la parabole.

30 mars 2012

LETTRE à GODOT


"-Patience, ça va venir

-Un peu d’attention s’il vous plaît

-Reste avec moi

-Je m’en vais

-Comment va ton frère ?

-Alors on y a ?
Allons-y."

Mon cher Godot,
Oh je sais bien, cette habitude : dire Cher, Chère avec intention, sur papier à en-tête, attention directe, quelle que soit le correspondant, je la tiens de l’enfance
Ma chère marraine,

Quel bonheur d’avoir quelqu’un de cher, de simplement connu à qui s’adresser, à qui parler, mieux encore à qui écrire !
Quel plaisir de sortir ses mots du dimanche, du Jour de l’An sur papier d’exception : PAPIERàLETTRE, à être

Mais non ! Godot, tu ne m’es ni famille, ni proche, in intime en quoi que ce soit : je raye le « cher »
Je garde GODOT. Depuis le temps que j’entends ce nom-là, évoqué, invoqué, supplié, depuis le demi-siècle de sa parution ; ce Godot qu’on attend ! appeler par ce nom cette silhouette mythique, ce fantôme d’homme ou de dieu, c’est déjà le faire exister !
1952. j’étais élève au Cours Complémentaire, classe de 5ième. Année de grand vent dans les grands arbres romantiques du programme. Année de sortie de l’enfance par la porte des Belles Lettres.
Godot apparaît sur la scène, sur le trottoir aussi, dans la rue. Je ne le connais pas. J’ignore tout de son existence ou de sa non-existence mais me prépare à sa rencontre. Je travaille, je potasse, j’écris mes premières envolées lyriques. J’aime.
Ce n’est qu’à L’Ecole Normale où je suis intégrée à force d’élans et d’exercices que je rejoindrai, classe de philo, l’actualité, le fauteuil d’orchestre, Godot.
Godot. Par ces syllabes il me ressemble, il est de ma tribu. Goder pour un vêtement c’est être mal taillé, mal ourlé, pendouiller, godailler.
L’allure godiche c’est la mienne, mal dégrossie de paysannerie à complexes culturels, de campagne lointaine à superstition, « retard » technologique, brodequins lourds et blessants ( ceux-là même d’Estragon). La Gode je sais ce que c’est. Je coupe, au couteau, les hauts des plants de maïs pour en nourrir nos bêtes, je les charrie sur la carriole ; quand la rape est mûre je la casse d’un coup sec, je la défeuille, je l’égrène …Dans les années de la guerre nous faisons la grimace à avaler la Godelle, farine de maïs de nécessité.
GODES ? GODER ? GODELLE ? GODOT ? Pouah ! Travail, Patrie, Religion, beurk !

29 mars 2012

un invisible oiseau ...


dans le ciel a chanté"

à 6H pile je viens de vérifier
au carrefour de l'aube
il a posé les pattes

petit oiseau que je devine
sur la branche du sapin bleu
je connais ton rythme et tes rimes
si je ne suis pas des yeux
dommage que je ne puisse suivre
dans tes trilles si haut perchées

oiseau! oiseau! peut-être merle
peut-être bouvreuil ou loriot
pourquoi te tais-tu maintenant ?
pourquoi vas-tu prendre sommeil
à contre-temps ,
Si le matin que tu réveilles
est déjà pris dans le hallier
ne va pas bailler aux corneilles
quand il y a tant à chanter
que je suis là pour t'écouter !

27 mars 2012

cendroye


Et sa marraine la prend dans ses bras, caresse sa joue, lui murmure :
- Repose-toi Pâquerette ! il faut que tu sois belle et reposée pour le bal au château
- Oh Marraine Le bal ! j’ai tant à faire. Tout est préparé pour mes sœurs, leurs falbalas, leur équipage mais je resterai, moi, près de l’âtre à monder pour l’huile de l’année ce tas de noix qui reste encore à casser, à trier et je suis loin d’avoir fini. Ma mère me punira de ma paresse.
- Tu n’as ni sœurs ni mère en ce monde mon enfant. Mais ta maman du ciel m’a déléguée. Repose-toi ! il est venu le temps de ton repos. Un carrosse viendra te chercher après le départ de ta marâtre et de ses filles. Laisse-moi te guider. Tout est prêt. Tu seras la plus belle, le Prince viendra, il te prendra par la main et vous danserez la vie.
- Marraine ! Avez-vous vu mes doigts écorchés, mes ongles cassés. Comment un Prince voudrait de cette main indigne ?
- Ne t’inquiète pas Pâquerette. Pâques est venu. Tes mains nous les couvrirons de gants de soie jusqu’à ce qu’elles guérissent. Et sous les gants de soie tes mains laborieuses deviendront mains de princesse heureuse.

Ainsi fut fait …. Pâquerette s’en alla au bal…
À minuit, affolée, elle quitta précipitamment les bras du Prince dans lesquels elle valsait pour rentrer avant que les chevaux du carrosse ne redeviennent rats des champs, que la voiture ne rentre dans l’écorce d’une courge, et que la robe si belle, si dansante, si voluptueuse, ne soit sarrau dépenaillé …
Si précipitamment qu’elle accrocha au passage de la porte du palais sa main qui l’ouvrait : le gant resta sur la poignée, tomba à terre. Tout cela si vite, si habilement, que le Prince ne put rattraper le feu follet.
Le lendemain, Pâquerette revenue à son ouvrage, revenue aux ordres et châtiments, se met à trembler en reconnaissant son cavalier qui, de maison en maison, de hutte en ferme, de chaumière principale en résidence secondaire, cherche méthodiquement à retrouver les promesses de la main douce, forte, souple, vibrante qui avait séduite la sienne.
Arrive ainsi au hameau, le Prince, charmant, désinvolte, passionné, unique.
Trouve non sur le champ mais à l’intérieur de la chaumine la main douce, forte, souple, vibrante avec laquelle il veut conclure pacte et bonheur.
Demande la main, l’obtient, la garde
Pour le meilleur et pour le pire certes mais surtout, il n’en doute pas, pour le meilleur possible dans le meilleur des mondes possible.
Pas fou ce Prince, pas ébergivé, pas dingue, pas niaiseux pour un sou, pas empoté !
Trouve ce qui se trouve quand on cherche : la main dans le sac, la main pour le gant.

Et c’est pourquoi, dans le vent qui souffle sur les pâquerettes au printemps, l’histoire de Sandroye, a trouvé, quelque part en Bas-Dauphiné, tout près du Rhône, une oreille pour entendre, un oiseau pour chanter
Et une bouche qui aille comme un gant à cette histoire…
Dieu soit loué !

26 mars 2012

Cendroye


Il m’a fallu tout ce parcours dans le temps et la mémoire pour retrouver et comprendre le conte de Cendrillon. Non pas Cendrillon ! Cendroye ! c’est ainsi qu’étaient appelées dans mon enfance toutes les petiotes qui ne remplissaient pas à la lettre les conditions de propreté, de rapidité, de courage, que réclamaient les mères ou les belles-mères courroucées.

Cendroye !

Cendroye vô qui de l’égue ! (va chercher de l’eau) depachiète ! te vô vae ! te voua t’astiquo lo couar ! ( dépêche-toi ! tu vas voir ! je vais t’astiquer le cuir !)
Cindroye mé de boua dien lo fouè ! ( mets du bois dans le feu) freute leu sabeu ( frotte nos sabots)
Cendroye ! Cindroye !

Et Cendroye, Cindroye, allait et venait, montait et descendait, frottait et repassait, sans relâche, du matin au soir, de l’aube grise jusqu’au crépuscule fané …
Les voix mauvaises la poursuivaient même dans son sommeil. Elle en arrivait à oublier son vrai prénom : Pâquerette. Petite fleur du printemps elle n’était plus que chair meurtrie, fatigue accumulées dans les membres, désarroi du cœur et de l’âme. Elle tombait dans le sommeil d’un coup, comme un poids mort. Elle s’en relevait sans nulle douceur venue du rêve, nul appel tendre de sa mère en allée

Cendroye Cindroye ! autant dire souillon, paresseuse, vaurienne, bonne à rien, bécasse, laideron … Que ce soit l’invective en beau français imité du château, l’injure en patois de terre glaise, voire la claque ou le coup de trique comme aux bêtes, elle continuait d’un pas à un autre, d’une tâche à la suivante, à rouler sa pauvre vie sans espoir sur les chemins.
Mais aujourd’hui, immobilisée soudain, les deux seaux dans ses mains, elle écoute.
Un petit oiseau. Une toute petite musique insistante. Elle l’entend. Depuis si longtemps elle l’avait perdue.
Mais aujourd’hui …

23 mars 2012

nouvelles du front


Des petits élans carnivores
Bonjour !
Et des éclats de sémaphore
Toujours

Un long fil d’araignée
Au plafond

Une photo de nouveau-né
C’est bon !

C’est bon
Ne voilons pas la glace
Elle sait
Qui est caché derrière la farce
Des regrets

Un petit fil tétraplégique
Au front

22 mars 2012

le cahier mauve


Elle se leva pour ouvrir la porte, persuadée qu’il serait là sur le seuil, qu’une explication conviendrait à sa disparition momentanée : sa mère était revenue pour le parcourir et venait le lui rapporter, le rendre à sa légitime propriétaire ; son fils l’avait ramassé par inadvertance et, bouleversé par sa lecture, avait repeint la chambre du passé en mauve ; le chevalier, sorti du bois, l’avait vu scintiller dans l’herbe comme une pantoufle de vair et rapportait à l’inconsciente le trésor inaltérable, nettoyé de sa poussière et de ses faux-semblants …
Mais non ! Rien de cela. Une porte ouverte, avec un paillasson pour s’essuyer les pieds quand on arrive du jardin. Une fenêtre ouverte et un tas de cahiers multicolores comme autant de grains de gravier nouveaux.
Elle avança sur le seuil. Elle passa la porte. Au-delà elle passa aussi le petit pont. Elle s’engagea sur le chemin. Elle prit un bâton dans le buisson pour appuyer sa marche.
Ainsi, de pas en pas, elle s’éloignait du cahier mauve. Ou s’en approchait ? elle n’aurait su dire. Sa silhouette se confondait avec le verte des feuilles, le pépiement des première fleurs de ce printemps.
Vieille ou jeune, quelle importance ? le temps n’avait plus d’âge. La couleur même des cahiers se faisait lumineuse de ne plus avoir à se définir dans l’absolu. Elle regagnait sa raison à pas tranquilles.
En prenant le premier la tangente, la poudre d’escampette, en s’accordant le premier liberté sur paroles, le cahier mauve lui avait ouvert la voie.

21 mars 2012

le cahier mauve


Pourquoi cette disparition ? elle tenta désespérément de faire remonter le cri jusqu’à sa gorge puis de l’expluser en une ou plusieurs explications qui en extrairaient l’intelligence exploratrice. En vain. Alors elle se jeta sur les cahiers épars, ouvrit grand la fenêtre sur le jardin et les propulsa un à un, le temps d’en vérifier la couleur, sur le gravier de l’allée.
Ils tombaient, s’écrasaient avec un bruit de ferraille pour les premiers, puis, la couche s’épaississant, avec un ricanement feutré de papier qui amortit sa chute. Au fur et à mesure que la pièce se désengageait, son angoisse montait, les chances de le retrouver s’amenuisaient. Son bras droit, de plus en plus convulsif, battait l’air comme une aile cassée.
Elle les balança tous par dessus bord et s’assit, prostrée. Le vide multi dimensionnel l’enveloppa d’un silence étrange, les murs, le plancher semblèrent renvoyer encore quelques reflets colorés puis le scintillement s’arrêta. L’air ne bruissait plus, parfaitement invisible.
Alors sous la douleur insupportable, elle ferma les yeux. La perte était trop immense, trop injuste, trop irréparable. Elle avait tout oublié du contenu de ce cahier mais elle savait qu’il lui suffirait d’en dérouler le tapis des mots, actionné par le premier d’entre eux, pour le retrouver instantanément la chaleur du sang, le rythme de la circulation, l’aller et retour des globules qui avaient présidé à leur venue.
Elle savait que si elle s’attardait trop, paupières serrées, mains inertes, avec cette colonne intérieure de mauve qui se figeait lentement, elle risquait l’ankylose totale, la crampe définitive, la raideur mortelle.
Elle relâcha les paupières qui , de carcan, se firent coquille prpotectrice à ses yeux. Elle frotta ses mains l’une contre l’autre et elles se réchauffèrent. Jusqu’à se séparer, réconciliées, jusqu’à monter à ses joues et les caresser. Le nœud abrupt du mercure violâtre se déplaça spasmodiquement d’abord puis de plus en plus en rythme souple jusqu’à ce que estomac, nuque, boyaux, viscères et pompe et cœur sacré et nerfs veineux et aorte digestive, pylores, valvules, sphincters se distendent et retrouvent un accord liquide, liquoreux même.


(Affaire à suivre !)

20 mars 2012

le cahier mauve


Mon cahier mauve, mon cahier mauve » hurla-t-elle, mais le cri était si fort, si désespéré qu’il ne fit qu’une minuscule bulle mauve en sortant et s’engouffra à l’intérieur, en un tourbillon violacé.
Il lui avait suffi d’un seul coup d’œil en entrant pour mesurer l’ampleur de l’absence du cahier mauve. Sur la table, sous ses pieds, tout autour, entassés, les cahiers bleus, les cahiers roses, les cahiers bruns et mordorés, les cahiers noirs eux-mêmes attendaient, sans ordre aucun, de se mettre à sa disposition. Mais il était temps de s’en rendre compte : le cahier mauve s’était vulgairement barré.
Certes, elle aurait pu attendre sagement son retour, l’affleurement des résurgences bleu pâle virant doucement au mauve quasi, au lilas presque, quand s’établirait le contact des souvenirs. Mais ce jour-là, elle ne pouvait se fier au hasard. Il lui fallait dans l’instant même retrouver du cahier mauve les effluves de printemps et de violettes ;
Jamais, comme aujourd’hui elle n’avait compris à quel point les cinq pétales des humbles fleurettes étaient le signe adressé personnellement aux doigts de ses mains.
Quelques-unes des années antérieures étaient restées collées entre les pages, n’avaient perdu qu’un petit dix pour cent d’intensité en séchant. Chaque ouverture nouvelle ressuscitait les attendrissements parfumés, la jeunesse inaltérable des pensées mauves, car violettes et pensées, crocus et pervenches, rivalisaient de grâce et de légèreté ainsi logées entre les pages.
Pourquoi cette disparition ? elle tenta désespérément de faire remonter le cri jusqu’à sa gorge puis de l’expluser en une ou plusieurs explications qui en extrairaient l’intelligence exploratrice. En vain. Alors elle se jeta sur les cahiers épars, ouvrit grand la fenêtre sur le jardin et les propulsa un à un, le temps d’en vérifier la couleur, sur le gravier de l’allée.
(Affaire à suivre !)

19 mars 2012

dialogue de sourds



- Si les mots bien dressés comme des barricades
effeuillés en automne aux parois des étangs
Gardarem lo larzac
protégeaient les enfants
cautérisaient les plaies
Et servaient d’ouvre-boîte
à la nuit, à la mort, à l’oubli
de bougie à la flamme
Bref ! si … etcetera
Pourquoi et pourquoi pas sans doute enfin qu’importe
les mots pouvaient guérir …

- Cela se saurait certes
depuis le temps qu’ils sont.

- Essayer toutefois
le chambranle à la porte
et la clé aux violons

16 mars 2012

nomades


"Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s’étaient établis à Rouen.
Voilà la troisième fois que j’en vois. Et toujours avec un nouveau plaisir. L’admirable c’est qu’ils excitaient la haine du bourgeois, bien qu’inoffensifs comme des moutons.
Je me suis fait très mal voir de la foule en leur donnant quelques sols
Et j’ai entendu de jolis mots à la Prud’homme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la retrouve chez tous les gens d’ordre.
C’est la haine qu’on porte aux Bédouins
à l’Hérétique
au Philosophe
au solitaire
au Poète.
Et il y a de la peur dans cette haine.
Moi, qui suis toujours pour les minorités, elle m’exaspère. Du jour où je ne serais plus indigné, je tomberai à plat ; Comme une poupée à qui on retire son bâton"
A George Sand 12 juin 1867, Gustave Flaubert

15 mars 2012

cui cui


Laissez les scellés
ouvrez la porte
Laissez les barreaux
S’barrer tous seuls

L’printemps mes amis
il faut qu’il sorte
Laissez les cui cui
s’cuire au soleil

Laissez les oiseaux
dans la rivière
et les poissons bleus
sur vos genoux

et laissez
les pots du cimetière
de vos coquelicots
être jaloux
Laissez la bagnole
dans le garage
Laissez la télé
à la poubelle

L’printemps mes amis
faut qu’il voyage
sur vos pieds et jusque
au septième ciel

Sortez les vélos
sortez les primes
vertes ou dorées
et les serments

promettons-nous tous
avant le déluge
du temps pour l’amour
et du printemps

13 mars 2012

Narcisse


( Sète évidement et la colline St Clair)
NARCISSE

Il y a, au commencement, le narcisse qui fleurit au printemps. Il se trouvait quand j'étais enfant dans le jardin de Madame la Mairesse. Avec les jonquilles, les jeannettes, les tulipes, il apportait dans notre campagne le signe de la civilisation des loisirs et des jardins dits d'agrément. Je fis en sorte d'épouser le petit-fils de la belle maison aux narcisses !
Et puis il y eut, en classe de philo, ce Narcisse qui penchait sur l'eau son image. Je le regardais éblouie, dans le poème de Valéry, lisant et relisant le commentaire d'ALAIN pour tenter de comprendre les arcanes de la poésie, pour m'en imprégner jusqu'à coller le masque sur mon propre visage, mon front sur le miroir des mots ...
"Ce soir comme d'un cerf, la fuite vers la source/
Ne cesse qu'il ne tombe au milieu des roseaux,/
Ma soif me vient abattre au bord même des eaux" ...

Ma soif reste intacte malgré les années. Est-ce narcissisme que de chercher dans l'écriture un visage ? De croire parfois l'y trouver puis de recommencer la quête jusqu'à ce que ... l'onde brouille les traces et multiplie les reflets ?

"l'insaisissable amour que tu me vins promettre/
Passe, et dans un frisson, brise Narcisse et fuis ... "

Ce soir je relirai le Narcisse de "Charmes". Merci à la proposition d'écriture. L'enchantement sera le même si la compréhension n'est pas meilleure
" Toi seul, o mon corps, mon cher corps
Je t'aime, unique objet qui me défend des morts"

P.S
A l’atelier d’écriture, une fois le déclenchement opéré par l’inducteur on peut aller voir ce qu’ont écrit les petits camarades. Une autre référence au poème de Valéry m’amuse. Son auteur y confesse son ennui profond à la lecture de « Charmes » et la transformation érotique qu’elle en faisait.
La lecture annoncée à haute voix a eu lieu le soir-même en attendant que les pommes de terre soient cuites. Nous étions partagés, Pierre et moi, entre l’admiration pour la langue et l’impression parfois que … oui, c’est beau mais … Est-ce que ça nous parle encore ? Notre admiration n’était-elle que le reflet de celle de nos maîtres pour qui Valéry était le nouveau génie de la littérature Française. Lit-on encore Valéry ?
Hasard ? En mettant mes bottes dans le couloir pour aller me balader, j’aperçois sur l’étagère un petit livre (sur l’étagère du couloir les livres ne sont pas au rebut mais …)
D’Henri Mondor « L’heureuse rencontre de Valéry et Mallarmé »
Et qu’est-ce que j’y trouve, sur la page du même hasard, dans la bouche de Valéry soi-même : » Narcisse a parlé dans le désert ; Quand je l’ai vu imprimé, j’ai eu une telle horreur que je l’ai refermé tout de suite. Etre si loin de son rêve. Et c’est mauvais. Ça ne peut même pas se lire » No comment !
Le maître était dur pour lui-même !

12 mars 2012




ô langue langue à quoi bon
aller à la ligne comme si le temps ne le faisait pas tout seul jour après jour
la lune tire l'eau la neige fond
mes dents vieillissent et le présent
est de plus en plus haut
mais vive l'abrupt
il casse l'ordre des choses
il donne enfin la parole
à l'évidence

Bernard Noêl

11 mars 2012

le chantier avance


Là-haut la grue pavoise
Sa supervision narquoise
Sur la rue collée le nez au sol

Le chantier métallique
Cimenté, têtu, prolifique
Lentement s’érige et bourgeonne

On dirait un galion revenant d’Amérique
Qui hoquette d’orgueil plein d’or jusqu’à la gueule
à côté des barges banales et faméliques
qui n’ont jamais quitté le port

10 mars 2012

Bah !


Dans l’amour absolu
Qu’on sent( qu’on croit) total
Dans le suprême amour pour décrocher la lune
Attraper les étoiles
Bref ! sans l’amour banal
Tel qu’il viendrait aux filles
Si l’on n’avait pour elles
Tapissé de chansons
Chantourné de prières
Leur gorge de pigeon
Leurs ailes de chimère …
Dans le plus grand amour
Qui puisse se concevoir
S’espérer, se poursuivre
S’exhausser et se perdre
Il y a quelque chose de si désespéré
De profond dérisoire
Qu’on en vient à pleurer
Alors qu’il faudrait rire …
Non pas un rire vaincu
Un rire de victoire !
Un rire de pucelle !
Hourra ! je suis en jambes
Je saute à la marelle
Partie du 1, d’un pied
J’escalade le ciel
Et des 2 je retombe
7 et 8 je suis
Plantée dessus la terre
Je tourne et je repars
Incessamment j’explore
Et de me sentir femme
Jusque z’aux bout des ongles
Jusqu’entre les sourcils
Je nargue le cimetière …
Je bavarde, j’affirme
Vivante de mes sources
Jusque dans me racines
Lui ? bah !
Fallait-il que je l’aime ?
Ne le fallait-il pas ?
Est-ce lui ou un autre
Que je tiens dans mes bras ?
Bah !
Ça respire ! ça fonctionne !
Jusque dans mes neurones
Jusque dans mes hormones !
Hourrah !

09 mars 2012

lune


O cette lune sur la mer
On dirait un gros lampadaire
branché pour quelque médianoche
Si ronde, si belle, si goulue
à manger les recoins des rues
qu’on tend les bras pour la saisir
Emporter pour sa tirelire
Ce gros louis au fond de sa poche

Avec une lune pareille
le lendemain comme la veille
serait parfait comme une noce
Tant espérée qu’elle illumine
le port, le chemin, la ravine
les secrets de l’âme et du corps

Laisse-la sur le ciel du soir
Pose-la au i de l’espoir
pour la retrouver à ta guise
Lune éternelle et sans retour
Loge-la dedans tes amours
comme un nombril sous ta chemise

08 mars 2012

donne-moi la main


Tout a été dit
Des prières et des antiennes
Des refrains perdus
Jusqu’aux femmes de même nom
Tout a été dit
Et quand Malbrought s’en va t’en guerre
Un écho ramène
La chanson de la Madelon

Tout a été vu
Du Cap Nord jusqu’aux tropiques
Des étoiles d’or
Jusqu’aux soleils multipliés
Tout a été vu
Il ne reste aucune Amérique
Nulle Ile au trésor
Pour nul Robinson Crusoë

Tout a été pris
Le sel, l’or, la beauté des femmes
Mêlés au brouet
Que brasse un diable sans arrêt
Des sourires d’enfant
Que l’on arrose au lance-flammes
Aux bouches sans dents
Qui restent ouvertes à jamais

Tout a été cru
Les rois et les dieux sont compères
Au nom d’illusion
On massacre le temps présent
Chacun doute encore
Si l’avenir vaudra naguère
Et cherche son île
Au milieu du grand océan

Tout a été dit
Vu, pris, cru ou vendu peut-être
Oui je sais cela
Il n’empêche que je parle encore
Que je marche encore
vers quelqu’Eldorado de rêve
que je cherche encore
la main à glisser sous mon bras

Et si c’était à refaire
Je referai ce chemin
La route est longue mon frère
Je t’en prie Donne-moi la main !

06 mars 2012

désespoir ?


"un désespoir inflexible qui n'est peut-être que l'inflexible refus de désespérer.
"Celui qui espère réellement, qui se repose dans l'espérance, est un homme revenu de loin, revenu sain et sauf d'une grande espérance spirituelle. où il aurait dû cent fois périr." Bernanos

ainsi l'eau qui coule de la source à l'embouchure ?

Désespoir ,

05 mars 2012

opposition


Oui, il arrive le grand printemps : témoin ce rameau d'amandier ...
Non, il ne fleurira pas tout ce qui végète. Depuis Céline " le voyage au bout de la nuit" pas de grand changement en

Banlieue

Dans le grand abandon mou qui entoure la ville, là où le mensonge de son luxe vient suinter en pourriture, la ville montre à qui veut le voir son grand derrière à boîte à ordures.
Entre les lotissements de cette campagne déchue existaient encore quelques champs et cultures de-ci, de là, et même accrochés à ces bribes quelques vieux paysans coincés entre les maisons nouvelles.
Céline « le voyage au bout de la nuit.

03 mars 2012

Epuration

c'est plutôt rare aujourd'hui de retrouver un livre aux pages non coupées
Bernanos " Français si vous saviez"
le geste du couteau n'en est que plus attentif, la lecture étonnée ...
P173 :" je suis seul, je reste seul, non par goût de la solitude, mais parce qu'un homme seul est seul capable de dire ce que j'ai sur le coeur et que, par exemple, la Libération a été, pour les trois quarts, une escroquerie, et l'épuration une imposture."

Que d'une lettre du 26-6-1946 s'échappe, une fois le papier tranché, un mot qui flotte dans l'ambiance présidentiée délétère d'aujourd'hui, sans vergogne, me permet de remettre les pendules à l'heure.

dans les pages ...