Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

28 juillet 2006

LA FAISSELLE

LA FAISSELLE

(Premier objet que je voudrais d’une longue série : la faisselle.)

1- Elle parle :
C’est pas facile d’être la plus grande. Bien sûr on tient plus de place dans le tommier que les petites faisselles de rien du tout. Bien sûr on a des talons hauts et tout le monde vous regarde. Mais est-ce que la Marcelle arrivera à me remplir toute ? C’est pas ordinaire une tomme de quête. Il faut ce qu’il faut : Dix litres de lait de vache !
Quand la Marcelle relève le couvercle, elle le fait tenir contre le mur de la souillarde qui jouxte la cuisine. Chez Nous on dit « L’évier » pour toute cette petite pièce coincée sous l’escalier. L’évier, le vrai, celui de pierre, est dans un coin avec une petite lucarne qui donne sur le hangar. Par terre les seaux d’eau tirée du puits. C’est là qu’elle fait ses tommes. Elle a mis le lait à cailler dans un grand pot. La presure elle l’a faite avec la caillette du cabri. Pour la tomme de quête elle n’a pas écrémé le lait et mis la crème de côté pour faire le beurre. Non ! Elle a gardé le meilleur du bon lait bien gras.
La tomme de quête c’est du nan-nan, la grosse tomme qu’on garde pour l’hiver. Si la saison est bonne, si les vaches ( la Mignon, la Papillon, la Belette) ont bien du lait cette année on sera tranquille cet hiver. On aura de quoi. Au moins cinq ou six tommes de quête.
Pourquoi on dit comme ça ? Je sais pas. Est-ce que dans l’ancien temps on donnait un morceau de cette tomme aux mendiants qui venait quêter à la porte. Peut-être. Dans l’ancien temps ils ne faisaient rien pour s’amuser, ils ne parlaient pas pour ne rien dire. Alors « Tomme de quête » ça a un sens. Mais lequel ?
Elle a l’air bien fatiguée aujourd’hui notre Marcelle. Elle a les traits tirés. Elle n’en a jamais fini du matin au soir. Le jardin, les gones, les poules, les chèvres et les vaches. Et son homme : le Phonse ! Tout ce monde à nourrir ! En plus en ce moment les moissons. Elle a beau berotté tant et plus elle n’y arrive pas. Jamais une minute. Tout juste, la véprenée, un petit reposon pour se refaire des forces et le soir, y a pas besoin de lui chanter Manon ! Pataflo ! Elle s’écroule dans son lit, elle tombe de fatigue.
La voilà qui a commencé à me recroître. Elle a pris l’écumoire, elle prend dans la tupine la caillée et elle verse doucement dans mon gros ventre. Elle va s’y reprendre plus de vingt fois puis quand le relait aura bien égoutté, que la tomme se tiendra un peu elle va me renverser sur la paille du garde manger exprès pour les tommes. Tous les jours elle me surveillera, me retournera. Encore je dis « Moi » ! Mais ce n’est plus moi la tomme de quête. Moi, je suis déjà prête pour en mouler une autre. Mais vous savez ce que c’est : on confond souvent le contenant et le contenu, l’arbre avec son ombre, l’amour avec à quoi ça sert.
De servir de robe à la princesse je me prenais pour la princesse !
ça fait rien ! Elle a pas bientôt fini de me brosser à l’eau claire avec le goupillon de paille. Elle va finir par m’écorcher. Hé la Marcelle ! Je suis propre comme un sou neuf. Ça va bien comme ça ! Repose-toi donc. Essaie de lire le journal. Ça te distraira un peu. Moi dans l’ombre du tommier, à borgnons dans l’évier, je vais me piquer un petit somme avant ta visite de demain.
Il ne reste plus de tomme de quête à manger maintenant. Les princesses sont mortes. L’écurie est vide. Il n’y a que moi qui dure encore, toute rouillée, un peu bancale sur mes pieds. Quelques trous obstrués par les toiles d’araignées. Quand la Gie m’a sorti du grenier pour me frotter comme autrefois sa mère, me refaire briller un peu, me photographier dans le soleil de la cour, j’ai cru que j’allais reprendre du service mais va te faire foutre !
C’est bien vrai : les enfants de maintenant, même devenus vieux, ne savent plus faire. C’est dommage !

26 juillet 2006

FIGUETTA

Ce jeu au moment des fêtes on l’appelait figuetta.
Un homme passait dans la rue avec une canne en bambou. « Tiens voilà Figuetta ! » Il me semble que j’y suis. Au bout de la canne il y avait quelque chose, oh jamais de valeur : une figue, un bonbon … Il était malin. Il balançait sous notre nez le cadeau qu’il fallait attraper. Ce n’était pas toujours le même homme. Ça pouvait être n’importe qui. Cela se faisait pour les fêtes, pour la Saint Louis ( qui est la fête patronale de Sète) …

On vendait dans les rues des oranges épluchées ( les peaux avaient servi pour faire le quinquina) Les marchandes arrivaient sur les quais dans les barques et passaient dans les rues.

Comme pour le poisson, les maraîchères du soir. Les femmes des pêcheurs vendaient « la part du pêcheur », ce qu’ils ne pouvaient pas manger en famille. ça leur faisait un peu d’argent « Es arriva lou peiss ! »
Les bateaux de pêche on les appelait les bateaux-bœufs parce qu’ils partaient deux par deux. Ils mettaient le filet entre les deux bateaux. Oui ! bien sûr ! C’étaient des bateaux à voile

On vendait de tout dans les rues « peille ! peille de lapi ! » Ils achetaient les peaux de lapin

Un homme allait faire paître ses chèvres et ses moutons sur St Clair. On l’appelait le père Grisou. Le soir en redescendant il vendait du lait cru.
- Le lait bourru ?
Beurk ! j’ai voulu goûter pour faire comme les autres, ils avaient l’air de se régaler. Je n’ai pas aimé !
(Souvenirs de Marcelle, la nonagénaire)
***
J’ai assisté à la fête de la St Pierre. Un peu décalée sur le calendrier pour attendre que les pêcheurs de thon soient rentrés de Lybie. Ce soir-là on sort la statue du saint dans la ville et elle est portée sur les épaules dans sa barque depuis la chapelle des pénitents jusqu'à la décanale St Louis. Reportage photographique reporté pour cause de transmission impossible mais réalisé avec ce qu’il faut de petites occitanes avec châle et tabliers à carreaux noirs, de beaux marins en polo rayés blancs et bleus et … d’évêque !
Les rues étaient bondées pour la circonstance. Beaucoup de touristes mais aussi les familles sétoise au grand complet. Tous les bateaux thoniers ou bateaux plus modestes au port arboraient « le grand pavois » La marine nationale avait délégué son plus beau fleuron et dans les rues, les pompons rouges se laissaient embrasser sans façon par les jeunes filles.
C’est beau une ville en fête. C’est amusant le mélange des traditions ( joutes sur le canal, grand messe à la cathédrale, fanfares )
Et les postes de secours de la Croix Rouge n’ont pas eu à intervenir, ou si peu.

25 juillet 2006

OBJETS-OBJECTIF

« Ce qu’on souhaiterait extorquer du réel c’est comme du Jérôme Bosch avec les mots, où il y aurait de la nuit, des éclats de fresques, d’étranges inventions, et le surgissement en gros plan de visages comme palpés. »
François Bon « Daewo »

Faire surgir de ces objets avant leur mort définitive ( celle-ci n’est qu’une attente de résurrection) ces « visages comme palpés », ces mains qui les ont soulevés, caressés, empoignés, jetés, lavés, réparés … utilisés. Pas avec le vilain sens d’exploitation que nous donnons aujourd’hui au terme, non ! « utilisé » qui veut dire tout bonnement, de bon cœur, s’en servir, faire avec et un peu mieux que « faire avec », s’accommoder à eux à tel point qu’ils sont un prolongement de la main.
Et donc :
- Les décrire avec le plus d’exactitude possible, les comprendre de l’intérieur, adapter les mots à leur spécificité, leur utilité, leur beauté rude … La photo, même sous tous les angles, ne peut suffire à cela.
- Puis, de cet intérieur un peu fabriqué bien sûr, volontaire, les faire évoquer ces visages aujourd’hui repris par la nuit, quelques-uns si connus qu’ils reviennent parfois dans mes rêves. Mais dans ces rêves justement il m’arrive d’avoir la curieuse impression d’être visitée par des personnages, leur visage passe devant le mien, leurs traits se collent même à mes traits, je les VOIS et je suis VUE, appelée, investie … L’écriture m’a souvent servi à lever ce que je prenais pour un envoûtement.

Et surtout ne pas avoir peur de la difficulté de ce double point de vue. Les photos sont un premier pas (celui dit-on qui seul coûte !), le dessin peut-être un second ( une sorte de catalogue de la Manufacture de St Etienne … (Tiens au fait ! Qu’est devenu celui que j’avais retrouvé dans la maison ?)
- le troisième : recueillir pendant qu’il en est temps des témoignages de ceux qui les ont connus et utilisés.
Je sais déjà, depuis avant-hier, que la faisselle qui servait à fabriquer « la tome de quête » contenait le caillé de DIX litres de lait.
- Rapprocher, rassembler les objets d’une même fonction Ex : AMOULER : la faux avec le marteau et le support métallique du marteau.

Oui ! Il y a du pain sur la planche !
La planche à pain ? avec la MAIE, Les BENONS, la RACLETTE, le POT à levain.
Souhaitez-moi bien du plaisir !

24 juillet 2006

16 ANS

Nous avons seize ans
C’est pas de la tarte
que d’avoir seize ans
par le temps qu’il fait
16 ans pour l’amour
et pour la cognée
16 ans pour les roses …

Va falloir y aller
à cueillir 16 ans
sur le bord des routes
sur le bord des lèvres
au creux des halliers
Sauras-tu très cher
m’apprendre à rêver
que cette minute
durera toujours ?
Saurai-je en retour
comme pour l’aller
ne pas oublier
ta voix qui caresse
tout le long du dos
Et jusque aux ……

Nous avons 16 ans
La métamorphose
vient de fonctionner

Hip hip hourrah !

23 juillet 2006

OBJETS ANCIENS

Objets anciens, vieilles choses

Ça valait pas un clou, ça valait pas tripette
Mais c’qu’on faisait d’ses mains on aimait bien l’montrer
Ça rapportait pas gros mais quitte à pas l’acheter
On aimait qu’ce soit beau, et puis qu’ce soit honnête

Que ça serve aujourd’hui ! Qu’ça puisse servir demain

Demain, on savait pas si on aurait la chance
De ramasser les miettes, de tresser les paniers
D’accorder les violons pour faire tourner la danse
Et de trouver quatre sous sur les marches du palais

Des palais, on n’avait que ceux pour qui tout s’mange
On ramassait les mûres, on ramassait l’crottin
On poserait des pièges, on se lèverait matin
On méritait la grève pour la plage du dimanche

Quand on posait son cul, c’était dessus sa chaise
Quand on la rempaillait c’était pour la mémé
Qui avait si mal au dos qu’elle pouvait plus s’lever
Mais qui chantait encore et sucrait pas les fraises

J’dis pas que c’était mieux mais sûr ! c’était moins pire
De lire son avenir dans le marc de café
Avec un p’tit coup d’gnole pour le désinfecter
Plutôt que sur la Une d’une télé à vampires

Paraît qu’la roue qui tourne va jamais en arrière
Paraît qu’on r’verra pas la guerre de quarante
Moi j’veux bien mais je crois qu’une vieille rengaine
Quand on la fait soi-même vaut plus de deux francs cinquante

Oui ! D’accord ! c’est Euros aujourd’hui que l’on cause
Qu’importe le vocable si je sais ce que j’dis
J’l’ai pris sous mon bonnet ; j’l’avais gardé sous l’coude
Pour trouver des oreilles qui m’auraient bien compris

Au revoir vieux objets devenus inutiles
Bye bye les benons, les paniers à canards
Les fers pour les ânes, les chevaux, les berlines
Qui s’appellent chars à bancs entre Chon et Chonvard *

Je voudrais vous jeter pour faire de la place
A ces ordinateurs, écouteurs et écrans
Pourquoi donc je ne puis sur vous briser la glace
Où vous me renvoyez un reflet du vieux temps ?

Ce temps de mes ancêtres, ce temps de ma famille
Je ne peux le jeter tant il court dans mes os
Ce vieux temps qui fit l’homme et qui m’a faite fille
Je ne peux le jeter que derrière les fagots

Où mûrit la bouteille qui fait pleurer Margot.

PS J’ai entrepris de photographier tous ces objets anciens et vieilles choses avant d’en vider les placards. Pour chacun, d’écrire son histoire et le laisser nous raconter ce qu’il en garde. La préface est donc posée devant vous pour une brocante future.
C’est dimanche. Bonjour à qui m’en a fait beau dimanche, et à qui je dois ce projet en partie.

* noms de hameaux

22 juillet 2006

LORIOT DUPLICATA

Duplicata et ricochet

Dans la rubrique des petits bonheurs à la pelle cette histoire vraie de loriot.
Souvent en Août les oiseaux cessent leurs ramages. Je dis à Pierre ce matin « il faudrait peut-être les enregistrer »
Cqfd
Pendant ce temps je reviens à cette histoire de loriot de St Petersbourg et me replace au piano pour la chanson
« Et pourtant dans le vent du crâne
j’entends les trilles du loriot »
- Comment s’appelle la chanson ? a demandé Claire à qui je soumettais mon accompagnement
- Oh ben ! St Petersbourg !
J’appelle St Petersbourg tout ce qui s’est passé pendant ce voyage en Russie, dans la ville ou loin d’elle. J’appelle loriot indifféremment tout ce qui chante bien. Pierre enregistre pour identifier, moi pour prolonger le chant. Du fait que ma mère ait appelé loriot il y a longtemps, très longtemps, un chant réussi, je suis prête à appeler éternellement les corbeaux, les hirondelles, les geais, les coucous, même les coucous : LORIOT et donc dans une chanson qui parle oiseaux, arrive immanquablement le loriot.
Cette chanson que je l’avais chantée à St P disait :
« Le loriot, le coucou et Pierre
m’ont dit ce matin qu’ils m’aimaient
je l’ai répété à ma mère
ses yeux gris sont devenus gais … »
Sylviane crut que le loriot était le même que celui entendu dans la journée et que moi, je n’avais pas reconnu d’où je suppose la réminiscence dans la chanson nouvelle sur le champ.
Coïncidences qui m’éblouissent : le sentiment d’un bonheur plein, rond, inouï et présence quelque part de ma mère. Loriot de ce printemps répondant aux loriots anciens.
Ainsi ce matin tandis que j’écoute l’enregistrement que Pierre vient de réaliser j’entends en double le chant des loriots dans les arbres. Cela est si troublant que je ne sais plus qui chante, le mini-disque Sony ou le tilleul ?
Puis, ayant réaccordé ma voix à l’octave en-dessous je propose à nouveau à Pierre d’enregistrer « St Petersbourg » en vue de réaliser le diaporama promis.
CQFD
Eclat de rire. La fenêtre est ouverte. L’appareil a enregistré en même temps que ma voix celle du loriot dehors dans l’arbre. Pas besoin de montage savant et risqué. Ça s’est fait tout seul. Duplicata et ricochet : la journée chante en loriot.
Grand temps de faire le tri des photos pour aller au bout du diaporama ! Dès que nous aurons retrouvé une free-box (fusillée par l’orage).

21 juillet 2006

SUITE à

Suite à …

Comment reprendre une histoire ( ou un conte) qu’on a abandonné sur le chemin ? Je suppose qu’un vrai écrivain est capable de tout bloquer pour ne s’intéresser qu’à l’histoire, capable d’en fixer les limites précises, le ton. S‘il prend le tee-shirt, le short d’un personnage il doit savoir s’adapter aux mensurations. Moi non !
J’ai laissé l’enfant de sept ans (ou de neuf) continuer à dégringoler les escaliers de Sète ou les grimper avec son cheval imaginaire. Je l’ai laissé pas encore baptisé. Je n’avais pas encore entendu un prénom qui lui convienne.
J’ai aussi laissé la grand-mère tristounette de ne pas en avoir au moins un avec elle, sur la plage, d’enfant. Même un de ces adolescents si déroutants, si dérangeants …
Ma belle assurance du premier matin de l’histoire. « Je sais parfaitement ce que je fais » est passée au jardin. Je sais parfaitement qu’il faut ramasser les haricots quand ils ont eu la bonté de se développer sans moi, les cuire, les mettre en bocaux (Trois) ou aller les porter jusqu’à ces petits enfants qui peut-être n’auront pas d’appêtit pour des haricots …
D’enfiler mes bottes non de sept lieues mais de tout petits pas quotidiens est aussi un bonheur.
Le jardin se porte bien merci ! Grâce à l’obligeance de mon voisin qui lui a apporté toute l’eau souhaitable il a fait mieux que survivre. Il a joué le jeu. Si tout ce qui rentre fait ventre, tout ce qui plante fait récolte. C’est la merveille de la terre, de l’eau et du soleil.
Nous avons mangé des pommes de terre, des courgettes, des bettes, des betteraves rouges et bien sûr des haricots ! Aventure encore réussie pour une année.
Cependant l’histoire aura peut-être une suite en dessin. Ma petite fille m’a montré son album où elle crayonnait. Bien plus habile que moi à fixer des formes, bien plus habile surtout à saisir de son crayon le look des personnages de mangas qu’elle adapte à ses propres rêves et connaissances. Alors je lui ai parlé de Madame Bisous, de Papy Germain … Peut-être la greffe inter-générations prendra-t-elle et je ne manquerai pas alors de vous en faire part.

Il fait nuit. Silence autour de moi. Comment passer de Sète si animée et bruyante à ce grand silence de La Loue ? (Bien que les moissonneuses-batteuses aient encore travaillé tard.)
Par le même remède ! Un coin de blog comme couverture à soi.
Tirer la couverture !

16 juillet 2006

JUSQU'AU MOLE



Je sais parfaitement ce que je fais.
Je commence une histoire. Une histoire ou un conte ? Inventé de toutes pièces.
A sept heures, à Sète. Simple coïncidence du matin.
Deux pendules ont donné la cadence, l’une en face de mes yeux et l’autre légèrement sur la gauche
Les mouettes annoncent bruyamment la nouvelle et la rue, curieusement, se tient coite, à attendre l’histoire
Petit détail supplémentaire : c’est à l’envers d’un album de dessin que l’histoire s’inscrira , au crayon à papier et sans marges aucunes. En pleine page.
Je bois du thé Earl Grey et de marque Twinings

Il y aura un enfant dans l’histoire. Peut-être deux. Trois c’est plus difficile.
Un enfant de sept ans comme, dans tous les livres de raison, les bateaux courent vers l’horizon en larguant les amarres.
Un enfant rond. Jambes nerveuses et musclées bien que fines comme une cigarette. Mains qui pétrissent et triturent jusqu’à ce que la boule de glaise prenne forme. De bonhomme, de cheval et quelquefois des deux chevauchant les nuages
L’enfant n’a pas encore de nom
Puisque nous sommes réveillés, l’enfant et moi, nous partons jusqu’au môle car c’est le titre de l’histoire, ou du conte …
JUSQU’AU MOLE
Est-il d’hier ou de demain le bel enfant ? Personne ne sait encore. En tous cas il est blond, de peau et de cheveux, et il chemine. Mais sans bâton de pèlerin.
Il a le temps pour lui. Il a le temps pour tout.

Je sais parfaitement ce que je veux. Une histoire (ou un conte) sans les marges.
***
PAPY GERMAIN

Il (l’enfant) habite Rue Caron. La nuit, il faut bien qu’il habite quelque part. Il ne peut pas sortir. Mais le jour il fait jour : il s’en va.
Il entend venir par les fenêtres des airs qui ne ressemblent à rien, n’ont pas l’accent d’ici. Il file, il ne s’arrête pas. Tout juste s’il entend.
Il prend les escaliers à l’endroit, à l’envers. Il est content. Le soleil se dispose à prendre le contrôle de la ville au grand jour.
Pour manger il s’arrête de temps en temps : une pêche, un croissant. Il aime l’habitude. Il n’a rien à payer. La monnaie c’est pour lui. Personne ne réclame et les plus généreux ne calculent pas au plus juste.

Alors la mer est arrivée avec tous ses bagages, ses paquets … Il la connaît. Intérieur, extérieur. Il a tout visité. Y s’fait pas d’bile !
Pas la mer des bateaux ! Enfin, pas seulement ! Pas encore. La mer des rades. La mer toute entière. Et les quais sur les ports. Les escales …

Il a une petite sœur. Est-ce bien nécessaire d’en parler ? Bien sûr quand ils franchissent la porte de la capitainerie, on ne peut pas faire autrement. Il faut bien qu’il tienne la porte.
Le môle, quand on lève les yeux vers lui, il est dix fois plus grand que vu de St Clair. Juste à ses pieds il fait des mètres et des mètres, peut-être des kilomètres. Il ne l’a jamais demandé. Il pourrait, peut-être au papy pêcheur, au quai de Constantine, qui n’est pas son vrai papy mais qui l’aime bien ou au Père Germain qui n’est pas vrai non plus mais c’est tout comme.
- Combien il fait le môle ?
- le Môle ?
- Oui, au pied
- Le môle a pas de pied, qu’est-ce que tu me racontes ? En long ou en large ?
- En haut ! La tour au bout du môle. Le phare quoi ! Tu vois le phare !
- Ben explique toi ! Le phare c’est pas le môle, le môle c’est pas le phare. Je sais pas. On l’a construit en 1948. J’m’en rappelle. C’est écrit. T’as pas vu ?
- Ben je sais lire. Laisse tomber.
Il n’insistera pas. Papy Germain il n’est bon qu’à pêcher.
***
Il habite Rue Caron, ce gosse. C’est un môme. Un petit môme.

Pour arriver à la rue Caron, ça monte et ça descend en même temps. C’est sa mère qui le lui a expliqué.
Pourtant il sait ce qu’il dit. Pour arriver à la maison, les escaliers, ils montent. Faut voir comme son cheval ralentit.
- Là où ça monte, ça descend. Forcément. Fais pas l’idiot, c’est pas difficile à comprendre.
Pourtant, pour aller sur la jetée, à la capitainerie, les escaliers dégringolent sans arrêt vers la mer.
Ils ne montent pas, tout de même ! Il s’en serait aperçu. Quand il revient chez eux il ne passe pas par les escaliers. Il fait le tour. Il passe par l’autre côté où ça monte.
A côté de la capitainerie il y a le restau où maman travaille. Tous les jours ! Même le Dimanche mais le lundi, elle va pas au marché. C’est toujours ça de gagné !
Pour les escaliers le Père Germain est d’accord. Ils montent. Ils ne font rien que monter. Les quatre-vingt, ils montent pour son Papy : il ne peut pas aller jusqu’au bout. Il NE peut pas.
Il sait parler comme il faut ce gosse ! Même écrire. Il va à l’école.
Papy Germain entre deux paquets d’escaliers il s’arrête. Il se fait une cigarette. Il se penche par-dessus la rambarde. On dirait toujours que ses cheveux blancs vont s’envoler quand il y a du vent. Il n’en a pas beaucoup sur le caillou des cheveux mais derrière le cou un gros paquet tout blanc qui vole. Je me demande bien ce qu’il regarde par dessus, en dessous. Pour moi, il surveille … mais quoi ?

Papy Germain habite rue Caron. Au 4. Eux c’est au 2. Il n’y a pas de 1. C’est comme ça, des garages et puis c’est tout. Au fond de l’impasse le gros figuier. Quand il pleut le trou se remplit d’eau, on pourrait élever des canards, dit l’père Germain. Mais il ne pleut pas souvent à Sète. Si ça continue ce sera la sécheresse et la canicule.
- C’est quoi déjà la canicule ?
- C’est quand le pastis sèche dans ton verre avant que tu aies bu.
A son avis, le père Germain craint pas la canicule.
Ma mère le surveille quand même. Ils l’ont dit à la télé : surveiller les personnes âgées pendant la canicule, aller les voir, leur faire la bise.
Papy Germain, il ne veut pas qu’on rentre chez lui pour le surveiller. Jamais. Même eux et la petite sœur. C’est toujours lui qui vient à la maison. Des fois il garde la petite sœur mais la bouteille de pastis qu’est-ce qu’elle prend !
***
MADAME BISOUS

Ce matin le gosse part au boulot de bonne heure. Il n’ira pas se baigner au môle, tant pis ! Il n’a pas le temps. Madame Bisous lui a donné un papier à remettre à Jeannot à la criée. C’est loin. En bas, en ville. Au fait c’est un peu vrai que les escaliers descendent si on veut. Il s’en rend compte. Il part et Maman dort encore. Elle a encore mis la petite soeur dans son lit. Elles dorment toutes les deux.
Madame Bisous a tapé doucement à la porte. Il n’y a pas eu moyen de l’éviter, sinon elle les réveille. Il a ouvert la porte, 2 rue Caron à Sète, Hérault.
Il lui accorde machinalement sa frimousse de gosse. Elle lui glisse le papier dans la main. « Fais attention de pas le perdre ! Porte vite au Jeannot ! Dépêche-toi tu vas le rater s’il part faire les livraisons avec le camion frigorifique ! J’te payerai bien ! »
Il s’en fous un peu de la paye. Descendre à la criée c’est déjà cadeau !
S’il n’est pas rentré quand Maman se réveillera ( mais ça m’étonnerait ! elle est capable de dormir jusqu’à midi !) elle trouvera Madame Bisous pour la rassurer.
Il est à la criée. Il est avec Jeannot. Y craint rien. Ben voyons !
La matinée est à lui. Pas la peine de lui expliquer à Madame Bisous qu’on doit dire NE. Elle est pourtant allée à l’école. Peut-être le maître lui a pas appris. Laisse tomber !
En face de leur petite maison y a le mur, IL Y A le mur de la Place de L’Hospitalet. Même avec un escabeau, (bien sûr qu’il a essayé !) il NE peut pas regarder la Place à travers la barrière qui surplombe le mur. Le mur cache tout. La Place est surélevée mais l’enfant ne comprend rien à ces niveaux. Même un grand garçon, même Zidane, il ne verrait rien de la place en sortant de la maison.
Madame Bisous entendra Maman. Maman quand elle l’appelle, tout le monde l’entend, mur ou pas mur. Sur le môle, à la criée, rue Caron. Et pourtant elle a pas l’accent Maman ! Elle est pas née là.
Madame Bisous habite de l’autre côté de la Place, juste vers La jeune lance Sétoise du quartier Naut. LO quartier Naut. Lui aussi il portera les couleurs du quartier, le quartier Haut. Que je t’explique ! C’est notre langue. LO. La langue des jouteurs, des pêcheurs, d’il y a bien longtemps !
Elle s’en fous bien Madame Bisous des frimousses qu’elle connaît pas! Des moches ou des belles, des sales gueules ou des boutons de rose, elle veut des bisous rien que pour elle. Des tonnes de bisous. Du facteur, de l’infirmière quand elle part au travail aux Pergolines, même de la Gitane, …
Tous, toutes, elle les bisouille avec le même entrain. Sauf le Père Germain. Lui y a pas moyen, même pour le jour de l’an. Faut pas lui en vouloir. C’est depuis qu’elle est … V … ouneuve. Paraît.

A part ça elle est gentille
Elle regarde pas à la dépense. NE . Elle le paye bien.

****
LALI

C’est le matin qu’on est drôlement bien. Maman NE peut pas se lever le matin. Elle travaille tard. Elle travaille trop. Elle travaille tout le temps. Elle est bien obligée de travailler.
Maman rigole tout le temps. Elle se marre. Pas la nuit quand elle rentre. Quelquefois il est réveillé. Elle NE sait pas qu’il est réveillé. Elle NE se couche pas tout de suite. Elle prend une cigarette. Des fois elle pleure.

La petite sœur, c’est pas pareil. Elle fait exprès de pleurer. Déjà c’est une fille. J’ai pas que ça à faire de m’occuper de c’te fille.

J’achète un gâteau.
- Oui, celui-là, un sablé ? ah bon ! Avec du sable ?
- Bien sûr le môme, avec un coquillage au milieu tu verras. Je garde la monnaie ?
- Et puis encore ! J’tai donné 1 euro. Tu me dois 20.
- Allez casse-toi ! la voilà ta pièce de 1 euro.
- Non Mounir ! J’ai du fric ! Je veux payer !
- Casse-toi j’te dis! J’irai me faire payer chez ta mère !
- Non ! Lui dis pas ! NE lui dis pas à ma mère. T’as pas l’droit ! t’as pas !
Avec la pièce je vais m’installer à la terrasse du Cristal, juste au dessus de l’Esplanade. Aujourd’hui c’est pas mon circuit entre le môle et la rue Caron.

- Aïcha je sais où elle a dormi ! Je sais. Elle dort dans le parc à jeux !
Et pour Monsieur ce sera ?

C’est du chocolat froid. J’aime pas le chaud. J’écoute avec le sablé, le chocolat. Zidane à la télé. Il va tout nous expliquer.
***

Il est temps pour moi d’arrêter de me mettre à la place du gosse. Qui de lui ou de moi ce matin a changé d’itinéraire ?
Tellement grande cette tête d’enfant que je vais m’y perdre. Déjà je ne suis plus tout-à-fait sûre qu’il ait sept ans. Hier, sur la plage, quand je l’ai photographié en train de monter un château de sable on l’aurait pris pour un bébé de cinq ans, comme la petite sœur. Bien qu’on lui voie toujours les omoplates saillantes, ses épaules se sont élargies. Il approcherait les neuf ans que ça ne m’étonnerait pas.
Il est blond. Comme Siméon mon petit-fils. Etonnament blond et bouclé.
Il est vif, inventif, actif, créatif, naïf, comme Théotime le frère. Et malin et rusé !
Il monte et il descend comme cette histoire de Sète qui m’accompagne cette semaine.
C’est bien Zidane qui entame la journée par une mise au point. Je devine plus que j’entends, de l’autre côté de la rue où les tables sont installées en terrasse. Mon thé est trop chaud. Le gâteau à 80 centimes, bon !
80 comme le nombre de marches de l’escalier qui descend de la Rue Caron vers le Môle. En fait une Sétoise de 83 ans m’a précisé qu’aujourd’hui qu’elles sont 96 et que l’escalier en fait s’est légèrement déplacé. Je n’en ai compté que 93. Y aurait-il une légère pointe d’exagération chez les Sétois ? Ou est-ce que je ne suis pas assez attentive ? Je ne vais tout de même pas redescendre les escaliers pour les compter !
Ce n’est plus l’escalier de ses amours, à la vieille dame. Vieille ? Un peu plus que moi. Est-ce elle Madame Bisous ? Comme si la rue versait sur ma page à point nommé les images de mes mots en balade !
Tant de choses ont changé d’ailleurs qu’elle ne reconnaît plus sa ville. Mais c’est une belle ville oui, ça c’est sûr. Son fils au chômage n’a pu la quitter même pour trouver du travail.
Oui ! Elle pourrait être Madame Bisous, la sémillante octogénaire. Large jupe fleurie orangée jaune, corsage ensoleillé et cheveux roux flambant neufs la teinture …
Donc, Zidane, idôle des parents et modèle des enfants, entend bien donner à son coup de tête au joueur italien une dimension symbolique. Comment résister une fois, deux fois, aux injures qui touchent à ta mère, à ta sœur ? La troisième fois tu craques. Ce n’est pas bien mais voilà c’est un homme Zidane, pas un Dieu ! Il s’excuse. Auprès des enfants. Auprès du gosse. Qu’un président du sénat italien traite l’équipe de France de ramassis « de noirs, d’islamistes et de communistes « c’est pas grave ça ? »
Si c’est grave !
La mise au point de Zidane passe en boucle à la télé, cette fois je quitte ma place en terrasse pour mieux entendre. Puis je reviens m’asseoir avec ma deuxième tasse de thé.

Alors la conversation peut s’engager entre Lali et moi. Elle buvait son café dans mon dos. Une réflexion que j’ai mal entendue m’a fait retourner. Je l’ai interpellée. Elle quitte son amie aux deux enfants à qui elle a offert le café pour venir s’asseoir à ma table. L’amie s’en va avec les deux gosses, des petites filles.

Oui elle aime le foot ! Oui elle a pleuré pour la finale. Ces Italiens, elle ne trouve pas de mots assez durs pour les fustiger. C’est à elle-même que l’offense a été faite. Moins la défaite du ballon que l’injure en touche.
Zizou est son frère. Frère immigré comme elle. Elle est depuis quarante-cinq ans dans cette ville. Elle y est arrivée à 1 an. Elle est immigrée en France depuis quarante-cinq ans. Elle est toujours une sale arabe. Immigrée aussi en Algérie si elle y retournait. Zidane maintenant va retrouver ses racines et s’occuper des enfants. Elle l’approuve.
Elle est aide-soignante. Elle a passé la nuit à veiller une vieille dame en fin de vie. Elle lui a tenu la main autant pour la calmer que l’empêcher de la battre. Sale arabe elle va la voler. Les Arabes sont des voleurs.
Sans précipitation, et sans questions de ma part, Lali continue son tour de vie et ses réflexions. Elle n’est pas triste. Lucide : elle constate. Elle reporte sur Zidane le soin de parler à la télévision. Pour le reste, elle se fait confiante. Elle sait quoi dire. La jeune femme soumise a bien changé. Elle élève ses trois enfants. Elle a divorcé. Elle aimait son mari mais elle a compris. A ses fils elle dit ce qu’elle a à dire. Le petit comprend, a des tendresses pour elle. Le grand, c’est plus rude. Il est allé dépenser sa première paye avec sa copine à Marseille. 800 euros en intérim. Elle, pour les soldes, s’est acheté des chaussures à dix euros, et pour ses enfants des vêtements à trente. Mais elle n’a pas supporté que le grand les prenne comme un dû sans remerciement excessif. Elle a été très claire. Tu t’en vas si tu prends cette maison pour un hôtel. Il s’est mis en colère. Il a claqué la porte mais quand il est revenu à 1 h du matin elle l’attendait pour lui expliquer qu’ici, on ne rentre pas comme dans un hôtel justement ; qu’ici il est chez sa mère.
Elle lui a expliqué que ses échecs elle n’en était pas responsable. Fautive peut-être d’avoir moins insisté qu’auprès de sa sœur pour que les devoirs soient faits dans la cuisine avant de jouer. Mais majeur ou pas, il est responsable lui-même de sa vie.
Son père et sa mère sont morts quand elle était enfant. Elle a été élevée dans une institution catholique. Au moment de faire sa première communion elle a cousu sa robe comme toutes les autres mais on lui a dit alors qu’elle était musulmane et on a donné la robe à une autre. Elle ne savait même pas ce que ça voulait dire Musulmane ! Elle a pleuré.
Un moniteur lui a montré le Coran. Il lui a expliqué que c’était pour elle. Ce moniteur elle voudrait bien le retrouver pour le remercier.
Je suggère que sa nuit de veille à tenir la main de la vieille dame irascible, d’abord en protection, ensuite par tendresse humaine était un remerciement de retour au moniteur attentif.
- Non ! C’est mon travail ! dit-elle

Je prends auprès de Lali une leçon d’expérience de vie. Je lui parle de ma déception quand je sens mes petits enfants propulsés dans un monde de consommation. Mon inquiétude de me sentir coupée d'eux par l'âge, l'incompréhension réciproque. Oui Lali, oui Julie ! Vous avez raison . Il faut dire. Ne pas se résigner. Ici ce n’est pas un hôtel. Ici la table est mise pour le partage, pas pour le saccage des sentiments. Là, je n’exige rien que l’expression acceptée de moi-même avec mes limites, mes carences mais aussi mes qualités et mes cadeaux.

Lali, quand elle n’est pas de service, aime aller se baigner, toute seule, la nuit. L’eau est fraîche. Toute nue ! Quel délice !
- C’est la vie
- La vie est belle
- Au revoir Lali !
- Au plaisir !

14 juillet 2006

THEATRE DE LA MER

Au théâtre de la mer
Les choristes sont installés
Plus de cent si on sait compter
Noir et blanc sur quatre lignes
Noir et blanc sur toute la portée

Avant que commence la messe
(Tchaïkovsky et Puccini)
Un bateau qui rentre de pêche
Traverse, tous feux éclairés

Le ciel est d’encre bleu-marine
(évidemment)
et les mouettes
vont et viennent sur rideau de scène

Pourtant ce n’est qu’après l’entracte
que la lune et le vent se lèvent
Le vent gronde dans les hauts-parleurs
Les partitions sont envolées
Le chef d’orchestre se démène
d’une main rassemble ses notes
de l’autre tient sa troupe soudée
Pour les oreilles les plus fines
dans les cordes des violons
le vent accentue ses combines
Mais c’est la lune qui s’amuse
le plus à dérouter les yeux
Pleine et rousse, elle sourit, elle muse
Entre les projos, les piliers

On s’extasie, on est charmé
Et Puccini fait d’une messe
un opéra rock et champagne

10 juillet 2006

OISEAUX SETOIS


Elles ricanent les mouettes
Ricanent à tue-tête
Ricanent aussi
Place de la Décanale
Elles font rien, que dalle
Rien qu’à ricaner sous le nez



C’est pas comme les hirondelles
Place de l’hospitalet
Elles au moins
Elles savent chanter
Soprano léger
Et quand elles s’envolent
D’un coup d’aile vers la mer
On sait que peut-être
Elles n’auront pas besoin
D’interpeller en latin
C’est que la Décanale
Est la demeure du doyen
Mais la Méditerrannée
Parle en portugais

Quant aux pigeons j’ai ouÏ dire
Que sur leur balcon
C’est en langue verte qu’ils causent
Et en blanc qu’ils y déposent
Quelques gros mots et jurons …

Hélas pour les goélands
J’ai pas eu le temps !

On peut pas tout faire !

IL PLEUT


Il pleut
Des tonnes d’eau se déversent
giclent, éclaboussent
posent sur le sapin
des traits d’eau lancinants
Le cheneau vomit un torrent
La grogne du tonnerre dispute avec les gouttes
la portée de musique d’un opéra d’orage
Le tonnerre prend les basses
et l’eau la mélodie
A l’abri
je regarde et j’écoute
Il pleut
Simple épisode du ciel et de la terre

C’est en noir
que je pleus zébrer la page
de droite à gauche
aujourd’hui


Cette bouffée de joie et ce bateau qui part
C’est comme une aventure qui rejoindrait la mer
- Qu’est-ce que tu veux ? dit-il avant que, de mes yeux,
il ait quitté le port
- Je veux le ciel tout bleu
- Rien n’est aussi facile ! Prends ton pinceau ! Regarde !
- Je veux l’âge du capitaine
- Contente-toi d’aller à ton pas sur les flots
- Enfin, surtout, je veux …
Mais il était déjà hors de portée de voix et j’ai pris mon pinceau.
J’ai tracé mon rivage là où m’avaient posée mes pieds

Comme le temps est court quand il va de plein gré !

06 juillet 2006

ET J'AI PEUR

Je veux bien et j’ai peur …

Retrouvé dans les paquets de feuilles anciennes un texte qui commence ainsi.
Rien n’a changé même si j’ai l’impression parfois, au bord de l’île, dans un coin d’aquarelle, dans le pré d’un blog sincère, d’avoir touché la joie des oiseaux.
Hier au soir j’ai regardé sur Arte une émission à propos des suicides, des dérives, des viols d’ado et d’enfants commandités par des mouvements « sataniques » incontrôlés et des adultes pervers. Des parents témoignaient, mettaient en garde.
Je veux bien que la distance entre les jeunes et moi soit infranchissable. Derrière moi la connaissance, l’expérience de l’horreur, de la maladie des âmes irréductible contre lesquelles il m’a fallu lutter pour espérer malgré tout. Devant eux ce monde immense, surdimensionné qui leur offre tant qu’il leur interdit la patience, le silence, l’attente confiante, la découverte attentive d’eux-mêmes et des merveilles que la vie peut octroyer.
J’ai accepté, parfois mal, que s’interposent entre mes petits enfants et moi des écrans.
Mais j’ai peur. J’ai peur pour eux. J’ai peur pour moi et ma fin de vie. Je m’accuse de lâcheté quand je ne réagis pas devant leur sottise, leurs exigences. Je ne dis rien, je ne veux pas d’opposition. Je capitule et rentre sur mes terres.
Je veux bien d’Internet dans ce qu’il ouvre, pas dans ce qu’il tue.
Il ne suffit pas de me dire que la communication différée est, comme la langue d’Esope, la meilleure et la pire des choses selon l’usage qu’on n’en fait. Que cette communication à distance doit s’effacer devant la parole vive, le regard direct. Toutes les occasions en direct.
Je veux bien et j’ai peur. Le matin cependant mon désir est plus grand que ma peur. Et je vais aller contempler une petite fille toute neuve dans son berceau, conçue par les voies habituelles de la communication rapprochée. Elle s’appelle Rose. En ce moment à St Niz les roses, toujours en décalage d’un mois sur la vallée, débordent des cadres.

AQUAR'ELLE


Comment douter que la journée sera belle quand l’aquarelle et le ciel se sont mis d’accord pour tout m’apprendre

Commencer la journée lentement
Des notes qui s’épèlent comme des mots très doux murmurés à l’oreille
Refaire du cœur la peau si douce du bébé
Et d’un thé -lentement-
Et de la confiture
Barbouiller la tartine du jour qui se lève

Camarade soleil vient juste de faire surface
Reprendre l’aquarelle
Quoi qu’il en soit, quoi que je fasse
Elle n’a jamais fini
D’aise de se pâmer

Comment s’appelle l’eau dans les rêves des anges ?
Et les mélanges s’appellent-t-ils alors belle union des contraires ?

UNE ILE

Une île ?
Et si l’île était là ?
Ile d’un ciel tranquille
Ile par dessus les toits
Ile de terre porteuse
Vert des maïs, ocre des blés
Points rouges du chant des oiseaux

Le papillon blanc d’hier vient saluer les liserons en bordure du champ de blé
Rappeler que la page est blanche avant de se couvrir du signe de l’île
Blanc des murs des maisons se haussant légèrement par dessus les maïs pour souligner le brun des tuiles vieillies
Ile habitée
Fragile bien sûr comme toutes les îles.
Menacée de typhons, de bourrasques, d’orages
Mais aujourd’hui flottante sur les maïs et posée sur le temps
Juste à l’heure dans le matin qui commence à flamber

Les toits flottent comme des bateaux amarrés
Paradoxe des îles quand elles voyagent

MON EGLISE


Il est une église au fond d’un hameau
Quand je prends le temps de l’observer par derrière, côté champs, le refrain de Paul Delmet peut s’installer
Mon église du Bouchage : j’y fus baptisée, mariée, j’y serai sans doute accompagnée pour la cérémonie finale
Aujourd’hui donc je la prends à rebours
Les maïs derrière lesquels je suis assise ne laisse découvrir que ce liseré blanc du mur avant le toit. Bientôt, malgré la sécheresse les maïs auront poussé et le blanc souligné disparaîtra.
Dans quelques instants elle va sonner. On baptise quatre enfants. Ce n’est pas que le village rajeunisse à ce point mais une parmi les treize de la paroisse St Pierre du Pays des Couleurs elle regroupe tout ce quoi se fait de nouveau pour l’ensemble. Le petit Romain par exemple ne vient ici qu’à cause de ses grands-parents. Dès lundi il retournera à Lyon.

STOCK OPTIONS

Lamentable ! J’ai perdu un gros paquet de stock options. Ah zut ! Je n’ai pas vendu assez tôt !
Hier au soir je rentre à St NIZ, bonne route de fin de journée.Pas trop de monde. Pas trop fatiguée. En arrivant la cata. La bourse a plongé. Orages, disjoncteur : les DEUX congélateurs à la température du jour. Pas tout à fait ! En marnant jusqu’à minuit je peux récupérer viandes et poissons. En cuisant à tour de bras, de marmites et de poèles
Mais pourquoi bonté de bonté j’insiste toujours pour que les congélateurs qui ne peuvent me suivre dans mes déplacements soient pleins de réserve à nourriture ? Comme si je ne savais pas qu’on peut s’approvisionner même à une demi-heure des supermarchés ! Comme si je ne savais pas que, depuis que l’adolescence et même l’âge adulte les ont touchés, les enfants et petits-enfants n’ont plus le même enthousiasme et la même disponibilité pour partager nos repas !
De nos parents et de la guerre nous avons, ma sœur et moi, gardé la hantise de ne pas nourrir notre progéniture. Or, la dite progéniture, aujourd’hui, est plus soucieuse de manger moins, manger mieux, manger autrement, que manger maman, grand-maman. Dimanche ma sœur s’évertue à ce que ses petits ( fils et belle-fille) reprennent de la pintade, des pommes de terre, des courgettes. Du bon jus ! Mais ils n’en veulent pas du jus ! Ce qu’ils lorgnent c’est le cuit-vapeur offert et qu’elle n’utilise pas. Ce qu’ils racontent c’est leur repas au restaurant pendant le séminaire, très très bien ce restau, et le charme du café frappé, ah l’appareil à frapper quelle merveille ! mais pas le même en Crête qu’à Conforama, etc …
J’ai quitté mon jardin de La Loue qui commençait juste à produire et à se récupérer de la sécheresse. J’ai cueilli une poignée de haricots de la taille d’une cigarette, une misère. Là aussi jardin déphasé, jardin de riche qui n’en a rien à faire de produire pour nourrir. Ercole aura un œil sur lui heureusement. Pour le coup d’œil et de cœur, le matin, ce sera encore bon à mon retour. J’espère.
Je n’arrive pas à négocier les transitions. L’époque productive et même productiviste est finie. Le délire et la rage de produire encore, bien et plus, commence à s’apaiser. En un sens la débâcle des congélateurs est une bonne chose. Comme leçon ! Je me suis levée à quatre du mat pour nettoyer, remettre en sachets. Réflexe ! On ne jette rien ! ça peut servir !
L’ère pourtant de jeter, enlever, simplifier, est pourtant de mise. Je vais essayer de la commencer avec la même application que chaque premier jour d’école.

BALLON ROND

Propulsée à ST Victor pour une hypothétique fête de la musique, je ne trouve rien qu’une réunion de parents d’élèves sur la place. Frites, moules, pains et tartes ( mais il n’y en a déjà plus)
Au beau milieu de la fête : un attroupement conséquent. Derrière : un écran géant. Géant ! C’est les Bleus en quart de finale. Dans la petite foule, des minois striés bleu-blanc-rouge. J’aurais dû m’en douter en arrivant. Eh ben dis donc ! La fête des écoles contaminée par le ballon rond. C’est la première fois que je vois ça.
Retour à la maison, pour contrer le vague à l’âme, j’allume la télé et oui ! Surprenant ! je m’installe pour la décoction prolongée. J’y prends plaisir. Pas à observer mes semblables et leurs tics nerveux. Non ! A suivre le ballon du pied à la tête et de la tête au pied.
Le culte zidanesque du commentateur est amusant. Serait-il aussi insistant si le zizou portait un autre nom moins rapproché du détail anatomique ?
Tout de même ! Tant de monde, tant de déplacements, tant d’argent, tant de représentation pour un petit ballon rond !

J'AI L'TEMPS

J’ai l’temps
J’suis pas pressé
J’ai l’temps
C’est ma journée
J’ai l’temps
J’ai rien à faire
Et la vierge est ma mère

Quel est donc cet oiseau qui crie
Comme on appelle la nuit
Un camion fou
Qui hèle les passants endormis
Les passants qui passent plus sur le pont de Neuilly ?

C’est des saules ou des frênes
Qui balancent sur le ciel
Un plumet un plumeau
Peut-être le plumetis d’une attente incertaine ?

Le soleil se fait chaud,
je rentre mes misaines

J’ai l’temps
Je lève le camp
Deux joggueuses, un promeneur
Nous sommes quatre ce matin
A narguer la déveine
A larguer les amarres

01 juillet 2006

LES P'TITS RIENS


Les p’tits riens du matin

- le ciel bleu
hum ! bleu du ciel ou bleu des chimères ?
aucune inquiétude à avouère : le bleu de ma mère.

- les peupliers
ne plient pas, ne bronchent pas
ne s’esbignent pas au soleil
restent là

- les oiseaux
blancs roses ou gris ?
seulement font cui-cui
ne se montrent pas
dialoguent et rient
petit rire de petite vieille
ou ange gardien qui regarde ?
griselis d’oiseaux oiseaux qui grisollent

- la vieille maison fatiguée
mais qui tient l’coup au bord du chemin
depuis des lustres
Tous les lustres se sont éteints
Pourtant elle tient tête

- sans oublier le papillon
blanc comme la reine des prés

et quelque chose comme une voix de derrière les fagots
qui fait la fête