Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

23 mai 2006

UNE CARTE POSTALE VI


VI- DIEU ET LES FLEURS

Verveine a une soixantaine florissante. Elle aime toutes les fleurs, en pots, en jardinière, en bouquets, dans les prés et sur les talus. Même séchées. Elle aime les fleurs tout court. Elle les adore.
Des fleurs, elle en a plein avec elle, tout le temps : en cartes postales, en projets, dans des sachets de graines. Depuis peu en aquarelle. Parfaitement ! Elle peint les fleurs. Elle ose.

Ici, à Allevard, elle est gâtée pour les fleurs. Quand d’autres font la sieste elle s’installe dans sa chambre devant le bouquet du jour - oh ! un petit bouquet dans le verre à dents qu’elle a grapillé par ci par là-et elle attrape les fleurs par leurs couleurs. Elle les pose à plat sur la table, ses yeux naviguent du vertical à l’horizontal en s’efforçant de garder la chaleur que les couleurs lui renvoient. La forme importe moins que la couleur. La forme n’est pas très difficile à saisir : un ovale un pétale, un trait une étamine, un rond un cœur.

Les bouquets, elle les collectionne ainsi dans son album quand ils sont fanés. Elle n’a pas encore osé les montrer. Elle se demande parfois si ce n’est pas pêcher d’accorder tant d’importance à de simples fleurs des champs. Les fleurs ne demandent rien, n’ont besoin de rien. Même pas d’elle. La découverte merveilleuse cette année est de se sentir si bien dans ce tête-à-tête silencieux avec les fleurs.
Elle se dit, qu’après tout, c’est aussi prier le Bon Dieu que d’accepter des fleurs cette pitchenaude de couleur, là entre les deux yeux. Ça la soulage. Comme le baume du tigre quand elle a mal à la tête. De temps en temps, le matin surtout. A cause des sinus.

Elle ne se dit pas expressément tout cela. Verveine n’a pas de longs questionnements de conscience. Un fonctionnement bien rôdé, ponctuel qui lui assure tous les jours que Dieu fait un pas rapide (mais non pressé), une parole rapide (mais non volubile), un appétit immédiat devant l’assiette garnie ( mais non une goinfrerie déplacée)

Verveine est placée, bien placée pour le savoir : la vie est une chance. Elle honore cette chance chaque jour en ne gaspillant rien à tort et à travers. Chaque rencontre, même fugitive, chaque trouvaille même cochonne …
Elle parle aux morts, à ses parents, à son petit frère qu’elle n’a pas connu, à Paul son mari français qui ne lui a jamais reproché son accent espagnol. Au contraire, il en était fier. Paul lui a laissé, en Picardie, une petite maison avec un petit balcon, un petit jardin facile d’entretien. S’ils avaient eu des enfants la maison aurait été trop petite mais Dieu ne l’a pas voulu …


Elle dit seulement Merci au Seigneur chaque matin et plusieurs fois dans la journée. Elle n’a rien à lui demander. Tout ce qu’il lui donne est pain bénit. Chaque rencontre, même fugitive, chaque trouvaille même un peu … spéciale. Elle ne sollicite sa protection que pour les autres. La vieille dame si jeune d’esprit qui sait très bien tenir la pipette maintenant sans s’étouffer. L’encore jeune homme déjà vieux et déchiré aux coins des lèvres. Les deux pauvres ballots de la carte qui pourraient tout de même la mettre sous enveloppe et l’envoyer eux-mêmes !
Elle ne demande rien pour Emilienne. Emilienne a quatre-vingt six ans. Dieu fasse que j’arrive à cet âge en aussi bonne forme qu’Emilienne ! Elle se passionne pour gagner au scabble et Dame ! quand je suis un peu distraite, ce que je veux bien être pour lui faire plaisir, elle se réjouit si fort de mes incompétences en français. Elle se précipite pour m’en donner la preuve sur son dictionnaire électronique qu’elle manipule, malgré ses doigts enflés, avec une surprenante dextérité.
Son accent que quarante-deux ans cette année de séjour en France lui a laissé, Verveine l’aime aussi ; elle ne sait pas si elle le garde par une coquetterie muy maravillosa, par défaut congénital des cordes vocales, ou par cadeau de Dieu comme tout le reste. Grâce à lui, grâce à ces roucoulades de fond de gorge, Paul est allé jusqu’à l’épouser. Et pourtant ce n’était pas facile avec la maman qu’il avait ! Son nom fleuri et odorant de Verveine il le lui a laissé en partant comme talisman.
A la pension Notre-Dame tout le monde la connaît sous ce prénom et la salue aimablement. Le prononcer c’est comme si on recevait un rayon de soleil. Personne ne s’en prive.
On l’aime bien. Elle le sait. Elle le sent. Demain elle ira marcher avec le groupe de 15 heures. Au dessus d’Allevard. Il n’y a pas besoin de s’inscrire. Devant l’office de tourisme à 15 heures. Avec des chaussures de marche. Elle en a apporté bien sûr. Entendu ! Elle y sera. Elle a envie d’une compagnie un peu différente de celle de la pension Notre-dame. Une compagnie plus masculine peut-être. Il n’y a que des femmes à la pension. Pourquoi ? Elle a envie de pas dirigés, commentés. En plus c’est gratuit !
Elle n’est pas de ces vieilles bigotes qui arrivent à Jésus quand elles n’ont plus aucune chance de rencontrer Pierre, Jean, Etienne, Marcel ou ? ( au fait quel est son prénom ? Je ne l’ai jamais entendu, personne ne l’appelle …)

1 commentaires:

Blogger Julie Kertesz - me - moi - jk a dit...

que des vrai contacts aussi!

jeudi, 25 mai, 2006  

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