Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

19 juin 2005

carte perdue 16-6

Carte perdue … Carte trouvée

Il l’avait remarquée sur le sol, sec ce matin exceptionnellement. Seul, ce matin sur son banc comme d’habitude, à 7h-1/4, dans le parc des Thermes. Il l’avait vue tout de suite en époussetant le banc pour s’asseoir. Il était allé la ramasser. Avait jeté un bref regard aux alentours. Vides comme d’habitude. Elle était tombée sur l’envers. Elle était affranchie, un beau timbre à fleur : Orchidée, Mabel Sanders. Bigre ! s’était-il dit ( il aimait bien se dire Bigre quand il se passait quelque chose d’intéressant dans la journée) L’adresse était libellée, quelque part en France, 69 en y regardant de plus près, le département de destination était le 69 comme le sien. C’est pour ça qu’il l’avait retournée. Il aurait pu l’écrire lui-même. Oh quelle horreur ! Il douta un instant. Ses sens ne lui avaient-ils pas joué un tour ? Mais non, il regarda mieux. Aucun doute ! c’était une horreur ! adressée à ? : un homme de peu, un certain Jean X… quelque part dans le département du Rhône, qui aurait pu être lui mais heureusement qui ne l’était pas. Tant pis ! Pour une fois qu’il trouvait quelque chose avant tout le monde ! Encore un coup du diable. Il regarda à nouveau furtivement tout autour, remit la carte dans la même position et retourna s’asseoir. Les premiers curistes commençaient par arriver.
Il se plongea dans la reconnaissance des couples et des personnes seules, confrontant leur ordre d’arrivée d’aujourd’hui avec celui d’hier. Tiens le boîteux va être en retard ! il aura le numéro 8 aux douches pharyngées. Bien fait pour lui ! Il n’avait qu’à ne pas traîner ce matin. La Grande est bien pressée. C’est le jour du marché bien sûr elle va encore s’acheter un tas de robes rouges qui lui vont comme un tablier à une vache …
Les yeux fixés sur la porte d’entrée ORL, il continuait son comptage. La carte sur le sol, dans son dos, à l’arrière du banc, était oubliée. Presque.
- C’est à vous Monsieur ? Vous avez fait tomber votre carte
Saisi il se retourna d’un bloc, ne put répondre, fit de la tête un signe vigoureux de dénégation.
La dame gentiment insistait.
- Heureusement que ça a séché cette nuit ! Nous aurons une belle journée. Vous avez perdu une carte postale.
Il avala sa salive, déglutit plusieurs fois avant de pouvoir articuler
- NOOON !
- Ah bon ! Elle est toute timbrée. Je vais la mettre à la poste.
Il se retourna vers les thermes pour trouver une solution satisfaisante, se leva du banc, se rassit, heu ! soupira et revint tout de même à cette interlocutrice inopinée.
Elle était bien, très bien. Elle était aussi élégante que Maman au début des cures en 1974, un peu plus élégante, un je ne sais quoi, maman aurait dit. Elle avait une jupe assez courte, au-dessus du genou mais très correcte quand même avec des fils brillants dans les tons de bleu roi. Une veste aussi brillante que la jupe. Plus jaune que bleue. L’ensemble était très fin, très convenable. Mais très pimpant. ça lui allait bien.
Malheureusement la dame avait retourné la carte, elle eut un OH ! réprobateur
- Ce n’est pas à moi, pas à moi ! réussit-t-il à articuler.
- Bien sûr ! Excusez-moi !
Puis, d’un petit air volontaire, elle dit en souriant
- ça ne fait rien ! Je vais tout de même la mettre à la poste ! Puisqu’elle est toute prête !
Elle s’éloigna. Il l’a regarda s’éloigner vers la sortie du parc Rue . Quelle idée ! ça ne la regardait pas une carte perdue. Surtout une carte heu une carte … Elle allait rater l’heure des soins. Qu’est-ce qu’elle avait bien pu penser ?

Nady aimait faire la cure à Allevard. Chaque année. Au moins pendant la cure elle pouvait changer de jupe et de veste chaque jour, assortir les unes aux autres, profiter du changement. Chez elle à quoi tous ses vêtements pouvaient-ils servir ? Elle ne se changeait que le dimanche. Elle n’aurait même pas osé mettre sa jupe brillante au village avec les mauvaises langues.
Elle aimait la cure aussi pour tous les services qu’elle pouvait y rendre : Aux personnes âgées, aux enfants. Elle donnait de précieuses indications sur la position de la pipette, la pose du bavoir. Elle faisait remarquer la marche pour ne pas tomber, le sol humide aux pulvérisations et tous renseignements en ville sur les directions à prendre pour le Casino, la Poste, l’église. Quelquefois elle se taisait quand elle croyait remarquer une légère impatience chez les dames préposées aux soins. Elle ne voulait pas leur prendre leur travail, oh non ! mais elles étaient souvent trop occupées, un brin distraites et ne voyaient pas comme elle, les besoins. Cette année spécialement elle avait pris une initiative qui la satisfaisait beaucoup. Directement chez le directeur. Oui ! Elle avait demandé à parler directement la directrice, c’était une directrice, et pourtant cette directrice avait répercuté aux dames de services les compliments qu’elle lui avait fait : gentillesse, propreté … tout ! Elle avait tout complimenté. Elle était très contente de tout cette année. Elle ne voyait pas ce qu’elle aurait pu faire de plus pour qu’on s’en rende compte. Et justement ce matin cette carte tombée du ciel.
Elle l’avait souvent remarqué le grand monsieur timide assis sous le ginko biloba, toujours à la même place sur le même banc à la même heure. Plus d’une fois elle avait eu envie de lui adresser la parole. Il paraissait si seul, si triste. Même pas triste, désoeuvré. Elle qui ne s’ennuyait jamais. Comment peut-on rester assis sans lire, sans tricoter, sans parler à quelqu’un, sans écrire. Son visage était couturé de rides profondes, un tic remontait vers l’œil gauche le coin de sa bouche, laquelle bouche aux commissures des lèvres était fendue d’un trait rouge d’infection. Il devrait soigner avec du mercurochrome ce bobo disgracieux. Pour le reste il était encore pas mal. Grand, assez mince : une bonne hygiène de vie sans aucun doute.
Se pouvait-il que ce soit lui l’auteur de la carte ? Oh non ! Quelle idée peu charitable ! Il n’aurait pas été si embarrassé. Il n’aurait pas perdu une pareille carte par inadvertance. Et qu’avait-il pensé d’elle qui allait de ce pas la mettre à la poste. Elle n’avait pas pris le temps de lui expliquer son intention. Je désapprouve de pareilles monstruosités mais Dieu seul est juge, la carte affranchie. Je me dois de la poster et je prierai ce soir à la messe de six heures pour l’envoyeur et le destinataire. Deux pauvres hommes, deux gamins … Je prierai aussi pour ce monsieur seul sous le Ginko Biloba. Demain je repasserai près du banc et je lui dirai …

3 commentaires:

Blogger David a dit...

merci, madame... je reconnais ces personnages bien peints...

et c'etait moi qui a perdu la carte avant de la mettre en poste...

(le destinateur va mieux, grace aux prieres de cette dame -- sans doute)

jeudi, 23 juin, 2005  
Blogger Gelzy a dit...

merci, je ris de me savoir lue par vous et je vais continuer l'histoire puisqu'elle vous intéresse. je n'ai pas réussi l'autre jour à vous adresser ma première réponse. Je le fais par mail. A bientôt !

jeudi, 23 juin, 2005  
Blogger David a dit...

Le mail m'a plu. Merci, madame. Plus heureux le destinateur de ce-mail-la que le destinateur de la carte perdue,eh? Mais les prieres d'une amie m'aiderait beaucoup.

dimanche, 26 juin, 2005  

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