Mots et couleurs

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31 mars 2012

non-lettre à GODOT



Mais non, Godot, Godillot, votre nom est totalement étranger à mon monde. Un Godelureau, ce n’est qu’un bon à rien, un faiseur d’embarras, un « bouème » dont il faut se méfier.
Et pourtant, à force de le voir s’étaler sur les devantures, ce nom râpeux, de la page 16 à la page 121 des Editions de Minuit, à maintes et maintes reprises que je ne veux pas dénombrer, c’est par la lecture qu’il a pénétré dans l’espace clos et ouvert de mon intimité. Livre offert par mon amoureux. Avec lui j’entre dans les modelures étranges, fascinantes, inquiétantes d’un discours existentiel, dans les arcanes d’un réalisme insoutenable (après d’autres lectures très concrètes de ce qui s’est passé pendant la guerre), dans les méandres d’un comique grinçant, dans les circonvolutions d’une fantasmagorie langagière sans queue ni tête et pourtant si lucide !
Non Godot, Monsieur Godot, je n’ai aucun reproche à vous faire aujourd’hui. Plus rien à vous dire !
Certes vous ne venez pas aux rendez-vous !
Certes vous vous annoncez d’abondance et vos émissaires ne savent ni pour quand ni pour où,
Appâter les oiseaux c’est déjà les faire voler, les nourrir, assurer la perpétuation de l’espèce : vous existez donc.
Mais je n’ai aucun merci à vous transmettre. Ni pour les rêves de l’attente, ni pour les leçons de la déception, ni pour le miroir aux alouettes, ni pour le vol de gerfauts hors du charnier natal…
Et si j’écris à Godot cette lettre sans adresse qui n’arrivera pas, c’est moins pour justifier que c’est Moi-Même qui « tient la plume pour écrire », autre héritage convenu des en-têtes, que pour laisser la dite plume librement se glisser sous la couette des mots.
Ah les mots ! substrat et envoûtement de la pensée, cailloux inutiles au fond du torrent mais si jolis dans les reflets de l’eau !
Comme il s’en gargarise ce père Godot qui n’est jamais là !
Et je n’ai plus qu’à reprendre les miens en main sans lui adresser ni la parole, ni la parabole.

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