Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

01 avril 2008

LUNDI 31



Lundi 31 Mars

Le père Lachaise était un bon père sans doute, préoccupé de confort post-mortem pour ses semblables …
Ses semblables : généraux, chanteurs, poètes, musiciens, drogués et alcooliques, notables et diplômés, femmes de bonne ou mauvaise vie, tous couchés au printemps sous quelques fleurs, beaucoup de mousses, des croix branlantes, des pierres chancelantes, des chapelles somptueuses et des marbres lépreux. Tous couchés, il n’y a que leurs statues ou celles de leurs pleureuses qui se redressent sous la pluie.
Nous nous réfugions d’un orage à un autre dans une de ces demeures éternelles pitoyables qui a laissé sa porte ouverte faute de gonds. Gardée par une cohorte d’ancêtres soigneusement alignés ou dont les noms se cachent. Les doubles prénoms anciens s’égrènent, s’écaillent, comme les gouttes de pluie. Mais le temps change et le soleil arrive en même temps que la chapelle d’Abélard et Héloïse. Là l’amour se fait roi, la vie triomphe. La tombeau est en réfection. Des visiteurs ont glissé dans les grilles une fleur. Oh bien modeste par comparaison avec l’humble tombe de Jim Morrison. C’est celui-ci d’ailleurs qui nous sert de guide. Des groupes de jeunes gens, des familles entières, malgré la pluie arpentent les allées. Reconnaissables à l’accent américain. Il nous suffit de les suivre car nous savons que la tombe que nous cherchons dans la division 6 est adossée à celle du chanteur. Aucune logique arithmétique. Du 5 on passe au 13 sans transition mais le clapotis des conversations jusqu’au lieu nous conduit. Et puis les fleurs … quasi arrogantes au milieu de la tristesse végétale des tombes dévaluées.


Je pense que le docteur Thorel ( ni ses descendants) ne verrait aucun mal à ce que je raconte et montre que son toit aujourd’hui est couronné de bizarres formes asiatiques. Personne d’autre que nous parmi les promeneurs ne sait que cela est un rappel de sa brillante carrière de découvreur au Cambodge de la flore de ce pays dans l’expédition Doudart de Lagrée. Un simple nom gravé, pas d’inscriptions commémoratives. Mais enfin la tombe subsiste. C’est déjà ça !
Non aucune tristesse dans les cimetières ! J’ai toujours aimé les visiter. Qu’ils soient militaires, simples lieux de repos de village, ils racontent tant sur le pays et les gens qui y ont vécu. Malgré leurs efforts d’entretien, leurs classifications, ils mélangent les époques, ils confient aux vivants de brèves pensées, des citations bibliques et d’autres indéchiffrables dans une langue inconnue … Ils sourient après la pluie et étincèlent de la même manière qu’un champ de blé. Les artistes ont fait de leur mieux pour apprivoiser l’immobilité des cadavres. Les arbres y sont plus beaux qu’ailleurs quand ils penchent leurs branches et la moindre giroflée sauvage a autant de grâce que les roses sélectionnées. Chopin autant d’attention de leur part que la moindre hirondelle du faubourg fauchée en pleine jeunesse.
Du Père Lachaise, devant l’église, dans le lointain, la Tour Eiffel, les toits de Paris, leurs frondaisons …

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