le terrassier de l'aube
Le terrassier de l’aube
Il se sentait toujours la tête coincée entre deux
lignes. La maison s’effondrait sur lui. Les poutres lui retenaient le bras qui
tentait de propulser la main vers un mot supplémentaire, un seul, celui-là,
comme le bouquet final que les maçons hissent en chantant sur le faîte. Mais
tous ses efforts ne servaient à rien. L’inauguration se refusait à lui. Si
proche d’être habitée la maison se lassait du vide et renonçait.
Ecrire c’est avancer seul sur un
chemin, repérer l’emplacement de la halte, croire. Bâtir à l’encontre des lois
mortelles. S’élever avec l’édifice et défier l’équilibre en construisant
l’échafaudage.
Il compensait dans cette position
inconfortable pourquoi il avait toujours été tant ému par le moindre petit
appel du plus petit des charpentiers. C’était - il le savait à ses dépens –
chaque fois la première et la dernière tentative pour donner un sens à la
route, fixer l’espace, amarrer le temps. Croire. Le crier sur les toits.
Sa respiration s’essoufflait. Il
tenta de dormir. Mais sa tête dans cette immobilité forcée, grouillait de
fantôme de mots. Ils le narguaient, sautillant de plus en plus près pour mieux
s’échapper. Il s’exhorta à l’effort de mémoire. Il déroula une page
immatérielle devant lui pour y loger les mots de passage. Les lier d’un ciment
prompt. Il se rappelait toutes ses émotions diverses quand il visitait les
chantiers de ses semblables. Admirant étourdiment toute construction, de la
timide à la plus effrontée, de la voluptueuse à la plus froide ou cynique. Celle
qui hoquette dans tous les sens et celle qui coule de source dans le
chuchotement paisible des gouttes. Mais son effort resta vain. Sa mémoire,
comme le bras, s’alourdissait, fourmillait encore par endroits jusqu’à ce qu’une
léthargie totale l’emportât avec les doigts gourds, avec la feuille évanouie,
avec l’équation inachevée. S’efforçaient même les deux lignes fatales sous ses
yeux clos.
Fatigue fatigue fatigue.
Il s’endormit. La poitrine dégagée
arrêta de geindre à petits coups. L’humidité de l’aube le réveilla sur l’herbe.
Les étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.
L’imbécile ramassa ses outils et se
mit à creuser, en dehors des décombres, un terrier pour les lapins de l’aube.
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