Mots et couleurs

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28 septembre 2012

le terrassier de l'aube


Le terrassier de l’aube


Il se sentait toujours la tête coincée entre deux lignes. La maison s’effondrait sur lui. Les poutres lui retenaient le bras qui tentait de propulser la main vers un mot supplémentaire, un seul, celui-là, comme le bouquet final que les maçons hissent en chantant sur le faîte. Mais tous ses efforts ne servaient à rien. L’inauguration se refusait à lui. Si proche d’être habitée la maison se lassait du vide et renonçait.
Ecrire c’est avancer seul sur un chemin, repérer l’emplacement de la halte, croire. Bâtir à l’encontre des lois mortelles. S’élever avec l’édifice et défier l’équilibre en construisant l’échafaudage.
Il compensait dans cette position inconfortable pourquoi il avait toujours été tant ému par le moindre petit appel du plus petit des charpentiers. C’était - il le savait à ses dépens – chaque fois la première et la dernière tentative pour donner un sens à la route, fixer l’espace, amarrer le temps. Croire. Le crier sur les toits.
Sa respiration s’essoufflait. Il tenta de dormir. Mais sa tête dans cette immobilité forcée, grouillait de fantôme de mots. Ils le narguaient, sautillant de plus en plus près pour mieux s’échapper. Il s’exhorta à l’effort de mémoire. Il déroula une page immatérielle devant lui pour y loger les mots de passage. Les lier d’un ciment prompt. Il se rappelait toutes ses émotions diverses quand il visitait les chantiers de ses semblables. Admirant étourdiment toute construction, de la timide à la plus effrontée, de la voluptueuse à la plus froide ou cynique. Celle qui hoquette dans tous les sens et celle qui coule de source dans le chuchotement paisible des gouttes. Mais son effort resta vain. Sa mémoire, comme le bras, s’alourdissait, fourmillait encore par endroits jusqu’à ce qu’une léthargie totale l’emportât avec les doigts gourds, avec la feuille évanouie, avec l’équation inachevée. S’efforçaient même les deux lignes fatales sous ses yeux clos. 
Fatigue fatigue fatigue.
Il s’endormit. La poitrine dégagée arrêta de geindre à petits coups. L’humidité de l’aube le réveilla sur l’herbe. Les étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.
L’imbécile ramassa ses outils et se mit à creuser, en dehors des décombres, un terrier pour les lapins de l’aube.

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