J'AIME LES MOTS
Carnet noir 1971
J’ aime les mots, la littérature. Je me revois assise devant la table, près de la fenêtre, dans la cuisine, chez mes parents. Pendant longtemps j’ai dit « Chez-Nous » mais Jean m’a fait perdre cette habitude qu’il jugeait offensante. C’est là que j’ai lu, relu, récité ce que m’offraient mes livres de Français « Les auteurs du Nouveau Programme » Lamartine, Hugo, Vigny m’ont enchanté. J’ai lutté sans rire contre Jean et son copain Serge pour défendre l’honneur de Hugo « Totor » comme ils osaient l’appeler, qu’ils voulaient réduire à une vulgaire figure de sauteur. Je devais être fort niaise si j’évoque le malin plaisir qu’ils prenaient à démolir mon idole à coups de prétendue érudition et de mots crus. Pour moi surnageaient, intactes, les belles envolées lyriques et aujourd’hui encore je m’y laisse prendre. Quand soudain, au détour de l’alexandrin, je sens l’émotion me gagner quand je lis à mes élèves ceux dont j’essaye par ailleurs de montrer l’affectation outrecuidante.
Dans le fond de moi-même je suis et reste une bergère
« Veillée des chaumières » et quiconque saurait trousser un compliment lyrique aurait quelque chance d’attaquer ma vertu. Heureusement avec l’âge et d’autres lectures je suis plus difficile pour le choix des adjectifs.
Jean est resté sur ce chapitre d’une écoeurante sècheresse. Net, simple, carré dans ses phrases … Il m’arrive de lui préférer en rêve des amants plus prolixes. Mais quel bonheur après quelque navigation dans les eaux troubles de reprendre pied avec lui sur terre, de retrouver dans l’intimité de nos corps le silence. Il a dû parfois vaguement sentir cela car au temps de notre correspondance quasi quotidienne il avait imaginé d’orner l’en-tête de ses lettres de magnifiques citations puisées aux meilleures sources. « Chaque jour je t’aime davantage
Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain »
Il faut croire que ce succédané fut suffisant pour emporter mes doutes. Et puis, bon an mal an, amoureux tiède ou amoureux fou, il n’oublie jamais de m’acheter des livres. Et il lui faut un certain courage pour me les offrir. Quand le vent souffle à l’économie je ne sais pas m’empêcher de regarder avec reproche le paquet ficelé dans mon assiette. Il arrive quelquefois, la mesure étant comble, que j’aille récupérer le bouquin sous une chaise ou à la poubelle.
Pour tout ce courage et cette tendresse qu’il soit remercié !
1 commentaires:
Jean et Serge, je suis furieuse contre tous qui essaye de se hisser sur nos dos, qu'ils soient bon amoureux ou non, qu'ils nous achétent des cadeaux ou non. Mais que dire? J'y avais aussi tombé dans les temps...
Enregistrer un commentaire
Abonnement Publier les commentaires [Atom]
<< Accueil