Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

03 avril 2006

30 MARS BEAUVAIS


Ç’en dessus-dessous et ç’en devant-derrière : ainsi est le temps qui flotte et file gris uniforme. Heureusement que Gaspard m’aide à le « couvrir ». « Couvrir le temps » était, pour ma mère, être de mauvaise humeur, avoir « la barre sur le front » En fait je ne suis pas trop mécontente de ce repos forcé en chambre. Marion et Eliane sont venues hier me rendre une visite de voisinage, depuis Parvilliers en Quesnoy. Prononcer, écrire les mots du terroir c’est un peu s’approprier le pays comme par les jambes. Lire, écrire : les deux visages de Janus. Quand je suis lasse de regarder l’un je me tourne vers l’autre.
« Boiteux, pied-bot, les tailleurs le plus souvent n’avaient pris cet état que parce qu’ils ne se trouvaient pas propres à travailler la terre. Celui-là avait une épaule plus haute que l’autre : roux comme le chien de st Roch, au demeurant, et l’œil dans une face de renard, grippée, futée, chafouine. Mais il se redressait pour dire d’une voix aigre à faire pisser un chat par la patte : » Deux aunes de drap et d’un paysan j’en fais un monsieur. »
Je mêle la prose de Henri Pourrat, qui n’est jamais vraiment de la prose mais toujours une gavotte de mots, à celle des journaux. Le Courrier picard que je trouve au petit déjeuner dans la salle à manger, le Canard et Libé que Pierre me sert avant de partir aux archives. Quand j’ai la tête qui déborde de lignes noires je me chante une comptine
« Mais quand vint l’heure du diner
-hôtesse, qu’allons-nous manger ?
-Vous aurez du civet de lièvre
ç’en dessus-dessous et c’en devant derrière
Et de la bonne soupe aux choux
Ç’en devant-derrière et ç’en dessus-dessous »
Mais elle me ramène encore à l’actualité elle aussi toute retournée. Libé, qui anticipe quelque peu, affirme ce matin « Naufrage de l’état-Chirac » Je crois entendre la voix aigre du tailleur chafouin s’adresser à moi à la télévision.
- Individualisme ! Irresponsabilité. Immobilisme. Immoralité. Insolvabilité.
- Hé ! Laisse-moi me justifier ! J’ai beau être à la retraite, je pense aux petits et je ne les envie pas d’entrer dans ce monde d’argent-roi, de vol à l’étalage, d’étalage de superféteries langagières et autres. Dans la manif j’entends leurs voix qui réclament respect et audace, la place qui leur revient. Ce n’est pas seulement la nostalgie de mai que je cultive c’est cet élan de vie qui nous porta si fort et redistribua un peu les cartes. C’est lui qui m’a soutenu jusqu’à aujourd’hui à travers les désespérances.
Je sais : mes yeux ne voient plus très clair. J’ai deux paires de lunettes mais quand je perds l’une et l’autre je vois quand même un peu, assez pour me conduire. Mes « lunettes pour lire » et mes « lunettes pour sortir» comme la bonne Madame Demaize du livre de Pourrat. Avant de la mettre en bière on se demanda lesquelles choisir.
Le choix n’a guère d’importance. Ç’en dessus-dessous et ç’en devant-derrière, il y a toujours pour se guider le bon sens, celui qui m’assure d’avoir choisi, une fois pour toutes, le bon camp.

1 commentaires:

Anonymous Anonyme a dit...

C'est pas bien d'avoir tant écrit pendant que je tournais le dos. Ca me fait beaucoup de retard que je vais devoir rattraper. J'ai juste feuilleté et ça m'a juste donner envie de revenir pour tout lire : pour ne pas passer à côté.
PS : merci d'avoir intercepté ma bien vieille déclaration. Je savais bien qu'un jour tu la lirais.
Soit dit en passant, le nom "Guéricolas" est bien le vrai patronyme. Et je m'étonne de ne toujours pas recevoir de réponse de ma petite danseuse d'autrefois à présent que je me suis dévoilé...

lundi, 03 avril, 2006  

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