MON STYLO D'OR
MON STYLO D’OR
Peut-être qu’avec un stylo d’or entre les mains je ne broierai plus du noir !
En tout cas l’essai est en lui-même méritoire.
Allons !
Tout un stylo en or, tout un stylo Victor Hugo, non ! Mais un stylo à plume d’or, oui !
Ma marraine me l’avait offert. Ma marraine en or. Car j’ai une marraine exceptionnelle, une marraine de la ville, une marraine secrétaire du Bâtonnier Perrault à Lyon, lequel est aussi écrivain. Sera. Je ne sais pas encore qu’il l’est, ni de quel bâton cet homme tient sa verge d’or.
J’ai treize ans car je suis à peu près sûre de situer le stylo après Noël dans la rainure du premier bureau de la rangée en cinquième, la division près du couloir au Cours Complémentaire de Morestel. L’autre, côté fenêtres, je l’ai quittée. D’être entrée en sixième par examen authentifié à douze ans je dois d’être passée en cinquième et je suis la première, le plus près du bureau du maître, le plus près du tableau, la plus près de la sortie dans le couloir et la plus exposée au classement trimestriel.
Une plume en or ! Qu’on se rende compte de son importance, de sa chance unique, même si le fait paraît insignifiant aujourd’hui qu’on tape, qu’on tapine sur des claviers. Je suis en avance sur mon temps, celui de mes petits camarades, même les fils ou filles d’institutrice ou de commerçant. J’ai un stylo moi, je n’ai plus une plume à tremper dans l’encrier tous les deux ou trois mots, un stylo qui court vite sur les multiples cahiers d’exercices et de cours. Un cahier bleu j’en ai aussi en dehors des obligations. Mon premier cahier d’écrivain. Cahier à demi clandestin. J’y loge des choses qui riment, donc s’appellent poèmes comme ceux des Victor Hugo et autres Lamartine. J’y loge des histoires enrubannées de réminiscences enfantines bien que j’ai quitté l’enfance et me destine à l’enseignement sans doute, peut-être, les maîtres en parlent je crois déjà. En tous cas mon maître principal. Mon directeur de conscience républicaine qui me donne des leçons particulières le soir pour remonter les math.
Mais le stylo à plume d’or ne durera pas longtemps. Je l’ai perdu en quelques mois, combien ? deux ou trois, pas plus. Il a quitté subrepticement ma trousse. Quelqu’un l’a-t-il aidé ? C’est ce que j’affirme à ma mère pour justifier sa disparition. Quelque jaloux, jalouse ? Non de mes talents d’écrivain et de mes 17, 18 sur vingt en rédaction mais de cet éclat sur le bois du bureau quand le stylo quitte mes doigts. Peut-être l’ai-je perdu. Je perds bien mes bonnets, mes mitaines. Mais ma mémoire avait entériné le vol jusqu’à ce soir.
J’ai bien perdu la tête. Je suis amoureuse. De Maurice, un grand dans l’autre classe. Peut-être depuis Noël et la consécration du stylo d’or. J’ose aimer. J’écris à fleur de peau. Je m’invente un amour en quatre dimensions. Il emplit tous les moments libres de ses vagabondages. Il colmate tous les précipices où la douleur s’engouffre. Il nie la fatigue et la petitesse de mes jambes et bras. Ah ce vélo si lourd à accrocher à la barre horizontale sous le préau ! Maurice m’aide-t-il parfois à le hisser ? Peut-être. Il serait surprenant qu’un amour primordial comme celui-là ne soit pas né d’un besoin de grand frère et papa.
Quoi qu’il en soit le livre avec son stylo d’or m’a fait revenir une fois de plus vers mes commencements en lignes. Commencements qu’à presque soixante-dix ( il faut que je prépare mon acceptation du nombre sans réserve ... ) je continue d’attifer, d’étoffer de mots et d’affirmations invérifiables.
Comment le quitter sans dégâts ? Sans sciatique ? Ne pas rire de ce souvenir imparfait, imprécis mais encore lisible. Ne pas pleurer bien sûr. Griffer de mots la page blanche non rayée de l’ordinateur dans la nuit.
Dans ma promenade hier au soir sur le quai d’Alger, un grand beau basané m’a souhaité le bonsoir et demandé si j’allais bien. J’ai répondu Oui sans explications trop techniques sur ma sciatique. La grille du bord de canal séparait nos deux soirées solitaires, son banc public de mon tabouret portatif. Lui astiquait des petites tortues sympathiques hochant la tête au vent, il les promènerait tout à l’heure sur son chariot à roulettes pour les vendre. Il était mexicain m’a-t-il dit, étudiant en droit, par ci par là. Je lui ai fait remarquer que son français était impeccable et que les études en droit pouvaient mener à l’Elysée. Bref ! je ne songeais pas au stylo. Les petites paroles coulaient sans chichi dans l’eau du canal. Je suis rentrée apaisée par un ou deux croquis, un ou deux renseignements inutiles : le nom des bateaux de pêcheurs :Ville d’Arzew II, Marseille, Eric Marin ST 924 860, le nom des immeubles : Le Grand Large, La Méditerranée …
Ma marraine habite toujours Lyon. Elle a cent trois ans. Mon maître, la Côte St André mais à quatre-vingt-dix il ne s’occupe plus du festival Berlioz.
J’aime toujours Maurice.
2 commentaires:
Un stylo en or! Un vrai stylo: le premier et en même temps un cahier avec les premiers vers et fleurs secs. Des souvenirs d'autre fois, comme on les vivait et ensuite de la dernière promenade:
un note mémorable, merci!
j'ai eu l'impression de vivre ces moments avec toi ou par toi meme
me revoici, courageuse, à lire et à laisser une trace, il faut dire que je reprends le plaisir de vadrouiller et de te rendre visite, d'où je t'attribue mes mercis d'or...
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