La TERRE ENCORE
Matin ronronnant.
Le vieux tracteur passe la terre sous les peupliers devant la maison au peigne fin. Je connais bien le vieux tractoriste. Je sais qu’il s’est levé ce matin, malgré les douleurs, les soucis, plein d’entrain pour ce nettoyage appliqué. La terre ici n’est plus dévolue qu’aux grands arbres à cagettes. Elle ne produit plus ni blé, ni tabac, ni pommes de terre, choux …ou guère. Elle n’a plus le temps. C’est plus rentable !
Quelques jardins plantureux mais pour les vrais agriculteurs (une dizaine tout au plus, le 3°/° national) productions standard : peupliers, maïs, herbages à bestiaux de boucherie. Cultures intensives, engrais intensifs, arrosage pris sur les nappes phréatiques, aspersions de phyto-sanitaires, travail intensif pour tenir les normes et les quotas, résister aux sautes d’humeur du 4 /40.
Cependant, prise dans la douceur du soir, j’ai dit à Pierre en nous promenant : « Qu’est-ce que j’aime voir la terre nue ! » La belle terre venue du Rhône ; nous sommes ici sur d’anciens lits, la belle terre labourée, hersée, avant les plantations qui la couvriront de couleur. En attente, prête pour la semence. Jeune fille à chaque printemps.
Je regrette, nostalgie vieillissante, qu’elle ne fasse plus guère de mariage de raison qui la fixerait au pays, à sa survivance, à son développement. Je regrette que la candidate n’ait guère parlé agriculture dans sa prestation. Bien sûr on ne reviendra pas à une agriculture vivrière, à mes enthousiasmes paysans revigorés par des lectures. Ce n’est pas tant l’ancien temps que je regrette que cette adéquation entre la terre et ceux qui s’en nourrissaient. On travaillait beaucoup, on mangeait à ce travail, on espérait en lui. On était responsable de la terre. De la manipuler avec ses bras, ses mains, on en entendait les raisons. On savait lui faire rendre raison.
Le village nourrissait son monde. Pas un jardin d’Eden non ! mais une vie avec un sens et de bons moments de satisfaction, de gourmandise et de fierté. Une place clairement assurée sous le soleil.
Avec « L’amélanchier » je viens encore boire à cette nostalgie.
« … des endroits qu’affectionnait mon père, autour de ce qui avait été des champs portant moisson de blé, d’avoine, de sarrasin, d’excellentes moissons, prétendait-il.
« Vois, Tinamer, comme la terre est bonne », et il la laissait couler entre ses doigts, toute noire et un peu poisseuse, comme si cette terre eût été la substance la plus précieuse au monde, un principe de vie ; il le faisait avec un air de bien-être et de délectation qui se mitigeait peu à peu de tristesse. Les murailles, constituées par les cailloux enlevés un à un, à la main, des planches de labour, restaient le monument d’une peine infinie, d’une peine à faire pleurer, disait-il, du moment qu’elle est devenue inutile. /…/
Il n’y a pas de murs de pierres, de cairns, ici dans ce pays d’eau. Le soin des ancêtres à protéger la terre se mesurait aux fossés et à leur entretien. Aujourd’hui un fossé sur deux est comblé, les tracteurs sont vigoureux pour récupérer la moindre langue de terre. Il n’y a plus de corvée collective pour entretenir les fossés. Mieux vaut les combler. Une digue protége, en principe, des inondations. Bref ! le paysage comme les mœurs ont changé.
« Il n’y a rien de plus beau, prétendait-il encore, que le travail de l’homme marié à la générosité de la terre maternelle.
Il disait encore :
- Tu verras Tinamer, quand ils auront tout bouzillé, tout gaspillé, Hérode, Ogou Feraille, Papa Boss et compagnie, tu verras, ils te feront manger du plancton et de la cellulose. »
Pour l’heure, je m’accommode encore, par chance familiale, de la salade et des patates nouvelles.
Dans le jardin d’ mon frère, les paniers sont remplis
Tous les oiseaux de monde ….
1 commentaires:
mille mercis pour ta visite Gelzy, il est vrai que je ne suis guère présente ces derniers temps, mais que de plaisir à revenir et à te lire aussi... Bon week end
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