Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

01 mars 2007

LE DESSOUS DES PAUPIERES


C’est en été qu’avaient commencé les paysages. Jacques lui avait tendu ses yeux comme un miroir pour ses alouettes. Elle était venue, fascinée, au bord du marais. Il y avait des rideaux d’arbres qui se faisaient, se défaisaient, au bord, dans, sur l’eau. Très doucement Jacques essayait de la ramener sur la rive. Sur la terre ferme.
Elle écrasa ses propres poings sur ses yeux fous. Ne rien voir, ne rien entendre. Il y avait déjà eu l’illusion des gouttes d’eau, ploc, ploc, qui tombaient de la voûte. Si les yeux maintenant s’en allaient aussi … Et pourtant ! Vers quelles beautés n’étaient-ils pas capables de monter, ces yeux, arrachés, libérés de la tête, points brillants dans le scintillement d’une abstraction totale.
Un jour elle parla de cette vieille hantise revenue : les yeux fermés, il n’y avait pas de nuit, pas d’immobilité, pas de silence. Le sommeil ne parvenait pas à s’installer dans cette brillance affolée de jaune, sépia, bleu, noir, vert … rouge et noir, noir gris, noir blanc … qu’après une longue, longue attente qui s’apaisait et retombait sur l’oreiller. Elle avait toujours eu envie, sans oser le demander aux autres, de savoir si leur nuit était comme la sienne, si la nuit n’était jamais noire, si elle ne serait jamais noire, seulement noire. Elle ne le regrettait pas vraiment. Il y avait tant à observer dans ce bal costumé ! Et le bourdonnement de l’air qui vibrait tout autour …
Elle ne fut guère satisfaite de l’anecdote sur Salvador Dali. Que ce bouffon joue aussi aux poings sur les yeux ne l’encourageait pas à accepter sa nuit colorée.
Il y avait eu la colère de Ferruchio. Leur approche tendue, douloureuse, attentive, yeux contre yeux. Sa blessure à l’épaule saillait, ses joues blanchissaient, s’étiraient. Ses yeux hurlaient, suppliaient, exigeaient : Je veux te connaître, j’ai peur, je n’ai pas peur de toi, je veux t’aider. Elle répondait, se sentant profondément calme, sans prononcer les mots jaillis du fond d’elle-même, Regarde encore ! Je ne suis pas un mystère. Je ne suis ni ta mère, ni ton institutrice. Je suis … et puis, tout à coup, ces yeux d’homme devinrent des billes de verre à paysage. Peut-être à cause d’un rai de lumière qui arriva de derrière la fenêtre. Elle lutta de toutes ses forces. Elle ne voulait pas, plus d’arbres, plus de marais. Elle laissa précipitamment le regard, vacilla de droite à gauche ; les yeux tournaient, viraient, les larmes coulaient. Face à elle Ferruchio ne la quittait pas, suivait l’oscillation et ils réunirent leurs yeux dans le doux apaisement d’un sourire.
On avait fait deux longs voyages.
On en reparla. Il y eut la colère, les poings serrés, prêts à frapper, la blessure horrible, l’accent italien qui martelait « Je ne suis pas un autre. Je veux que tu me regardes moi. Tu me fais mal »
Il avait raison bien sûr. Mais cela ne permettait pas, dans l’immédiat, de voir les yeux de l’ombre.

2 commentaires:

Anonymous Anonyme a dit...

Sont beaux tes textes. Très beaux même. Mais pour qui lit sur écran, ça fait comme des fois chez moi : un peu long pour un blog quand on veut en suivre plusieurs tous les jours.
C'est un choix. Tu ne vois que les courageux, ou ceux qui t'aime, et ça n'est pas plus mal

jeudi, 01 mars, 2007  
Blogger David a dit...

merci pour la hantise de toutes sortes...

vendredi, 02 mars, 2007  

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