Mots et couleurs

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03 février 2007

LES CHANSONS QUE JE FAIS 15


Comme beaucoup de mots, « Chanson » est à double sens : côté pile, vie en musique, sincérité de l’expression du sujet chantant. Côté face (à moins que ce ne soit l’inverse !) : billevesées, sornettes … Arrête tes chansons ! Chansons que tout cela !
Immanquablement la duplicité de la chanson m’apparaît quand je désespère, quand je ne vois plus clair. Ce n’est pas la chanson triste qui m’affecte, non ! Celle-ci serait plutôt capable de nier ou de faire passer la douleur. Chanter la mort, même la mort dans l’âme, c’est être vivant.
Quand M est morte, je n’ai pu qu’hurler, puis la chanson que j’avais faite la dernière fois où je la vis revint me chercher, me tira vers la montagne, me fit cueillir des fleurs, prier …
J’ai pu douter du droit que j’avais eu en la composant, comme si j’avais été manipulée par mes affects, comme si j’avais une responsabilité dans cette mort que je pressentais si fort.
Tu t’en vas
Sauf que tu sais pas où
Sauf que tu sais pas quoi
Tu fais la malle
Sauf que la malle est vide
Qu’il n’y a plus rien dedans
T’as tout largué
T’as mis les voiles
Tout l’monde s’en fout
Tu quittes
Tu t’en vas
En même temps la chanson me soutenait pour accepter. Le soir même des funérailles je devais assurer un spectacle prévu. Seule. Je dormis beaucoup avant, lourdement, complètement. Une coupure totale dans le présent et le soir je fus présente à ce que je disais, forte sans efforts pour improviser, plaisanter. La nécessité d’être en représentation pour ceux qui étaient venus, dont certains connaissaient la mort de M, suppléait à mes défaillances de mémoire ou d’énergie. Comme si la chanson prémonitoire avait tapissé les angles, calfeutré la culpabilité. Par avance. Maintenant elle était là, proche et discrète, veillant à ce qui était urgence de vivre et de chanter.

Une autre chanson m’était venue, en pédalant sur une route, jusqu’à plus mal. De celle-ci je n’ai rien retenu. Mais je me souviens très clairement du lieu où j’étais à bicyclette, envahie par l’imminence de la mort de ma sœur. Je pleurais, je pédalais aveuglément et … je chantais.

Je ne connaissais pas les musiques de Marie Noël sur ses textes appelés Chansons. Je croyais que c’était une expression habituelle pour dire simplement « poème » comme chez Verlaine, comme la chanson du mal-aimé etc … Or cette année seulement j’ai eu la partition d’une de ces chansons. Marie Noël est bien compositeur autant que parolière. De même, je ne voyais en elle qu’une aimable bigote, disant subtilement la foi, l’amour et la charité. Mais cette chanson que m’a fournie mon amie Solange s’appelle « Hurlement ». Elle hurle la douleur d’une mère (que M N ne fut pas mais elle connut la douleur de sa mère perdant un enfant)
« Que me veut-on ?
Que j’aille et prie
Quand vient le soir
Leur Dieu, leurs Saints et leur Marie
Pour te revoir ?
C’est contre eux tous que mon sang crie
De désespoir
Ces loups du ciel, voleurs de vie »

Tant de chansons, dans les tranchées, dans les camps, ont aidé à tenir … à piocher …
Un chant de Marie Noël se termine par
« Je pleure ... Tout est bien. »
De cette acceptation de l’innommable, de l’inconcevable, pourrai-je déduire
« Je chante ... Tout est bien » ?

1 commentaires:

Blogger David a dit...

Beautiful, Gelzy.

samedi, 03 février, 2007  

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