Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

24 janvier 2007

LES CHANSONS QUE JE FAIS 5

Sur la neige épaisse ce matin mais sur le bruit pétaradant de la tondeuse à neige s’installe dès le réveil ce projet de m’expliquer ma chance aux chansons. Le démarrage m’est donné par le mot d’Aben « je chantais, minot, à la fin des repas » Le « minot » qu’il était, le petiot qui avalait tout goulûment ce que la vie lui montrait d’attrayant, c’est bien ce frérot d’enfance que j’avais détecté tant dans le vocabulaire que dans les souvenirs. Aussi c’est pour Aben en premier que je vais évoquer ce creuset de ma « vocation » !



La longue table familiale de la salle à manger a été équipée de toutes ses rallonges + la table de la chambre des parents qui n’est pas petite non plus. Sont venus, selon l’occasion, les voisins, les cousins … Le repas copieux est terminé, Maman va pouvoir revenir de la cuisine, s’asseoir. La vaisselle attendra. Je bous d’impatience. Allez ! Arrêtez les parlottes ! On n’a pas que ça à faire ! Il faut chanter.
Chanter ! La pause dans une vie bien remplie, toujours occupée au travail : les bêtes à soigner, les récoltes, la maison à entretenir. On fait tout soi-même à cette époque. La famille est une entreprise à gagner sa vie. Mais une fois que le pari est tenu, qu’on a le ventre plein, on peut chanter, non ? Papa se lève, repousse la chaise contre la table et les blés d’or viennent se coucher sous le vent de sa belle voix. Il est entendu que Papa « chante bien ». Naturellement, puissamment, amoureusement, comme il vide son verre de vin … Lyrisme des mots bon marché qui glorifie la belle vie saine paysanne et puis, immanquablement, goualante des pauvres gens. La lune nous regarde mais sa lumière, n’en doutons pas, est blafarde et les pauvres femmes qui s’y laissent brûler dans l’enfer des villes ne pourront plus la regarder en face. La mort, la pauvreté, la déchéance : tout y passe à côté des grands boeufs de nos étables.
Les uns après les autres, dignes rejetons de notre père, nous repoussons la chaise en gestuelle de chanteur d’opéra. « Allez Gie monte sur la chaise ! » Moi, la petite, grimpe alors sur la scène, là où je pourrais être mieux vue, là où ils veulent que je me montre. Et j’exulte. En renouvelant l’acrobatie je ne cherche aujourd’hui qu’à retrouver cette éminente position sociale et familiale.
Mon succès est très franc dans les années 45 quand, enrôlée par mon parrain dans les rangs des partisans, j’affirme :
« La DCA tire mais ne touche rien
Les Boches se retirent
Comme des petits lapins … »
Car notre chanson est patriote. Elle véhicule nos intérêts, nos conditionnements, nos espérances … Elle tend déjà la trame de mes chansons futures.
« l’printemps, les fleurs, les p’tits oiseaux, l’amour
Voilà ce que toujours l’on chan an an te
… Voilà ce qu’on chante … TOUJOU OU OU RS !
Ah qu’elle est magnifique l’affirmation finale, l’insistance de fin de refrain, la pose de la voix qui se grise de son chant sur la dernière syllabe. C’est qu’il s’agit de démontrer qu’on a « du coffre » ! Comme le papa !

« Vieux poète, oiseleur, tends-moi comme un filet
Ta mémoire, et prends-moi ces belles que j’écoute.
Retiens dedans surtout ce brin de mot follet
Qui danse au bord mouvant de ma pensée en route. »

Le poète, l’oiseleur du poème de Marie Noël, je n’ai pas à m’interroger sur son identité. C’est Le papa, notre Papa, le Phonse, bien sûr. Cependant quand Claire, récemment, m’a suggéré d’inclure ma chanson sur mon père dans le spectacle de plein air que nous préparons je lui ai aussitôt répondu « oh non ! j’peux pas ! » Je ne peux chanter cette chanson-là que dans le huis clos d’une salle et la distance que crée la scène. C’est déjà beau que ma voix ne se casse pas à la fin.

Pas la chanter en plein air, non ! mais avec vous, mes amis de tablée, murmurer son premier couplet

Il avait des yeux outremer
Je passais outre à sa colère
Et j’en bus toute l’eau salée
Il avait le cœur outre ciel
J’y plongeais mes deux mains pareilles
Entre les doigts le fit couler
Comme du lait …

3 commentaires:

Blogger marie.l a dit...

chantons donc ! j'en suis !

mercredi, 24 janvier, 2007  
Blogger David a dit...

une chaise d'honneur pour Gie!

mercredi, 24 janvier, 2007  
Blogger julie70 a dit...

mon père chantait aussi, au repas festives, et nous le suivions dans les reflets, en certains pays on continue encore d'ailleurs ainsi,

que tu décrit bien! on te vois petite là et en exultant, d'ailleurs, tu exultent encore en chantant à chaque fois, tu t'illumine de l'intérieur

mercredi, 24 janvier, 2007  

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