Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

04 mars 2006

"CHERS PARENTS"

Chers Parents, (Bis)
Le livre d’André Thiennot continue de me travailler au corps. Je crois que c’est lui qui provoque des remontées de passé pas seulement dans les faits mais dans les états mentaux. Cette nuit, en rêve, j’ai retrouvé l’angoisse du premier jour en classe, cette fois-ci j’étais prof, j’aurais dû être à la retraite mais il me fallait affronter de grands, d’immenses galapiats et fillasses,( vous avez remarqué comme ils grandissent nos petits !) je ne savais même pas ce que j’allais leur enseigner, si c’étaient des quatrième ou des seconde, mais il me fallait y aller … J’ai commencé par leur demander leur nom (feuille 21/27 coupée en deux et verticale) et quand j’ai écrit le mien au tableau il s’échappait, un o manquait, j’avais oublié la suite … BRR …
C’est intéressant un livre qui joue sur soi comme marteau sur l’enclume. Faire gaffe cependant que le marteau ne glisse et, au lieu d’affûter la lame, ne tombe sur mes pieds !

Février 1956 ; Le grand froid, « sous terre c’est gelé profond » et les WC, les lavabos à la caserne sont bouchés .

Souvenir de gerçures et détresse : Mon oncle Félicien est mort. Bien que je le sache hospitalisé la nouvelle m’atteint rudement. Mon imposante directrice d’Ecole Normale m’autorise à partir pour l’enterrement. Les rues sont verglacées, je rejoins à pied la gare de Grenoble. De train en car j’arrive aux Avenières. Il fait très froid. Valise en main et pieds glacés j’entreprends de couvrir à pince les 6 Km qui me séparent de la maison. Pas question de téléphoner, de prendre un taxi. Comme la route est longue ! La nuit tombe. Comme je suis petite et désemparée sur cette route ! Qu’est-ce que c’est que la mort ? C’est la première fois qu’elle me touche de si près. Le tonton. J’ai dit à ma directrice qu’il était « comme un père » pour moi. Jolie formule ! Mais qu’est-ce que je sais des liens et des ruptures ?

P66 « ça manque de réserve de vous raconter ça, Modeste n’est pas mon cousin » et André de relever les (bons) commentaires de ses chefs qu’il a surpris dans le bureau du lieutenant.

Quel plaisir d’être immodeste pour la famille ! D’où nous arrivons nous avons toujours le complexe de nos insignifiances collé à nos godillots. Toujours besoin d’être rassurés sur nos aptitudes. Et l’opinion d’un chef ça compte ! Mon père se disait « anar » mais il fallait le voir se rengorger quand nous lui ramenions de bonnes notes, de bonnes appréciations, de bons « classements». Les anecdotes sur ce qui nous arrivait faisaient le tour de la famille, du quartier. Par ces quelques mots flatteurs posés en évidence sur un « papier » était rendue visible notre appartenance au clan des meilleurs, ceux qui font la bonne société, ceux qui « réussissent », les « travailleurs » « intelligents » « en progrès » Même nos défauts soulignés gentiment ou ironiquement ( mon bavardage impénitent, la « faible constitution » d’André, il corrige aussitôt « mes dents, mes angines », servaient à ce qu’on parle de nous. Depuis des générations nous n’étions que des « taiseux » ; nous entrions par la grande porte chez « les gradés », « les instruits », les « capables » …
La laïque pour moi, l’Armée pour mes frères, nous faisaient confiance pour nous monter « plus haut » « plus loin » (celui-là il ira loin !) ou tout simplement pour nous « tirer de devant », nous permettre de « s’en sortir ». Parfois, fugitivement, on flairait l’arnaque. Mais globalement nous étions très reconnaissants à ce regard promotionnel jeté sur nous.

Le livre d’André dans son authenticité (seulement quelques notes aujourd’hui pour des précisions), l’évidence d’un jeune homme qui s’adresse en toute franchise à sa famille, est irremplaçable pour qui dans l’Histoire avec le grand H ( ou LA grande …) cherche le plus justement possible quelle fut la place de son histoire. C’est le genre de livre qui me fait monter les larmes aux yeux

2 commentaires:

Blogger Julie Kertesz - me - moi - jk a dit...

Il existe une telle richesse dans ce livre, j'ai vécu longtemps avec et je vais recommencer encore et encore.

samedi, 04 mars, 2006  
Anonymous Anonyme a dit...

Comment j'ai pu passer chez toi tant de fois en sautant par dessus une note pareillle. Pour le coup, je te garantis de croire que c'est moi le plus ému.
Je t'embrasse
PS : je me permettrai de mettre ton dernier pragraphe dans le "COURRIER DES LECTEURS" d'Intoxinfo demain.
Encore merci

jeudi, 09 mars, 2006  

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]

<< Accueil