Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

07 avril 2011

Le vase



un texte comme un vase ... qu'on prend dans ses mains, dont on absorbe les courbes, que l'on veut fleurir tant il vous paraît assorti à l'instant, à la justesse de la situation extérieure ( les guerres, les conflits ...)
un vase à protéger comme la lumière de la journée qui tombe sur les fleurs, sur les écrits, sur les paroles ...


LE VASE

Une main terrible est intervenue brusquement sur la terre : celle d'un échange unique qui n'a d'autre fin que sa prise, qui n'a d'autre moyen que la pression qu'il exerce, qui n'a d'autre rythme que la monotonie de son accroissement. Cette main a imposé sa concorde ; c'est celle d'une indulgence despotique. Elle a le son vert et neuf d'un dollar qui craque - et dont le crissement cherche a surmonter la voix des langues. Des marchands s'adressent pour la première fois à 1'entièreté du marché qu'ils sont parvenus a façonner. Cette ultime invasion les excite mais aussi elle les borne par 1'unite où elle les assujettit. Leur intérêt consiste à vendre ce qui se fabrique au meilleur prix a tous c'est-a-dire au genre humain. Ils fomentent des révolutions dans les derniers empires dans le dessein d'en franchir les frontieres. Ils s'appuient sur la terreur pour vendre la paix. En un seui instant ils soumettent au désir de 1'espèce un unique objet dont la durée passe rarement la journée de son acquisition. Cet objet est si friable qu'il est presque une image de lui-même. C'est un vase pris dans une basilique près de Soissons par exemple, couvert d'or, et qu'on brise. Malheur à qui ne travaillerait pas à s'empresser autour de cette richesse qui brille aux yeux de tous et à 1'étendre. Malheur à celui qui a connu 1'invisible et les lettres, les ombres des anciens, le silence, la vie secrète, le règne inutile des arts inutiles, 1'individualité et 1'amour, le temps et les plaisirs, la nature et la joie, qui ne sont rien de ce qui s'échange et qui constituent la part obscure de la marchandise. Chaque œuvre d'art peut se définir: ce qui électrocute cette lumière. Chaque phrase dès 1'instant où elle est écrite peut se définir : ce qui fait sauter l'écran ou se montre le visage de plus en plus vague d'une classe unique d'animaux vivipares fascinés. Le destin de ceux qui usent du langage n'a pas toujours été 1'hypnose.
PACAL QUIGNARD LES OMBRES ERRANTES (2002)

1 commentaires:

Blogger Solange a dit...

C'est un très beau texte.

vendredi, 08 avril, 2011  

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