Mots et couleurs

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24 mars 2011

LA glace 3


“Glace de la famille, dis-moi qui je suis ! ”
Fille à ma mère, mère à mes filles, et quelquefois l’inverse, mère à ma mère, fille à mes filles ?
Femme sans aucun doute, essentiellement et jusqu’au dernier souffle. Maintenant que les glaces ne servent plus à vérifier que la vie s’arrêtera, maintenant que le dernier souffle est vérifié par des techniciens puisqu'il s'arrête en hôpital, je garde pour cette glace-ci une tendresse semblable à celle qui présida à son achat.
Aujourd’hui où je l’ai sortie de ses mémoires elle continue à me dire, dans le cadre de l’ordinateur où elle me voit écrire :
“ Regarde-toi donc dans la glace ! ”
et je m’amuse de ses clins d’œil.

Je lui réponds :
Mais je ne cherche rien d'autre. Tu sais bien que je m'interroge beaucoup plus sur moi-même que sur mes images publiques, beaucoup plus pour me plaire que pour me renier et davantage parce que tu me viens de ma mère et que tu l'as regardée, elle, la tendre Marcelle née en 1903, que parce que tu as bientôt un siècle.*
Tu es maintenant à Saint-Nizier, dans notre chambre, posée sur la commode. Un des rares témoins qui me viennent de si loin.

De ma tante Elisa, jamais connue, je tiens donc une glace qu’elle n’a pas eu le temps d’user ni même de tenir entre ses mains. Je tiens aussi un cahier de chansons commencé à La Ginon, à six heures du soir, le 26 novembre 1919, commencé donc avec ma mère qui avait alors 16 ans. “ Fini le 2 décembre 1919 à 9 heures 25 du soir ”. J’ai trouvé le cahier après la mort de Marcelle dans les quelques trésors de l’armoire, preuve qu’il l’avait suivi toute sa vie.
Sur la première page s’inscrit le quatrain suivant :

Mademoiselle Elisa Moyroud
Route d’Evieu à Morestel
Sans contours ni débrions
Vers le pont.

Ce qu’elles ont dû rire toutes deux en inscrivant cette préface !
Un débrion c’est un contour, en patois, donc plus qu’un contour, un tournant de Chez Nous, un virage en plaisanterie, un croc-en-jambe au chemin, une cabriole, une galipette !
Suivent les chansons : Les femmes des mobilisés, Margot la blonde, La dentellière de Bayeux, Sous les rosiers ... Des pages manquent. La table des matières porte en 11 le nom de la chanson “ Marcelle ” Quel dommage qu’elle ait disparu !
Quel tardif reflet dans la glace !

* écrit en 1993

1 commentaires:

Blogger Solange a dit...

Comme on aimerait savoir l'histoire de ces pages disparues.

jeudi, 24 mars, 2011  

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