CHERE JACQUELINE
Chère Jacqueline de Romilly
Je regarde votre regard si doux, si bienveillant et je me sens encouragée à cette écriture dans la nuit qui me soustrait à l’insomnie morose pour en faire une aube volontaire.
Oui, chaque fois que » je prends la plume pour écrire » - formule strictement interdite dans une rédaction scolaire ou toute tentative épistolaire – je m’allège les épaules, je chasse mes nuages.
Votre bouquet de « ROSES DE LA SOLITUDE » j’ai plaisir à le respirer, comme un premier parfum quand on sort dans le jardin au matin.
Vous parlez de vous comme d’une « vieille dame ». J’en suis une aussi. Non parce que je suis en train de passer la barrière des Soixante-dix ans mais parce que je sens ce que vous appelez « les infirmités de l’âge » se rapprocher de moi au point de me toucher aux yeux, aux épaules, dans le bassin. Pourtant – c’est drôle, vraiment drôle !- je sens aussi, parallèlement les grâces de l’âge tenter de m’aborder. Un certain sourire devant la ligne commencée, là, sur la table de la cuisine, à côté de la tisane, votre livre sous mon cahier, ma bouillotte en bas des reins calée contre le dossier de la chaise.
En fait, ma plume est un crayon, un stylomine, ma plume pour écrire, m’écrire autant qu’à vous… il court, il court vite … à son contact ma main retrouve des célérités, des allégresses de petite fille qui joue à la balle.
C’est à cause de vos nouveaux rideaux que je vous écris. Les miens, roses, que j’ai cousus, fixés moi-même et n’en suis pas peu fière, m’invitent très tendrement à me rapprocher de votre chez-vous : l’écriture close sur elle-même. L’écriture à papillons multicolores de la pensée. Car, je ne sais pas si je pense en écrivant mais ce va et vient du crayon gris sur le blanc de la page joint à la bonne chaleur de la bouillotte et de la tisane, me donne tant de bien-être que ma tête chercheuse s’en apaise.
Vous avez donc autorisé des rideaux neufs à votre grand âge. Et de la joie qui en découle je déduis que moi aussi je peux m’accorder bien des privilèges de l’âge. Il n’est jamais trop tard pour bien faire ! j’entends rire ma mère à l’énoncé de ce principe si conventionnel. Et nous faisons donc BIEN chaque fois que nous écoutons le rire prendre possession de nos neurones.
Je fixe un instant sur votre photo en couverture votre collier de perles. Moi aussi j’en ai un semblable. Il y a bien longtemps que je ne l’ai porté. Demain – promis !- je le passe à mon cou … Demain je passe aussi une bague. Je reprends demain mes bijoux ! il me vient une envie de gros cabochon comme le vôtre. Théoriquement il serait bon que Demain soit préparé par une bonne nuit de sommeil mais puisque mes yeux ne veulent pas s’éteindre n’est-il pas aussi profitable pendant qu’ils me servent encore de les laisser surveiller les cabrioles du crayon …
Cabrioles … Cabri … Cabochon … tête de mule.
A la chasse aux mots, à leur cheminement secret dans nos artères, à leur histoire toujours à élucider et à recommencer, que de plaisir à glaner !
J’aperçois dans la liste de vos ouvrages « DANS LE JARDIN DES MOTS » là aussi il faudra que j’aille me promener demain …
Chère Jacqueline de Romilly Merci, merci beaucoup pour le visage souriant à la nuit. Merci pour les bijoux de parure et de parade et Merci pour les mots cousus main qui donnent aux rideaux du temps si tranquille assurance et si belle prestance.
Si douce souvenance du clair pays de mon enfance …
Par la porte de minuit, du 20 Mars au 21
1 commentaires:
très beau texte,tu devrais le lui envoyer,j'ai bien aimé ta définition du bien,nous faisons bien chaque fois que nous rions,voilà qui est simple,je t'embrasse
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