RHONE( SUITE)
Aujourd’hui, près de l’eau, j’évoque en quelques mots pour Anne et Patrice, les bateaux chargés de bois qui apportaient des îles jusqu’à la berge la coupe de l’hiver. Je n’en ai qu’une vision abstraite soutenue par quelques mots – l’harpie, le courant, les tourbillons, le Rhône est traître – Je n’ai jamais vu mon père en capitaine, dirigeant la traversée avec les frères Togo. J’ai entendu le récit, en fin de dîner de cochon, entre deux coups de gnole, de ces bagarres épiques contre le fleuve car, seules, les hautes eaux permettaient ce travail. Le risque accepté. A la maison les femmes, toujours elles, « se font bien du souci » « du mauvais sang ». Elle piaillent un peu plus après les gônes ces jours-là, elles disent « le papa » avec plus de mollesse dans la voix et puis, j’imagine, le soir où les trouvères racontent leurs exploits, elles se taisent. Elles seules savent que leur Charlemagne, le soir du grand combat, était bien pâle, se mit au lit au plus vite en les pressant d’en faire autant, frissonna brusquement et s’endormit en les serrant un peu plus fort.
Je quitte les enfants – quand donc perdrais-je l’habitude de les appeler ainsi !- Ils font demi-tour, concentrant une amoureuse attention aux pissenlits de la peupleraie. Aubépines en préparatifs de première communion …
« Ce pays, nous n’avons pas fini de le découvrir ! » Homme venu d’ailleurs, neuf, tendre, subtil, modeste, homme de sympathie, je te salue Aïn, au-delà des nuages. Plus loin, ton île. Peut-être es-tu là-bas qui regardes aussi. Je me suis élevée d’un mètre environ dans la fourche d’un arbre qui lance trois troncs à l’oblique autour de moi. J’entre en Rhône. Je ne sais où donner de la tête. Je ferme les yeux pour mieux entendre les oiseaux et c’est le vent qui siffle dans mes oreilles et l’oiseau juste au-dessus de ma tête descelle mes paupières.Il s’envole Frrrt … pour se poser sur une branche extrême qu’il fait plier, se balancer, s’arrêter, s’extasier … Puis s’envole plus loin. Le toupet de l’arbre très doucement caresse le ciel. Le soleil me chauffe. A droite, l’eau, au travers du lacis des branches, à gauche les champs ennoyés. La trace qui se perdait se retrouve entre deux eaux, épaisseur du fleuve dans son lit et mares tranquilles sur le blé et les « cutères » fraîchement retournées. Ce petit sentier philosophique qui demeure à pied sec et permet, contre toute vraisemblance l’approche de tout cela. Je sais que ce bonheur n’est pas allégorique. Je sens que je suis bien, tous mes sens déployés, ardents, vivaces. Je sais que ma tête repose. Et si je mets des mots, maintenant, après, entre cette quiétude et la page, ce n’est pas pour revivre (j’en connais l’impossible) mais j’ai besoin de dire, ne serait-ce qu’à moi : Alléluia ! Alléluia !
Je suis un arbre immense. Quand j’ai sifflé toutes sortes de trilles sont venues à mes lèvres. Parfois j’imitais les oiseaux, parfois j’inventais des musiques. Une fois, je le jure, l’un d’eux m’a répondu.
Je suis rentrée d’un bon pas. Sans fatigue, sans hâte, en prenant bien le temps de revenir dans mon ordinaire, plus unies Elle et Moi, depuis cette fusion dans l’heure et le soleil.
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