Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

30 juillet 2005

après l'orage

Ce matin il fait frais. L’orage d’hier soir a redressé les maïs, toutes les plantes.
Lui, non ! La pluie ne signifie que travail urgent dans les terres. Ses terres. J’ai garé mon vélo contre la clôture de sa cour, vérifié qu’il n’était ni derrière ni devant la maison, volets et fenêtres closes. Il est donc « dans les terres ». La terre ici ne signifie ni la planète ni le noble élément. Seulement la matière première des cultures. On dit « la terre de Triel », « la terre de Payerne », « Il est à la terre du Champ-La-Croix » …
Je l’aperçois qui arrive à pied par le chemin. Courbé, dépoitraillé tant il a chaud. Un vieillard de soixante-quinze ans. A mots hachés, il m’explique : sa voiture tombée en panne, son retour par le travers des champs de maïs, des ronces. Le bas de son pantalon mouillé, griffé, est suffisamment éloquent pour deviner qu’il rentre de la guerre. La guerre contre le temps et les mauvaises herbes, « la maladie » des plantes, contre la retraite des vieux et son inutilité. Oppressé, les traits tirés, cassé par l’effort et l’énervement (le mot stress lui est étranger), il se lamente contre lui-même, coupable de négligence, de malchance, coupable de manque de forces. J’essaie de lui courir un peu après pour le calmer, l’engager à s’arrêter pour se reprendre, boire un coup … Il n’entend rien. Il va « traiter » ses pommiers. Le tracteur et sa remorque de produits à pulvériser sont prêts. Il ne rentrera pas avant une heure. Il ne sera pas là pour réceptionner le panier du repas qu’on lui livre à domicile depuis le départ de sa femme.Tant pis ! Il sautera un repas. Il s’allongera sur le lit comme une masse. Il n'oubliera pas de prendre ses médicaments. Les terres ont besoin de lui. Coupable de les avoir abandonnées pour se soigner après que, fou de douleur, d’incompréhension, il eut tenté de quitter définitivement la scène.
Je ne peux rien lui dire. II ne m’écoute pas. Sur son rail de travail, de devoir, de refus de la réalité de son âge, il va, il va, il continuera sans changer la direction. Jusqu’à tomber d’épuisement. Et il ne sert à rien, ni pour lui, ni pour moi, d’avoir si mal de le regarder s’éloigner, cassé à demi par l’orage …

1 commentaires:

Blogger Julie Kertesz - me - moi - jk a dit...

Oh, que tu sais écrire!
Je suis tellement heureuse que tu t'es mise à les publier aussi.

samedi, 30 juillet, 2005  

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