Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

16 juillet 2005

carte trouvée 16-7

J4
Il est gris, terne, éteint, vide. Il le sait. Il le sent.
Mais ça va changer. Il veut que ça change. Il ne sait pas comment. Il veut.
Plus de direction au hasard. Plus de plante verte pour se cacher.
Demain, aujourd’hui même. Et d’abord se rendre à la grande pharmacie centrale, là où il a acheté les verres doseurs et la pipette, il demandera conseil pour mal qui cuit le coin des lèvres et qui empêche les mots de passer.

Nady a une soixantaine florissante. Elle aime toutes les fleurs, en pots, en jardinière, en bouquets, dans les prés et sur les talus. Même séchées. Elle aime les fleurs tout court. Elle les adore.
Des fleurs elle en a plein avec elle, tout le temps : en cartes postales, en projets, dans des sachets de graines. Depuis peu en aquarelle. Parfaitement ! Elle peint les fleurs.
Ici, à Allevard elle est gâtée avec elles. Quand d’autres font la sieste elle s’installe dans sa chambre devant le bouquet du jour oh ! un petit bouquet dans le verre à dents et elle attrape les fleurs par leurs couleurs. Elle les pose à plat sur la table, ses yeux naviguent du vertical à l’horizontal en s’efforçant de garder la chaleur que les couleurs lui renvoient. La forme importe moins que la couleur. La forme n’est pas très difficile à saisir : un ovale un pétale, un trait une étamine, un rond un cœur.
Les bouquets elle les collectionne ainsi dans son album quand il sont fanés. Elle n’a pas encore osé les montrer. Elle se demande parfois si ce n’est pas pêcher d’accorder tant d’importance à de simples fleurs des champs. Les fleurs ne demandent rien, n’ont besoin de rien. Même pas d’elle. La découverte merveilleuse cette année est de se sentir si bien dans ce tête à tête silencieux avce les fleurs.
Elle se dit, qu’après tout, c’est aussi prier le Bon Dieu que de rien dire en recevant des fleurs cette pitchenaude de couleur, là entre les deux yeux. Comme le baume du tigre quand elle a mal à la tête. Ça lui arrive de temps en temps.
Elle ne se dit pas expressément tout cela. Nady n’a pas de longs questionnements de conscience. Un fonctionnement bien rôdé, ponctuel qui lui assure tous les jours que Dieu fait un pas rapide (mais non pressé), une parole rapide (mais non volubile), un appétit immédiat devant
l’assiette servie ( mais non une goinfrerie déplacée)
Nady est placée, bien placée pour le savoir : la vie est une chance. Elle honore cette chance chaque jour en ne gaspillant rien à tort et à travers. Chaque rencontre même fugitive, chaque trouvaille même cochonne …
Elle parle aux morts, à ses parents, à son petit frère qu’elle n’a pas connu, à Paul son mari français qui ne lui a jamais reproché son accent espagnol au contraire, qui en était fier. Paul lui a laissé en Picardie une petite maison avec un petit balcon, un petit jardin facile d’entretien. S’ils avaient eu des enfants elle aurait été trop petite mais Dieu ne l’a pas voulu …
Elle dit seulement Merci au Seigneur chaque matin et plusieurs fois dans la journée. Elle n’a rien à lui demander. Tout ce qu’il lui donne est pain bénit. Chaque rencontre même fugitive, chaque trouvaille même un peu cochonne. Elle ne sollicite sa protection que pour les autres. La vieille dame si jeune d’esprit qui sait très bien tenir la pipette maintenant sans s’étouffer. L’encore jeune homme déjà vieux et déchiré aux coins des lèvres. Les deux pauvres ballots de la carte qui pourraient tout de même la mettre sous enveloppe et l’envoyer eux-mêmes !
Elle ne demande rien pour Emilienne. Emilienne a quatre-vingt six ans. Dieu fasse que j’arrive à cet âge en aussi bonne forme qu’Emilienne ! Elle se passionne pour gagner et Dame ! quand je suis un peu distraite, ce que je veux bien être pour lui faire plaisir, elle se réjouit si fort de mes incompétences en français. Elle se précipite pour m’en donner la preuve sur son dictionnaire électronique qu’elle manipule malgré ses doigts enflés avec une surprenante dextérité.
Son accent que quarante-deux ans cette année de séjour en France lui a laissé, Nady l’aime aussi ; elle ne sait pas si elle le garde par une coquetterie muy maravillosa, par défaut congénital des cordes vocales, ou par cadeau de Dieu comme tout le reste. Grâce à lui, grâce à ces roucoulades de fond de gorge, Paul est allé jusqu’à l’épouser. Et pourtant ce n’était pas facile avec la maman qu’il avait ! Son petit nom de Nady c’est lui aussi qui le lui a laissé en partant. A la pension Notre-Dame tout le monde la connaît sous ce prénom et la salue aimablement. Le prononcer c’est comme si on recevait un rayon de soleil. Personne ne s’en prive.
On l’aime bien. Elle le sait. Elle le sent. Demain elle ira marcher avec le groupe de 15 heures. Au menu : Au dessus d’Allevard. Il n’y a pas besoin de s’inscrire. Devant l’office à 15 heures. Entendu ! Elle y sera. Elle a envie d’une compagnie un peu différente de celle de la pension Notre-dame. Un peu plus masculine peut-être. Elle a envie de pas un peu dirigés, commentés. En plus c’est gratuit !
Elle n’est pas de ces bigotes vieilles qui arrivent à Jésus quand elles n’ont plus aucune chance de Pierre, Jean, Etienne, Marcel ….

J5
Il était en avance devant l’Office du Tourisme. Très en avance. Il avait pris un bâton pour la ballade : une canne de berger achetée au magasin de souvenirs. Ce n’est pas qu’il ait besoin de s’appuyer sur quoi que ce soit, ni qui que ce soit, d’ailleurs il a toujours été solide sur ses jambes, pas comme ces vieux, mais une canne ouvragée, on ne sait jamais, ça peut servir. Et puis il avait envie de marquer le coup !
Le guide est arrivé à moins deux. Un jeune. Il l’a déjà vu. Il a l’air sympa mais ne nous y fions pas ! Il y a aussi deux couples, trois femmes copines entre elles qui jacassent déjà. Bon ! dit le guide, on va attendre cinq minutes.
A Trois heures pile, elle est arrivée. En jupe courte, au-dessus du genou, comme d’habitude. Elle au moins ne se déguise pas en sportive pour une petite ballade de rien du tout, au dessus d’Allevard. Puis un homme avec un chien. Allons bon ! Si les chiens sont autorisés maintenant !

En route !
On prend la petite route à gauche de la gendarmerie qui monte vers la tour du Treuil . Le guide marche à reculons pour leur parler, leur expliquer. De temps en temps on s’arrête à l’ombre. Il raconte. Lui n’écoute pas tellement. Elle l’a salué comme une vieille connaissance. Elle a même dit « Vous allez bien ? » Il a dit oui, mais n’a pas su quoi répondre. Elle marche sur les talons du guide, enfin ! plutôt sur les pointes de pieds puisque le guide est toujours tourné vers eux. ça doit le fatiguer à la fin mais non ! il a l’habitude. Il dit qu’il a l’habitude. Il est aussi guide en hiver, moniteur. Il parle bien mais il écoute aussi. Elle pose plein de questions. Elle a l’air de s’y connaître en plantes. Elle pose même des colles au guide. Ils rient. De temps en temps elle ramasse une fleur. Oui celle-ci, les campanules, les géraniums sauvages, on peut les ramasser. Elle fait admirer les fleurs des jardins « oh ! regardez ! » une fois c’est des pivoines, une fois c’est des roses … Il faut dire qu’il y en a partout même en s’éloignant du village vers les hameaux.
Lui marche un peu en arrière, pas trop pour ne pas les perdre. Il aimerait avoir un de ces petits appareils-photos modernes. Ça a l’air très facile. Un des vieux fait sans arrêt clic dès que sa femme lui signale ce qu’il faut photographier « Oh regarde le Gleyzin ! Prends la photo ! » le temps qu’il s’installe pour prendre la photo, et il prend son temps pour ça oui il prend bien son temps, « Attends ! je mets le zoom ! »la femme se tourne vers autre chose, n’importe quoi et recommence « oh regarde ! un papillon ! allez ! Mets le zoom ! » Ils commencent à nous embêter ces deux-là. Mais elle, elle est toujours patiente ! Elle dit « Vous avez vu l’orchis blanche ! « Attention, espèce protégée » dit le guide « mais bien sûr, je le sais ! » Petit à petit le bouquet grossit dans sa main. Il a toujours trouvé ridicule de ramasser des fleurs qui seront tout de suite fanée en arrivant. Mais elle a tout prévu. Elle emmaillotte un chiffon mouillé autour des queues pour les maintenir fraîches.
- Vous voulez que je les tienne ?
Pour attraper les digitales roses il faut qu’elle grimpe un peu. Elle accepte volontiers. Puis elle trébuche sur une vieille souche et il la rattrape à temps. Le groupe s’est un peu éloigné. On ne les voit plus. Il pose le bouquet, la canne. Il ose masser la cheville. Elle s’est tordu la cheville. Vous vous y connaissez en secourisme ? Elle a vraiment mal. Il dit oui. C’est pas vrai. Il voudrait qu’elle soit piquée par une vipère. Il sucerait le sang vicié. Il ferait un garrot avec son mouchoir. Elle accepte de marcher doucement en s’appuyant sur son bras. De l’autre côté il tient le bouquet et la canne il la lui a passée pour qu’elle s’y appuie.
Bon ! Le groupe s’est aperçu qu’ils traînaient. Le guide suggère de faire demi-tour mais elle refuse. Pas du tout ! Continuez seuls. Je vais rentrer et si Monsieur veut bien m’aider …

Je m’appelle Nady.
Je m’appelle Bernard
Vous en êtes où de la cure ?
C’est ma deuxième semaine
A moi aussi.

Le reste ne nous regarde pas. Il la raccompagne à la pension de famille. Elle lui offre d’entrer prendre un verre. Il veut bien. En bas, au milieu des fleurs, ils boivent lentement. Elle a mis une bande Velpeau autour sa cheville. Elle en avit une dans sa valise. Elle dit qu’elle a l’habitude. C’est une faiblesse depuis qu’elle est gosse. Chaque fois que tout marche bien, qu’elle est heureuse, clac ! elle se pète la cheville ! Ce soir elle prendra un bain de pieds avec du sel.

Personne ne pense plus à une vulgaire carte postale. Ils ont bien autre chose à faire. Ils se regardent. Ils se parlent.

Imaginons

Que la bêtise casse son nez de fouine sur le portail de la pension Notre-Dame.

Qu’entre une cheville fragilisée qui se luxe facilement, une bouche amère et meurtrie d’impétigo, il y ait de mystérieux canaux d’évacuation de la souffrance

Que deux organismes certes vieillissants l’un et l’autre, conditionnés par une cure thermale de régénération dans un décor montagnard superbe début Juin et florissant de tous ses jardins et talus, se ragaillardissent mutuellement.

Que cette bigote de Nady mais suffisamment intelligente pour ne pas en rajouter éprouve un penchant certain pour un corps affaissé mais plutôt svelte et beau d’origine

Que cet introverti à 90 o/o de Bernard découvre qu’à vingt ans il avait été amoureux d’une petite boulotte aux mollets fermes et à la parole vive dont il vient de trouver la réplique

Que la carte postale perdue dans le parc des Thermes à Allevard les Bains (Savoie) le 28 mai 2005 ne soit pas tombée sous leurs yeux par hasard. Que son contenu bêtement porno ait été le révélateur érotique qui remit en branle, c’est le cas de le dire, des désirs ensevelis sous plusieurs couches mais encore vivants

Que les prières, quel que soit le dieu qui les inspire, ne tombent pas forcément dans l’oreille d’un sourd

Et nous aurons une fin tout-à-fait banale mais plausible.

Une petite maison dans le Nord, dotée désormais d’un jardinier.
Des aquarelles qui osent s’exposer sur les murs.

La vie, quoi ! pas la télé, ni la consigne de la gare.

1 commentaires:

Blogger Julie Kertesz - me - moi - jk a dit...

Merci, très beau et fascinant à te lire.

Et les images? tu pourrais en ajouter aussi, peut-être...

lundi, 18 juillet, 2005  

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