Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

21 juillet 2005

pleine lune bis

La lune boit

La lune buvait hier au soir quand je l’ai remarquée de la voiture d’où je roulais vers elle : belle, ronde, superbe pleine lune d’une nuit de Mars, puis de la terrasse de chez P. avant de rentrer à La Loue, puis de la lucarne à clore d’un volet avant de me coucher.
Lune lyonnaise, saint victorienne, boucharante ; nuit de dimanche à lundi … lundi … lunes … Jour de la lune si je ne m’abuse …
Pour la première fois peut-être (j’adore toutes les premières fois), pour la première fois lunaire, voici que j’ai mis les goûts alcoolisés de la lune au passé, à l’imparfait du passé alors que, parfaitement ronde, elle buvait un halo d’enchantement drapé autour d’elle. Jamais que je sache, auparavant, j’avais écrit, pensé, dit que la lune BUVAIT. « La lune boit » oui ! Que de fois entendu sur le seuil de la porte quand Papa sort pisser avant de se coucher, quand Maman rentre de l’écurie avec les deux seaux de lait à la main. « La lune boit » pas une constatation esthétique, une prévision météorologique, « la louna bae, é vo plouvre deman » (la lune boit il va pleuvoir demain)
La lune buvait donc hier au soir et cependant le soleil se décide ce matin à percer. A croire que le breuvage n’était que de la piquette du coteau à vignes de Buvin plutôt qu’un wisky à gogo … car la lune, c’est sûr, s’est mise à l’heure américaine des excès et contrôle-qualité. Elle boit POUR … ou elle ne boit pas … lune informatisée.
Bref ! La lune boit. Elle continue de boire au présent pour moi. Elle continue ses plaisanteries d’un autre âge sur le coteau des désirs inassouvis.
La lune trinque avec moi.

Je bois mon thé tout en rêvant avec la lune empaquetée en mots sans halo. Un tracteur passe. C’est Lundi. Il faudrait que je retourne le jardin si je veux que les bienfaits de la lune nourricière l’arrose de futures récoltes …
Cependant mes yeux ce matin, à l’abri des sollicitations extérieures, derrière le volet encore fermé et le bol de thé qui refroidit, sont allés se promener du côté de ce Lafcadio Hearn et de ses « Rêveries exotiques ». J’adore ses fluidités d’écriture, ses halos entre Est et Ouest autour des exotismes philosophiques et religieux. Je bénis le hasard qui m’a fait dénicher ce livre chez un bouquiniste. Même si j’avais quelques réticences à me couler dans tous ces rapprochements de mots et de sens, je prends, à son contact, ce réflexe que je connais bien avec chaque écrivain qui m’appelle à écrire, qui m’appelle à moi à travers lui. J’aime me sentir écrire en lisant. Une absorption volontaire et douce, comme la contemplation du halo et de la lune elle-même. Aussi ai-je quitté le livre, l’ai glissé sous le coude, le reprends à nouveau, découvrant sans peine, à la page 149, une lumière propice à mon papier.
« Lune solitaire autour du Pic Neigeux, dans la demeure de La Lumière Tranquille »
Hearn a lui-même retranscris cette épitaphe japonaise, destinée à un homme, tant il semblerait que de l’autre côté de la lune, la lune ne soit plus un symbole exclusivement féminin.
« Lumière tranquille » Quel joli nom à donner à une fille … ou un garçon ! Quelle aide il lui apporterait dans ces villes éclatantes la nuit où on ne relève plus le nez pour lire le temps du lendemain, où on se le casse, le nez, par terre, sur des trottoirs sans rêves et sans halo.
Lumière Tranquille – Lune douce – Pleine Lune – Croissant de lune : autant de possibilités qui ont sans doute été utilisées dans d’autres langues que la nôtre … Nous, nos audaces langagières se limitaient à appeler « lune » nos fesses ! « Fais voir ta lune ! » pour nous laver ou nous essuyer la face cachée, et pour accentuer le contact avec la belle surface lisse, ronde, pleine. La « lulune » pour les filles parlait de l’endroit secret et les garçons portaient, eux, une « belune », cet adventice avantageux que nous trouvions si disgracieux et que nous n’osions nommer de son nom.

Oh Lune ! Lune d’hier et d’aujourd’hui, lune ivrogne ou lune sobre, je cours, maintenant que je t’ai tout dit, rejoindre un morceau de soleil pour le mettre dans ma poche. Libélune ! Je cours me jeter un canon de jour derrière la cravate !

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