Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

08 mars 2009

LA VOISINE

LE PRINTEMPS ETAIT TROP VERT

Elles se téléphonent le matin, s’inquiète de la tisane l’une l’autre, prennent rendez-vous pour l’après-midi, ont acheté des jeux de société, regardent ensemble la télé et se communiquent les chiffres et les lettres qui leur passent par la tête.
Elles rient beaucoup. Pour un oui ou pour un non. Plus souvent le oui que le non ! La voisine a grossi à cause des tartes, flans et gâteaux de leur quotidien.
Elle tiennent des comptes rigoureux des floraisons, feuillages, bébés du parc. Elles se baissent et s’aident à se relever pour mettre à la poubelle les hontes du quartier.
Elles ont leur mot à dire pour chaque événement. Au responsable de montée, aux Tabarini réunis, à Mme Sanchez et à ses enfants … elles connaissent chacun par son prénom, son âge, ses problèmes … Le père Sanchez est un ours mais elles lui serrent la patte volontiers …
On parle d’elles. Un peu. On leur adresse la parole. Elles sont les grands-mères du coin B, les mamies. Bonjour Mamie ! leur dit la buraliste à qui elles achètent le journal, un jour sur deux à tour de rôle. Indifféremment Mamie à l’une ou l’autre.
En bas de la montée les jeunes s’arrêtent de chahuter à leur passage. Tiennent la porte. Il faut dire qu’elle est lourde à pousser cette porte avec un panier à la main.
Le responsable a été réélu à la dernière assemblée : 7 voix. Il avait accepté de se représenter. On avait accepté de ne pas reporter le vote en fin de séance, à cause des mamies. Tout le monde en a profité. On les a raccompagnées jusqu’à leur porte.
Oh ! elles ne se font pas trop d’illusions. Tout ça finira à la Résidence des Jonquilles quand l’une ou l’autre sera tombée dans sa cuisine, aura oublié de fermer le gaz sous la casserole ...

- Simone ! quand votre fils reviendra du boulot – elle a dit BOULOT avec détermination pour lancer l’offensive - si vous lui demandiez, si vous pouviez lui demander, de passer me voir : mon robinet de salle de bains goutte tout le temps, ça m’énerve …
- NON ! il ne passera pas !
Surprise, elle relève la tête de sa tasse de thé - à quatre heures et demi elles boivent le thé - Elle repose la tasse doucement pour ne pas faire de bruit et éveiller la voisine partie dans une expression si douloureuse qu’elle lui fait peur. Elle sent son propre cœur qui bat à grands coups. Elle porte la main à ce coeur affolé.
- Simone …
Simone revient lentement. Son regard fixe quitte la photo sur le buffet, passe au-dessus de sa tête, très loin, revient et s’accroche aux yeux tendres qui la soutiennent
- Simone je ne voulais pas …
- Je sais Maria, vous n’êtes pas méchante, vous n’êtes pas curieuse …
Mon fils est mort Maria
- …
- Mon dieu !
- il y a longtemps, un accident de moto … Voilà !
La vieille main du dessus presse celle du dessous de toute la tendresse ramassée de tisane en tisane, de thé en thé, de promenade en promenade. Le vieux cœur se fait vaillant pour imprimer un battement de soutien à l’autre vieux cœur.
- Je m’étais habituée à lui parler. Parfois il me répondait. C’est lui qui m’a dit d’ouvrir la porte au printemps …
Maria ne sait que dire. Oh si ! un souvenir vient de la transpercer elle aussi. Elle aussi à quelque chose à avouer …
Mais Simone ajoute :
- C’est hier au soir qu’il m’a dit de vous mettre au courant. Voilà.
Alors Maria exhume avec précaution le cadavre de son amour, là-bas, une nouvelle fois lui jure une fidélité éternelle mais le confie à Simone.

Elles se regardent. Ne pleurent pas. Se sourient. Une farce en somme qu’elles se sont faite l’une à l’autre. Un grand secret qu’elles abandonnent.

- C’était un beau garçon ! dit-elle regardant la photo
- Oui et gentil, affectueux. Je comptais sur lui pour être mon bâton de vieillesse …
- Nous aurions pu être de vraies grands-mères à jonquilles !
- Arrières grands-mères ma chère ! Regardez-vous donc dans la glace !

..................
merci de vous être intéressé(es) à cette voisine. Cette nouvelle n'avait d'autre réalité il y a une quizaine d'années que le renfoncement du coin B.

1 commentaires:

Blogger Solange a dit...

J'ai bien aimé ce récit, le coin b est-ce l'endroit où vous abitiez?

lundi, 09 mars, 2009  

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