COMPEZ VOS DOIGTS
Retrouvé ce texte de Maurice Fickelson dans mes polycop. d’ancienne formatrice. Trop délicieux pour que je le jette à la poubelle en cette période d’élection aux conseils de parents.
COMPTEZ VOS DOIGTS
« Dans cette petite ville de l’ouest, la protection de l’enfance est assurée aussi bien qu’ailleurs. Les assistantes sociales montrent beaucoup d’entrain ; on les croise dans l’escalier. Les parents sont habitués ; ils remplissent des questionnaires ; des psychologues leur expliquent leurs sentiments. La ville est salubre ; le vent de mer chasse les miasmes, et les cafés ferment de bonne heure. Les enfants n’ignorent pas qu’ils sont de fragiles merveilles ; ils voient bien le soin que prend d’eux la Municipalité. Alors comment ne s’étonneraient-ils pas ? Un matin au réveil, il leur manque des doigts. Ni sang, ni plaies, aucune souffrance, des moignons irréprochables. Les plus petits pleurent. Les grands disent : « bah ! alors … » les parents ont beau recompter les doigts de leurs enfants, ils doivent bien admettre que le compte n’y est pas. Il manque des doigts ; au moins un à une main, le plus souvent aux deux, et quelquefois plusieurs. En aucun cas on arrive à dix. Les parents sont perplexes ; puis, soupçonneux, ils interrogent : »ça veut dire quoi ? » Ils aimeraient bien punir. Pour l’exemple … Mais devant les mines effarées de leurs bambins, ce sont eux qui se sentent à présent coupables. De quelle négligence ? A tout hasard, ils forment une association pour la défense de leurs intérêts, et aussitôt se transportent sur le terrain neutre de la statistique. « Nous avons perdu tant de doigts », déclarent-ils, et ils font la moyenne. C’est une façon de partager les responsabilités. Mais l’assistante sociale ne l’entend pas ainsi. Elle les admoneste : « Vous n’avez pas accompli tous vos devoirs de parents « Mais lesquels ? » demandent-ils, navrés. On leur fait alors remplir de nouveaux questionnaires, beaucoup plus difficiles que les précédents. Les psychologues les convoquent, les abîmes de l’âme s’ouvrent. Les parents sont fascinés. Ils se penchent. Ils entendent des choses au fond. Comme des grenouilles. Un coassement de grenouilles … Puis ils discernent des roseaux, des lueurs, à travers la brume, sur les marécages.
Les doigts sont là. Les doigts de leurs enfants. Les grenouilles les ont posés devant elles, sur les feuilles de nénuphar, où elles se tiennent. Elles chantent leur triomphe mélancolique. Car que vont-elles faire de tous ces doigts qu’elles ont emportés par des nuits sans lune (et aussi avec lune, parce que ça n’a pas tellement d’importance), de tous ces doigts attrapés en rêve, dans la nuit implacable où les enfants vont en aveugle, leurs mains imprudemment tendues devant eux ?
Est-ce bien à elles, d’ailleurs, d’accomplir les désirs les plus obscurs des parents ? »
Soulignés en vue d’explication les mots suivants : ENTRAIN, SALUBRE, MIASMES ? MOIGNONS IRREPROCHABLES, PERPLEXES ? SOUPçONNEUX, EFFARES, ADMONESTE, NAVRES, FASCINES, IMPALPABLES.
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