14 IMAGE MA MERE
Humiliation. Ma mère me conduit à L’Ecole Normale ? Oui ! J’ai réussi au concours. Christiane, fille de Monsieur et madame Eyraud, instituteurs, a réussi et elle m’a dit - elle sait ce qu’il faut faire- que les parents devaient d’abord aller se présenter et présenter leur enfant à madame la Directrice. Je suis donc là, au bout du couloir, avec Maman et j’aperçois de loin la directrice :
Madame, Madame ! Maman est venue me présenter
(On a pris le train, on est arrivé à la gare de Grenoble, on est allé au café pour boire quelque chose, maman a demandé d’une voix précautionneuse des croissants ! et puis on est arrivé, on a trouvé l’Ecole Normale, on y est arrivé. Maman a mis son tailleur et son chapeau.)
La directrice, après laquelle j’ai couru, jette un coup d’œil sur la silhouette empruntée du bout du couloir, me rabroue et entre, souveraine, dans la salle des professeurs. Le renseignement était de mauvaise main, peut-être pas pour les filles d’instituteurs mais pour celles de paysans, oui ! mais ne t’en fais pas maman ! je la parlerai la langue des dieux et des livres ! La bouche en cul de poule, je la ferai si bien qu’ils m’inviteront à leurs tables, les négations seront bien placées, les mots bien mis, si propres, si corrects, ne sortiront plus de la queue des vaches et puis et puis, excuse-moi Maman, je crois que j’aime changer de camp, je crois que les beaux mots à l’eau de Cologne je les aime aussi, plus que les nôtres peut-être …
Enfants, mes enfants !
Allez voir, allez entendre votre grand-mère, la m’man, la m’man Gie. Allez écouter la mère-fatigue, la mère-rage, la mère-courage. Ecoutez une vraie parole d’expérience, de sensibilité, d’attachement à son terroir, à son sort. Mélange de terre originelle, d’Eau de Cologne empruntée, elle parle, elle a à dire …`
Depuis quelques mois deux petites filles de la ville – leurs parents ont acheté et sauvé une de nos vieilles maisons - viennent voir Maman. Ensemble, elles vont donner aux lapins, caressent les petits chats, grondent le chien qui fait tant de bruit. Elles dessinent pour leur amie de quatre-vingt ans les mêmes bouquets que je faisais. Même tracé gauche, même fleurs piquées dans les mêmes pots trapézoïdaux. Peut-être auront-elles le temps de découvrir cette Madame Moyroud qui s’immobilise « songeuse » dans son fauteuil, puis qui s’anime, vive, enjouée, et donne, donne … Tout cela parce que les petites filles ignorent les barrières de toutes sortes et sont venues à elle pour donner et recevoir, sans se poser aucune question.
Dansez les petites filles toutes en rond
En vous voyant si gentilles, les mères et les grand-mères riront
Et merci pour elle et pour moi.
Extrait " le dessosu des paupières 1983
1 commentaires:
J'imagine la scène,je les vois bien,la mère et la fille,tout intimidées dans les couloirs de l'Ecole Normale.
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