Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

29 novembre 2005

TEMPS DE GRAND-MERE Suite


Et j’ai beau ramasser le chapelet qui s’est échappé du devantier (tablier) de ma mémé, j’ai beau amidonné sa coiffe blanche des grands jours pour la visite du docteur et pour qu’elle soit bien propre et convenable, beau nettoyer son vocabulaire de ses paysanneries, patoiseries, familiarités et autres localismes, je sens toutes les douleurs de femme, les peurs de femmes qui me remontent dans le gosier. Avec une grosse colère tout-à-l’heure quand le docteur demandera de sa voix doucereuse « ça fera Sept francs ». Colère contre ce Bon Dieu ou plutôt ses sbires qui laissera crever des gens qui n’ont jamais fait de mal, avec nécessité de l’absolution. Comme si le prix, le paradis, n’était pas automatiquement payé d’avance par cette vie ingrate et par le seul fait de la vivre.
Mes pauvres ancêtres courageuses, comme je suis arrivée trop tard, comme je vous ai aimées trop tard pour vous emmener voir la mer, ou seulement le Rhône à votre porte ! Comme ç’aurait été une belle promenade, une belle après-midi ! Une ! Rien qu’une !
Trop tard pour enfiler vos trois jupons et les faire danser …
Trop tard pour reprendre avec vous votre langue de terre et de fumier et la faire chanter par dessus la tête des peteux, des pete-sec, des pisse-vinaigre …
Il ne me reste plus qu’à ramasser vos rhumatismes et les apprivoiser pour l’hiver qui vient …
Plus qu’à déposer quelques mots-chrysanthèmes sur vos noms, seules traces de vos vies si remplies, traces mortes de vos voix mortes qui n’ont pas eu le temps, jamais le temps, en ce temps-là ni de dire, ni de graver.
Femmes éphémères, sans piano ni capeline, noyées dans la brume grise des jours gris, mes petites femmes vaillantes, mes mères, dites-moi une seule chose avant de me quitter pour toujours, une seule : Que vous ne regrettez rien et que la vie valut la peine qu’elle vous coûta. Alors il me semble que je m’en irai plus tranquille vers le reste de la mienne et ce que je vous dois de témoignage, à Dieu, au monde, de pardon.
Histoire d’oublier que le temps de ma grand-mère, sans beaucoup de chauffage, sans électricité, me brûle encore d’humiliation et de rage.
Un temps de grande mouillure en Novembre et pour tout dire un vrai temps de cochon.
Peut-être une autre fois sera-t-il meilleur …

1 commentaires:

Blogger David a dit...

merci, merci...

les meres nous regardent...

mercredi, 30 novembre, 2005  

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