Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

27 septembre 2005

PAIN D’ANNIVERSAIRE

J’avais soigneusement mitonné les préparatifs. D’abord repéré cette ferme à Evieu qui a gardé le four à pain et s’en sert à la demande. Puis achat des canards, poulets et miches afin d’être bien sûre de retrouver les goûts d’antan. Goût du pain blanc des périodes de restriction, Goût d’excellence et d’abondance quand le monde autour de ses trois ans croûle dans la guerre et l’inondation, qu’on ne le sait pas ce que c’est que la tourmente mais qu’on le ressent confusément à regarder l’inquiétude et la fatigue dans les yeux de sa mère.
J’avais chanté en Juillet à la Maison de Pays cette chanson de Pierre Dupont sur le pain, écrite suite aux émeutes de la faim
« On n’arrête pas le murmure
du peuple quand il dit « j’ai faim »
car c’est le cri de la nature
il faut du pain. Le peuple a faim. »
Et donc, mélangeant sans vergogne l’ancien pain au nouveau, la réalité amère du pain manquant au gaspillage de pain aujourd’hui j’avais demandé à Michaela d’organiser le défilé des porteurs de pain à la fin de la chanson au micro pour annoncer l’apéritif.
Michaela a connu la faim en Bulgarie. Elle me l’a dit et je la crois. Elle a gardé pour le pain vrai, naturel (eau, farine, sel, levain) une adoration pas toujours muette. C’est donc elle, vestale du pain, que j’avais chargée d’aller chercher la commande à la ferme : sept beaux pains ronds, sept lourdes miches symboliques. A elle de les disposer sur une belle serviette blanche chiffrée « des autrefois » dans les benons de paille tressée, trouvés intact dans ma maison, et de les faire défiler jusqu’aux agapes débordantes.
Les porteurs étaient Siméon le petit dernier, Sarah, Estelle, Nils, Anouck, Madeline.
Tout s’est passé vite, terriblement vite. J’aurais aimé éterniser cet instant pour les bien voir, un à un, passer le seuil, en charge du trésor. Sérieux comme des mitrons.
Nous étions, comme Autrefois, dans l’instantané magique. Les chansons se sont envolées. Les discours d’amitié. Le chocolat du poème en chocolat a fondu dans les bouches. Le pain s’est consommé. Sarah seule m’a confié sa petite aventure. Avec Natacha elles se sont longuement installées vers le brasero du méchoui et là, du bout de la fourchette, se sont fait griller des tartines. Celles qu’on appelait justement « des rôties » Elles avaient retrouvé le geste des bergères et le goût du pain que l’on prend le temps d’admirer, de savourer, de déguster sans en perdre une miette. Du pain « simple comme bonjour »

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